RAR 08 et mas * 9471 A CAROLO DARWIN Fe. + FRANCISCVS DARWIN Arry Scan e./sER. + | GOLLIdH99Y WALVY ri L2 æ ee. Ex Fe " d . è 2 + » Le gn », : r ) Fu2e es 3 , ne e . + D ARE CE ; > à oo à ; TR Le : / 2 Y es _ Je ; ; \ ÈZ N « 3 \ SN2 » : : Fees 2”, "2 , ‘ d “ EE k sue $ ne ae à ve ff NN CE à d 2 ‘ NZ ss > L à d . ES js) AE N WE F ; "SG +, | 4 cp #1 “ À { . es \ £ U Ni te : A .. > 1 À ds A C7 , : : RQ {/ 10 G NT NP NE RECHERCHES SUR LES MŒURS DES FOURMIS INDIGÈNES. Lo. ans re ar Dr TS ; rm ni De L'IMPRIMERIE in () © [et [e) 2 “ Ex > 3 F4 [a] à Genève. SUR LES MŒURS FOURMIS INDIGÈNES, Par P. HUBER, Memere DEs SociéTÉés D'HISTOIRE NATURELLE ET: pe PavsiQue DE GENÈVE, ET ASSOCIÉ DE CELLE DE TARN-ET-GARONKNE. RP Re RP SR ARR DOS RDD RSS Cherchez, et vous trouverez. À PARIS, Chez J. 3. Pascnoupn, Libraire, Rue des Peuts-Augustins, n.° 3. À GENÈVE, chez le même. 1810. ne RDA PRÉFACE. O. a déjà beaucoup écrit sur les fourmis ; leur police et leurs travaux ont excité l’ad- miration des anciens comme des modernes; mais ce n’est que de nos jours qu’on a subs- titué de bonnes observations aux récits fabu- leux de Pline et d’Aristote. Les naturalistes du siècle dernier ont étudié leurs métamorphoses , reconnu les sexes , éclairci les points les plus essentiels de leur histoire. De savans anatomistes ont ohservé leurs organes, classé les différentes sortes de fourmis, et décrit leurs caractères génériques. C’est un avantage inappréCiable pour l’ob- servateur qui veut étudier et faire connoître les mœurs des insectes, que celui de pouvoir désigner les espèces sans être obligé d’en donner de longues et minutieuses descrip- tions : il peut se hvrer entièrement à l'étude LE | 4 PEUT R AR ONE Ve re or sul é out SA gr RO PP PPS TE STAU RS ES à Le SAN 1 Li net «- PRÉFACE. des lois qui régissent ces différentes peuplades, entreprendre de nouvelles recherches sur leurs habitudes et leur industrie, et s'occuper sans distraction des phénomènes que pré- sente leur instinct. Si j'ai fait faire quelques progrès à l’his- ‘toire des fourmis, j'en suis redevable, en grande partie, aux travaux infatigables de M. Latreille, qui nous en a donné d’excel- lentes descriptions, et une classification com- plète. Cet auteur judicieux a encore con- tribué par ses observations à écarter du sujet plusieurs erreurs accréditées. | Je reconnois aussi, que ces insectes sont fort redevables. à l'imagination brillante d’un de nos contemporains, qui s’est plu à les parer de toutes nos vertus, en faisant excuser chez eux les vices qu'on reproche à l'espèce humaine. Maisl’histoire naturelle n’étant point encore satisfaite, je vais joindre mon tribut à celui de ces savans, dans l'espoir que la persévérance avec laquelle jai étudié les PRÉ FACE. vi} moeurs des fourmis pendant plusieurs années, pourra servir à diminuer le vide qu'il nous reste à combler dans cette parte de la science. Animé du désir de suivre les traces du guide éclairé que la nature avoit placé près de moi, j'ai cru pouvoir entreprendre sous ses auspices quelques travaux du même genre que ceux dans lesquels il état distingué , et j'ai trouvé dans cette occupation le double plaisir de Pintéresser et de nv'instruire. Je fis de bonne heure quelques essais de Part d'observer, sur les bourdons velus, in- sectes qui vivent en république. Ces pre- mières tentatives ayant été accueillies par les naturalistes plus favorablement que je ne l'aurois espéré, je me flattai de parvenir à leur révéler quelques-uns des secrets des fourmis, dont les sociétés, bien plus nombreuses, sont aussi plus difficiles à étudier à cause de la petitesse des individus qui les composent, et de l'obscurité dans laquelle la plupart de leurs travaux sont enveloppés. Vi] PRÉFACE. Ces recherches, dont je ne me dissimule point toute PinsnfMisance, m'ont paru cepen- dant présenter un ensemble de faits assez remarquables pour que j'aie cru pouvoir en faire part aux amateurs d'histoire naturelle, Afin de ne pas interrompre la suite de mes observations par des détails anatomiques, j'ai jeté dans Pintroduction tout ce qui avoit rapport aux organes extérieurs des fourmis ; Jy ai joint une notice très-abrégée des faits recueillis par d’autres naturalistes dont il est aisé de se procurer les écrits, si l’on désire connoître plus particulièrement ce qui sa partient à chacun d'eux. Quant à exposé de mes observations, je mai point suivi un ordre méthodique; j'ai adopté celui qui m’a paru propre à jeter le plus de clarté sur mon sujet; en consé- quence j'ai cru devoir d’abord occuper mes lecteurs de Part avec lequel les fourmis cons- truisent leur habitation. Ces insectes vivant, pour la plupart, au PRÉFACE. 1x fond de leurs souterrains, il falloit des ap- pareils particuliers pour les suivre dans leurs occupations domestiques. Après en avoir donné la description, je fais connoître les soins que les fourmis prodiguent aux œufs, larves et nympbhes de leur nombreuse famille. Je destine un chapitre entier à l’histoire des femelles; je décris leurs amours, la ma- nière dont s’établissent les nouvelles peu- plades, et dont se conservent les anciennes. Passant des relations des ouvrières avec les individus ailés, à celles des ouvrières entr’elles, je les suis, dans leurs émigrations, dans leurs voyages, dans leur conduite particulière ; _ j'observe les combats que se livrent les fourmis d’espèce différente, etc. etc. Je traite dans le cours de cet ouvrage plusieurs questions qui peuvent paroître hardies à ceux qui ne voient dans les in- sectes que des machines organisées; mais elles n’étonneront point le naturaliste accoutumé à se méfier de ses préventions. Îl n’est peut- EEE | = x PRE Er À CE. : être personne qui nait senti combien la sup- position d’un instinct aveugle étoit absurde ; et depuis quelque tems on est porté, ce me semble, à accorder aux animaux plus de connoissance qu’on ne le faisoit autrefois. Si l’on réfléchit un instant à la complica- tion prodigieuse du mécanisme qu'il faudroit mettre à la place d’une étincelle de cette lumière à laquelle nous participons , pour qu’il pût se prêter à toutes les circonstances, suffire à tous les besoins d’une peuplade nombreuse, faire mouvoir diversement une multitude de ressorts, de manière à con- courir au même but on, sera tenté de pré- férer l'hypothèse la plus simple, celle qui accorde à ces insectes une portion d’intel- ligence suffisante pour la conduite de leurs affaires domestiques , à celui qui en fait de véritables automates. Mais les fourmis, vivant en société, livrées à des travaux qui exigent une sorte de concert, ‘n’auroient-elles point encore quelque moyen PRÉFACE. x) de s’entendre, de faire connoître leurs be- soins ou leur situation à leurs compagnes ? Quels sont les liens de cette nombreuse fa- mille ? Les fourmis ont-elles des chefs, un gouvernement, une police ? Trouve-t-on chez elles quelque preuve de cette subordi- nation-si vantée par leurs panégyristes, et de la prévoyante économie qu’ils nous pré- sentent comme un exemple à imiter? Ces questions importantes m’auroientseules occupé si j'avois pu suivre un plan régulier dans mes observations; mais quand on marche sur une terre inconnue, on ne sauroit en tracer la carte d'avance, et l’histoire naturelle nous offre plus d’une preuve que, pour faire de nouvelles découvertes , il faut savoir quelquefois s’écarter du chemin direct. J'étois loin de m’attendre aux faits ex- traordinaires qui se sont présentés d’eux- mêmes dans Le cours de mes recherches : de ce nombre sont les relations des fourmis avec les pucerons, que j'ai déjà publiées, Xi] PER °F ACTE. et auxquelles jai fait plusieurs additions. Mais il existe encore des rapports bien plus singuliers entre les fourmis d'espèces diffé- rentes. L'histoire des fourmis amazones présente un phénomène si opposé à tout ce que les mœurs des insectes et des autres animaux nous ont offert jusqu'ici; elle rappelle un trait si marquant de l’histoire de l’homme , que jai sacrifié une grande partie de mon tems à étudier, et que jai cru devoir lui consacrer plusieurs chapitres, afin de la faire connoître dans tous ses détails, et de mettre le lecteur à portée de juger ou de vérifier lPexactitude de mes assertions. Je terminerai cet ouvrage par des consi- dérations générales que m'ont suggérées mes observations et la comparaison des mœurs des fourmis avec celles des autres insectes qui vivent en république. Le ütre que j'ai donné à ces recherches ne doit point être pris dans toute l’exten- sion qu'il présente, car je n'ai pas étudié les PRÉFACE. xiij mœurs de toutes les fourmis indigènes; jen ai reconnu vingt-irois espèces dont je n’ai pas également approfondi l’histoire; mais si les faits que j'ai observés excitent la curiosité des naturalistes , et les engagent à terminer : Vébauche que je leur présente, ce sera la plus douce récompense des trayaux auxquels je me suis livré. FAUTES A CORRIGER, Page 58, ligne 1. Au lieu de ceintrée lisez cintrée 145 9 cite site RSS SSSR RS RS nt Le 70, © Y TABLE DES MATIÈRES. Lcngd sue vrof PSE. 2 Caarrrre I. De l'Architecture, ms $L De Vart de bâtir chez les fourmis fauves, 18 $il. Architecture des fourmis maçonnes, 29 $ LI. Architecture des fourmis noir-cendrées, 43 $ IV. Architecture des fourmis qui sculptent le bois, 52 $ V. Architecture des fourmis qui travaillent Ja sciure de bois, 61 CuarirRe II. Des œufs > larves et nymphes des fourmis, 63 _—— NM De la fécondation des fourmis, et de ses conséquences. 90 $ L Départ des fourmis ailées, - Ibid. $ I. Histoire des fourmis aïlées après la {6- condation, 101 AL. Conduite des ouvrières à l'égard des femelles fécondées, 115 Cnarrree IV. I. Des relations des fourmis entre elles, 127 Ç IL De la manière dont les fourmis se dirigent dans leurs courses, 134 - $ III. Des migrations des fourmis fanves, 139 $ IV. De l'affection des fourmis pour leurs compagies, 148 Crarrree V. Des guerres des fourmis, et de quelques autres particularités, 155 ____— VI, Des relations des fourmis avec les pucerons et les gale-insectes. 176 $ I. Du langage antennal, Ibid. TABLE DES MATIÈRES. CGuartTRE VE (Suite du $ IL. Liaisons des fourmis avec les pucerons, à page 180 $ IL. Des relations des fourmis avec les gale- insectes , ; 187 $ IV. Industrie presqu'humaine des fourimis 4 190 $ V. Ressources dés fourmis pendant l’hiver, 202 $ VE. des œufs des pucerons, 204 Cnaprrre VIL Premier apercu de l’histoire des fourmis amazonés, 210 ———— VII. Recherches sur Vorigine des fourmilières mixtes, 223 sm. {X, Nouvelles considérations sur les fourmis ama.… zones , 242 É # g = ET . —_—"“ X,: Etablissement d’une fourmilière mixte dans un appareil vitré, 260 ———— XI. Histoire des fourmis sanguines, 275 ——— XII. Considérations. sur les insectes qui vivent en république , 289 Notes relatives aux espèces, 315 Description des fourmis dont il a été question dans cet ouvrage; 317 RECHERCHES SUR LES MŒ@URS DES FOURMIS INDIGÈNES DA RSS SR NE SE EE EE ON = E Bi que je me propose dans cette Intro- duction est de faire passer en revue, d’une ma- nière rapide, les faits recueillis par plusieurs auteurs sur l’histoire des fourmis. La partie des- ‘criptive , mieux connue cependant que celle des mœurs, présente encore En Do doutes , Jessaierai d’éclaircir. De Geer, naturalistes ; que parnn les “miens Fabricius et Latreille , entre les mo- dernes, sont ceux auxquels j'aurai recours pour leur classification. Les auteurs systématiques ont placé les fourmis dans la classe des insectes à quatre ailes nues, avec les abeilles, les guêpes, les andrennes , etc dont elles différent essentiellement par la compo- sion de leurs familles , où lon trouve des mâles et des femelles ailés et des ouvrières sans ailes. } RECTIERCHES SUR LES Les caractères donnes par M. Latreille, pour les distinguer plus particulièrement , sont d’avoir & le pédicule de labdomen surmonté d’une » écaille, ou noduleux; le ventre des ouvrières # re _ ’ » et des femelles éjaculant un acide, ou armé d’un » aiguillon ; les antennes filformes, ou un peu > renflées à leur extrémité , brisées au nulieu, de » douze ou treize articles, le second conique, aussi » long que les swivans ; une langue en cuilleron, » entière ; la lèvre supérieure effacée ; les palpes » filiformes inégaux, antérieurs de cinq articles , » postérieurs de quatre, » Le premier de ces caractères fournit deux fa- milles très-distinctes, dont l’une est composée de toutes les fourmis qui ent le pédicule surmonté d’une écaille , et Pautre de toutes celles dont il est formé de deux nœuds : les caractères de la pre- mière sont d’avoir les antennes filiformes ou effi- lées à leur extrémité, point d’aiguilon, une simple vessie à venin, l'abdomen plus alongé et composé de cinq anneaux chez les femelles et les ouvrières, Les fourmis de la seconde famille ont les an- tennes momliformes et très-renflées à leur extré- - MŒURS DES FOURMIS- 3 mité , un aiguillén ; l'abdomen Court | composé de quatre anneaux chez les femelles et les ouvrières. Les mâles ont, en general, les antennes plus lon- gues, et de treize arücles: le ventre composé d’un anneau de plus que les autres individus de leur espèce, et ne possèdent ni aiguillon ni vessie à venin. Comme il ne $ agit dans cet ouvrage que des fourmis indigènes, qu Peuvent toutes trouver place dans cette division générale , je n’entrerai pas dans un plus grand détail, relativement à leur Classification. Examinons séparément toutes les parties du corps des fourmis , afin de faire connoître leurs organes extérieurs. Leur tête est triangulaire 9 alongée, et finit en pointe plus ou moins obiuse ; elle est épaisse au sommet, mince à Pexirémité opposée, et terminée par deux grosses dents appelées man- dibules ; en-dessous est la bouche proprement dite; aux deux côtés sont de gros yeux retuicu- lares , arrondis ou ovales ; AU Sommet, on en voit ordinairement trois autres fort peuts, placés en triangle ; au-devant de la tête sont les antennes , et au-dessous des mâchoires inférieures, les barbillons. Les mandibules des femelles et des ouvrières + RECHERCHES SUR LES sont écailleuses, concaves, courbées, dentées : mobiles, et leur servent à plus d’un usage ; celles des mâles sont très-minces, terminées en pointes et garnies de poils : outre ces deux pièces qui gar- nissent la bouche au-dehors ; on y remarque une lèvre supérieure peu avancée, deux mâchoires ‘inférieures fort petites, qui jouent de droite à gauche , et la lèvre inférieure cachée tout-à-fait en-dessous: on n’est pas d'accord sur la composition de cette dernière parue. Fabricius donne aux fourmis de tous les genres, pour premier caractère , d’avoir une bouche sans langue (os absque lingua) ; Latreille , au contraire, leur en accorde une, et Pexprime sous cette for mule : langue en cuilleron, entière. « La lèvre infé- » rieure, dit-il, est formée d’une gaine conique , » coriacée, élevée en carène au milieu, et terminée » en pointe , et d’une langue ou portion mem- » braneuse , reçue dans la gaine et formant un » cuilleron. » Je me permettrai d'ajouter quelques observa- tions à celles de ces grands naturalistes. Quand les fourmis veulent boire, on voit sorur d’entre leurs mächoires inférieures, qui sont beaucoup plus MŒURS DES FOURMIS,; 5 courtes que les supérieures, un petit mamelon conique , charnu et jaunâtre , qu fait l'office Las langue , en s’avaneant et se retirant tour à tour : il paroït sortir de ce qu'on appelle la lèvre infé= rieure, pièce qui sert de base et peut-être de four- reau à cette: langue, et qui est si petite que ce n'est sans doute que par analogie avec celle des autres ects qu’on lui a donné 6e nom. Cette lèvre est susceptible ‘de s’avancer conjointement avec les deux mâchoires infériéures; ét quand linsecte veut lécher , tout cet appareil fait un mou- vement en avant, de sorte que la langue, qui est trés-courte, n’a pas besoin de s’alonger beaucoup pour atteindre le liquide que Pinsecte veut faire entrer dans sa bouche. Les mâchoires sont d’une forme alongée, élargies à leur extrémité, légèrement concaves au-dessous , d’une substance écalleuse; ; fort minces et trés-foibles , comparativement aux mandibules. Du milieu de leur parue externe sort un barbillon de’ six anneaux : on en voit encore deux autres à la base de la langue; ceux-ci sont plus petits, et composés seulement de quatre anneaux : On n’en connoît point encore l'usage. Les antennes, comme on la vu, sont brisées 6 RECHERCIES SUR LES ou coudées, situées au-devant de la tête, plus ou moins près du milieu du front , reçues ordi- nairement dans une petite ranure longitudinale , et composées de douze ou treize articles : le pre- mier fait environ la moitié de la longueur de lan- x / tienne. Celles des fourmis qui ont une écaille sur le filet du ventre sont fihformes, et composées d’anneaux de la même grosseur, ou finissent lé- serement en pointe. Les fourmis de la seconde famille les ont , au contraire , renfleées à leur extremite ; les antennes des mäles sont sétacées dans les premières espèces, plus grenues dans les dernières, et , dans toutes , composées d’un anneau de plus que chez les ou- vrières et les femelles. : La tête tient au corselet par un cou mince, court et étroit, de substance charnue et garm de muscles, au moyen desquels s’opèrent tous ses mouvemens. Le corselet des individus ailés est très-large, comparativement à la tête : cel des ouvrières est beaucoup plus étroit; le premier est bombé, entier, composé de plusieurs pièces écailleuses de différentes formes, retenues par des membranes; la parue supérieure est séparee de la sternale par MŒ@URS DES FOURMIS, 7 une rainure , dans le milieu de laquelle s’implan- tent les ailes. Celles-ci sont placées fort en arrière du corselet, tandis que celles de tous les Atées insectes du même genre sont situées fort en avant du corps : un autre caractère bien remarquable de leur insertion, c’est que le corselet n’a point ces cuillerons destinés à modérer les mouvemens des ailes , etqui sont fixés à leur base chez les autres hyménoptères (1). Le corselet des ouvrières paroït bossu, divise inégalement , et composé , selon de Geer , de trois pièces : la plus rapprochée de la tête est grosse et arrondie; la seconde a moins de volume , elle s’étend en longueur vers le dessous du ventre , et semble divisée en deux, transversalement ; la troi- sième ; plus épaisse que la seconde , est tronquée et obtuse. On ne sauroit bien définir la forme du corselet, parce qu’elle varie selon Îles espèces : is; quatre stigmates, dont deux dans une légère dépression latérale , qui paroît diviser le corselet s (1) Ces deux observations, qui m'ont été commu- miquées par M. le professeur Jurine , sont une preuve du coup-d'œil observaleur qui le distingue. > 6 RECHERCHES SUR LES une de chaque côte , et les deux autres près de Vextrémité postérieure ; une à droite, une à gauche du filet. ( $ Les ailes , au nombre de quatre, sont transpa- rentes, grandes et lisses, les postérieures plus courtes que les antérieures; leurs nervures sont légèrement colorées, et le stigmate est jaune ou brun. Ces ailes s’accrochent l’une à Pautre quand linsecte vole , ei ne forment ensemble qu’un seul plan horizontal , au moyen d’une quantité de pe- tits crochets qui se irouvent à leur bord. À. chacune des trois parties inférieures du cor- _selet sont attachés une paire de pates ; elles y uennent par une pièce mobile, longue et conique , qu'on peut appeler la hanche ; les jambes poste- - elles sont toutes rieures sont les plus longues ; divisées en trois partes principales, la cuisse, la « é 1 Le d Ë . D \! de M f np os jambe et le pied, ou tarse; celurcei est formé Ge cinq pièces coniques , inégales en longueur ; arü- culées ensemble , et plus ou moins velues; le tarse est terminé par deux crochets, entre lesquels on voit une pièce arrondie, qu'on peut considérer comme la plante du pied. On remarque à l’extre- mité de la jambe proprement dite, une épime ou MŒURS DES FOURMIS. 9 éperon droit, fort et lisse : celui des pates anté— rièurés est un peu courbé et garni de poils roides du côté du pied. La première pièce du tarse qui se trouve vis-à-vis de l’éperon présente une cour- bure considérable ; elle est aussi chargée d’une frange de poils forts , coupés régulièrement : ce sont des brosses dont l'insecte fait usage pour ver- geter ses antennes , sa tête et son corselet ; elles ont d’autres usages dont il n’est pas encore items de parler. L’écaille verticale est une petite pièce à peu près en cœur , dont la pointe est tournée en bas; elle est traversée à son origine par le filet du‘ ventre ; sa forme varie et fournit des caractères très-distincts. Latreille a remarqué qu’elle éioit pourvue de deux stigmates situés à sa base , du côté postérieur. Le ventre de la fourmi est toujours plus gros: que le corselet, d’une forme ovale ; renflée , plus où moins pointue à l'extrémité postérieure : il est composé de demi-anneaux ecailleux , dont les su- périeurs embrassent les inférieurs , et sont unis en- semble au moyen d'une membrane flexible qui leur permet de s’écarter ou de se rapprocher à volonic. {1 est aisé de faire cette observation quand les 10 RECHERCHES SUR LES fourmis ont beaucoup mangé, parce que chacune de ces pièces écailleuses paroît alors séparée des autres par une peute bande blanchâtre , qui n’est autre chose que cette membrane. Le venire se divise en quatre ou cinq anneaux , dont le dernier donne passage aux parties sexuelles et à Paiguillon. Latreille considère lécaille caractéristique qui s'élève sur le filet du ventre, comme tenant lieu d’un anneau qui manqueroit sans cela à Pabdomen de ces insectes : écoutons-le lui-même. « Les naturalistes, dit:1l, n’ont pas fait attention que cette écaille ou ces nœuds du pédicule de l'abdomen des fourmis, ne sont que les prenners anneaux figurés de la sorte. Plusieurs guèpes ont aussi le premier segment de l'abdomen en forme d’une espèce de nœud. Pour décider parfartement la chose , comptons le nombre dés anneaux dont le ventre des fourmis est compose ; nous savons, et c’est une règle constante dans les insectes de cet ordre, que ce ventre a sept anneaux dans A } « - les mâles et six dans les femelles. Il faut exa- e es se ge e + re fai } le ull miner maintenant si, abstraction taite de l'écaille ou des nœuds du pédicule , nous trouverons ce même nombre; point du tout, le ventre des ess DES FOURMIS. 21 femelles ou en ouvrières, qui a une écaille ou un seul nœud en-devant , n’a que cinq anneaux ; celui de leurs mâles n’en a que six : le ventre des fourmis, dont le pédicule est formé de deux nœuds, aura encore un anneau de moins ; C’est- à-dire quatre dans les uns et cinq dans les autres. » Nous avons déjà dit que les ‘ouvriéres et les femelles de quelques espèces sont pourvues d’un aiguillon ; 1 consiste en une petite pièce courte ï écailleuse, droite, conique , formée de deux soies et accompagnée de deux autres petites pièces co- niques , glabres , comprimées, une de chaque côté. Îl existe , dit encore M. Latreille, les plus grands rapports entre les organes extérieurs de la généra- tion des. individus femelles et ceux des ouvrières ; la ressemblance est telle , que examen le plus sé- vêre n'a pu lu faire apercevoir de différence sen- sible. [1 regarde les ouvrières comme des femelles impuissantes, et dont les organes ’auroïient pas leur entier développement. En effet ; Si on considère la forme de leur tête et de leurs dents, le nombre des articulations. des antennes, celui des anneaux, la présence de laiguillon , ou celle de la vessie qui le remplace, on sera frappé des rapports 19 RECHERCITES SUR LES qui règnent entre ces deux ordres. Les ouvrières sont beaucoup plus peutes que les femelles; elles en différent encore par la forme du corselet , par l'absence des ailes et par la couleur. Les mâles sont, les uns plus petits, les autres plus grands que les ouvrières de leur espèce; leur corselet à la forme de celui des femelles : l’écaille ou les nœuds sont à peu près semblables dans tous Îles individus de chaque famille ; les mâles sont ordinairement d’une. couleur noirâtre. . Nos connoïssances sur les mœurs des fourmis se bornent encore à un petit nombre de faits déta- chés , à quelques assertions assez vagues que je _discuierai lorsqu'elles se présenteront. Les auteurs modernes qui ont fait faire quelques pas à lhis- toire des fourmis, sont au nombre des plus ce- Ièbres naturalistes. Leuwenhoeck est le premier qui se soit occupé sérieusement de leurs métamorphoses, et qui at démontré que ce qu'on appeloit œufs de fourmis m’étoit point des œufs, maïs de véritables larves ; leur grosseur auroit dû le faire comprendre plus iôt: les œufs de ces msectes sont excessivement petits. MŒURS DES FOURMIS. ne Swammerdam confirme , par de profondes re- cherches et par des descriptions admirables, les notions publiées par son prédécesseur ; suit toutes leurs métamorphoses , et fait voir que la nymphe est le même individu qui, sous la forme de larve 3 n'avoit ni membres ni traits distincts. {1 sépare les mâles des femelles, et nous apprend qu'ils sont ailés ; que les fourmis Communes sont des ou- vrières ou des mulets : Comme celles des abeilles ; il fait connoître une parue de leurs occupations domestiques , nous apprend que les larves de quel- “ques espèces filent une coque de soie, et qu’elles y subissent leur transformation , et donne enfin d'excellentes descriptions de plusieurs sortes de fourmis. Linnée vient ensuite : il décrit sept espèces de fourmis de la Suède > étudie ces grandes fourmi- lères coniques qu'on trouve dans les forêts de Sapin , découvre que les femelles sont ailées comme les mâles, s’aperçoit que peu de tems après leur naissance elles perdent lenrs ailes, et croit qu’elles ne reviennent point à Ja fourmilière. Geoffroy n’ajoute rien à ce que nous apprennent - Ces grands naturalist es ; 1] commet , au contraire, 14 RECHERCHES SUR LES à cet égard plusieurs erreurs que je ne rapporterai pas, parce qu’elles ont été combattues par de Geer. Ce dernier auteur nous apprend que les jeunes fourmis ne sauroïent sortir de leur coque de soie sans le secours des ouvrières; 1l remarque que les larves dé la fourmi noire-luisante ne filent pas toujours ; qu'on trouve chez elle des nymphes nues et d'autres enfermées dans des coques. Il voit aussi des larves de certaines espèces qui passent l'hiver ; il observe que celles de la fourmi jaune sont très-velues au mois d'avril sæic. Passant des peuis aux individus complets, 1l suit leurs amours dans les airs; mais il croit que les femelles retournent dans leur nid pour pondre leurs œufs, et combat l’opinion de Linnée, qui avoit mieux vu que lui. Ce naturaliste , justement célèbre, nous donne cependant plus de nouons sur l'histoire des fourmis que tous ses devanciers _ ensemble, Charles. Bonnet s’en occupe à son tour ; il croit apercevoir que les fourmis se dirigent par le moÿen de Podorat ; il observe une petite fanlle établie dans la iôte d’un chardon, et ne laisse pas de nous donner des détails intéressans sur leur con- MŒURS DES FOURMIS. 15 duite : s’il avoit ouvert la tête du chardon, il auroit découvert, avec admiration, la raison qui lavoit attiré ces fourmis en ce lieu, et m'aliroie pas été étonné qu’elles y Yécussent sans toucher AUX provisions qu'il leur donnoit. 11 voit ces four mis se porter les unes les autres , décrit leur manœuvre avec tout agrément qui lui étoit propre, mais ne devine pas le véritable but que se proposoient ces insectes. Je rapporterai ses observations lorsque le sujet les rappellera. M. Latreille confirme les faits rapportés par d'autres auteurs ; 1l observe deux espèces de fourmis privées d’yeux ,: mais sans ‘en décrire les mœurs ; il met aussi en avant quelques con- jectures . dont nous parlerons dans la suite : j'ai déjà vanté la justesse de ses classifications, aux- quelles j'aurai souvent recours. [ résulte de ce précis des observations qu’on a faites jusqu’à nos jours, qu’on n’est point d’ac- cord sur le sort des femelles et des mâles; qu'on ne sait pourquoi certaines larves filent ou ne filent Pas; pourquoi, dans quelques espèces, il se trouve des nymphes renfermées, et d’autres à découvert ; qu'on na étudié ni l'esprit qui règne dans l'inté- 16 ; RECHERCHES SUR LES rieur des fourmilières, ni les rapports des fourmis ouvrières avec leurs femelles; qu'on n’a pas cherché si elles avoient des moyens de s’entendre ; que la. construction de leur demeure n’a pas été suffisam- ment décrite; qu’on n’a pas découvert la mamère dont elles létablissent, et qu'on ne sait point encore si ces insectes forment , ou non, des colonies , etc. La série des questions non résolues seroit interminable; il est tems de chercher à remplir quelques - unes des nombreuses lacunes que nos prédécesseurs ont laissées sur ce sujet, et de poser, si nous le pouvons, des bases plus précises pour une histoire des fourmis. CIAPITRE PREMIER. De a RS MŒURS DES FOURMIS.. 17 CHAPITRE PREMIER. DE L' ARCHITECTURE. Le premier objet qui frappe nos sens en com- mençant à étudier les mœurs des fourmis, c’est Part avec lequel elles construisent leur habitation, dont la grandeur paroît souvent contraster avec leur petitesse; c’est la variété de ces bâtimens, tantôt fabriqués avec de la terre, tantôt sculptés dans le tronc des arbres les plus durs, ou composés simplement de feuilles et de brins d’herbe ramassés de toutés parts; c’est enfin la manière dont ils répondent aux besoins des espèces qui les cons- truisent. Chemin faisant, j’essaierai d'amener le lecteur à concevoir l'espèce d'intelligence qu’on peut attribuer à ces insectes, dont quelques auteurs ont tant exagéré les facultés, l’ordre et la sagesse, et que d’autres n’ont peut-être pas assez appréciés. Les trois manières de bâtir dont je viens de parler admettent de nombreuses modifications ; car chaque espèce de fourmi est douée de quelque talent parutulier, J'indiquerai en quoi elles diffèrent, 2 8 RECHERCHES SUR LES quand j'aurai expliqué la marche générale de leur architecture (si lon peut appeler du même nom le travail simple et grossier d’un insecte, et un art perfectionné entre les mains de homme). 6 IL. De lart de bâtir chez les fourmis fauves. LA fourmi fauve est celle qui élève dans les bois ces monticules remarquables par leur grandeur. Elle est la plus facile à observer par sa taille , au-dessus de la moyenne ; par ses mœurs, dont les principaux traits se montrent au grand jour, et par la simplicité du travail qu’on lui voit faire. Elle est très-multüpliee dans toutes les parties de l’Europe ; aussi a-t-elle été l’objet de l'attention des Linnée, des de Geer, etc. Mais ces savans l’ayant étudiée sous un point de vue différent du mien, et mon plan ne me permettant pas de rapporter tout ce qu'ils ont dit sur ce sujet, après une Courte descripuon de ces insectes, je commencerai par expliquer la construction de leurs fourmilières, et je ferai con- noître en même tems la police très-exacte qu’ob- servent les fourmis de cette espèce. | MŒURS DES FOURMIS. | 1g Les fourmis fauves ouvrières sont longues de 5 à & lignes, et très-hautes sur jambes ; leur tête, plus lirge que le corselet, est fauve dans sa partie avancée, et noirâtre au sommet ; leur bouche est armée de deux mandibules très - fortes, dentées et crochues à la pointe ; elles les tiennent souvent ÉCartées, et S'en servent > non-seulement pour attaquer leurs ennemis et pour déchirer leur proie , mais encore pour porter des fardeaux, et pour tous les travaux que demande l'organisation de leur fourmilière. Elles ont les antennes noires et fli- formes ; leur corselet est bombé, relevé ante- rieurement comprime et comme tronqué dans sa Parüe postérieure ; il est souvent marqué d’une tache noire au-dessus : lé reste est d’un fauve clair. Le pédicule de l'abdomen est de la même couleur , et porte une grande écaille quelquefois un: Peu échancrée et noïrâtre à son bord supérieur. L’abdomen est brun ou noïr-cendré , légèrement velu, globuleux, composé de Cinq anneaux, sans Compter l’écaille, et dépourvu d’aiguillon, mais ,’ 9 cs L \ . 4, armé d’une vessie à venim. Les pates sont brunes , Et l’origine des cuisses est rougeâtre. On verra dans la suite que Jai disungué ces fourmis en deux 20 RECHERCHES SUR LES variétés, dont l’une a le dos noir, et l’autre de la même couleur que le reste du corselet. Cette différence , qui n’en apporte pas beaucoup dans les habitudes de ces insectes, sépare cependant celles qui vivent dans les bois, d’avec celles qui habitent le long des haies ou dans les prairies : ce sont ces dernières dont le corselet est tache de noir, et dont l’écaille est brune à son bord supérieur (1). Les unes et les autres ramassent auprès de leur habitation tous les brins de chaume , tous les fragmens ligneux, les petites pierres, les feuilles et autres objets à leur portée qui peuvent servir à en augmenter l’élévation, jusqu’à des teignes, de peuts coquillages, du blé, de lavoine ou de P Orge ; ce qui sans doute a donné lieu à leur ancienne renommée: mais si.ceite prévoyance qu'on leur supposoit n’a pas pour objet de les préserver de la faim pendant lhiver, époque où les fourmis sucre, et surtout pas de grains, elle ne mangent g n’en est pas moins admirable lorsqu’on la considère sous son véritable point de vue. (1) Voyez la description de la fourmi fauve, et surtout la note de la fin. MŒURS DES FOURMIS. 21 Ce monticule, qui, au premier coup-d'œil, ne Paroît qu'un amas de matériaux confuséement épars , est cependant, par sa simplicité et son orga- nisation, une invention ingénieuse pour éloigner | les eaux de la fourmiliète , pour la défendre des injures de l'air, des attaques de ses ennemis, et pour ménager la chaleur du soleil, ou la conserver dans l’intérieur du nid. L’assemblage des divers élémens dont il est composé présente toujours l'aspect d’un dôme arrondi, dont la base, souvent couverte de terre et de peuts cailloux, forme.une Zone au-dessus de kquelle s'élève en pain de sucre Îa partie ligneuse du bâtiment. Mais ce n’est encore là que la couverture exté- nieure de la fourmilière ; la porüon la plus consi- dérable en est cachée à nos yeux, et s'étend dans la terre à une profondeur plus ou moins grande. gees soigneusement , en Des avenues , ménag forme d’entonnoirs assez irréguliers | conduisent du faîte de la fourmilière dans l’intérieur : leur. nombre dépend de sa population et de son étendue ; ouverture en est plus ou moins large ; on en trouve quelquefois üne principale au sommet; souvent il ÿ eu a plusieurs à peu près égales, autour desquelles ge RECIIERCHES SUR LES beaucoup de passages plus étroits sont placés presque dans un ordre symétrique, circulairement ei jusqu’à la base du moniicule. Ces portes etoient nécessaires pour laisser une libre issue à ceite mulütude d’ouvrières dont leurs peuplades sont composées : non-seulement leurs travaux les appellent continuellement au dehors, mais, bien différentes des autres espèces, qui se tiennent volontiers dans leur nid, et à l'abri du soleil, les fourmis fauves semblent au contraire préférer de vivre en plein air, et ne pas craindre de faire en notre présence la plupart de leurs opérations. Si l’on observe la fourmi jaune ; li noir-cendrée, la sanguine, la brune, eic., on ne verra jamais chez elles d'entrées assez spacieuses pour laisser à leurs ennemis un accès facile , ou permettre à Veau des pluies de s’introduire dans leur habitation : elle est couverte d’un dôme de terre ferme de tous côtés; elle n’a d’issue que près de sa base, et mème on n'y parvient souvent que par une galerie longue et tortueuse qui serpente dans le gazon à plusieurs pieds de la fourmilière, D'ailleurs, la pettesse de ces portes, toujours bien gardees MŒURS DES FOURMIS. 23 au dedans, prévient l'entrée des insectes ou des repules qui pourroient s’y glisser. Les fourmis fauves, établies en foule pendant le jour sur leur nid, ne craignent pas d’être inquietées au dedans; mais le soir, lorsque, retirées dans le fond de leur habitation, elles ne peuvent s’aper- cevoir de ce qui se passe au dehors , comment sont-elles à Pabri des accidens dont elles sont menacées ? comment la pluie, ne pénètre-elle pas dans cette demeure, ouverte de toutes paris? Ces questions, si simples, ne paroissent point avoir occupé les naturalistes. N’ont-ils donc pas prévu les résultats auxquels ces fourmis auroient été ex- posées , si la sagesse qui règle PÜnivers n’eût pris soin de leur sûreté? Frappé de ces réflexions lorsque j'observois pour la première fois les fourmis fauves, je portai toute mon attention sur cet objet, et mes ._ doutes ne tardérent pas à se dissiper. Je n’aperçus que l’aspect de ces fourmilières changeoït d’une heure à l’autre, et que le Gsm de ces avenues spacieuses ; où tant de fourmis pouvoient se rencontrer à la fois, au milieu du jour, diminuoit graduellement jusqu'à la out. É r Leur ouverture disparoissoit enfin : le dôme étoit 54 RECHERCIHES SUR LES fermé de toutes paris, et les fourmis reuréesau fond de leur demeure. Cette première observation, en dirigeant mes regards sur les portes de ces fourmi- lières, éclareit infiniment mes idees sur le travail de leurs habitans, dont auparavant je ne devinois pas précisément le but: car il règne une telle agitation à la surface du nid ; on y voit tant d’in- sectes occupés à charier des matériaux, dans un sens et dans un autre, que ce mouvement n'offre d'autre image que celle de la confusion. Je vis donc clairement qu’elles travailloient à fermer leurs passages : elles apportoient d’abord, pour cela, de petites poutres auprès des galeries dont elles vouloient diminuer Pentrée ; elles les placoient au-dessus de l'ouverture , et les enfon- coient même quelquefois dans le massif de chaume. Elles alloient ensuite en chercher de nouvelles, qu’elles disposoient au-dessus des premières, dans un sens contraire, et paroissoient en choisir de moins fortes, à mesure que l’ouvrage étoit plus avance : enfin elles employérent des morceaux de feuilles sèches, ou d’autres matériaux d’une forme élargie, pour recouvrir le tout. N'est-ce pas là, en petit , lart de nos charpenters, lorsqu'ils établissent le MŒÜRS DES FOURMIS. 25 faite du bâtiment? La nature semble avoir partout devancé les inventions né nous nous glorifions : celle-ci est, sans doute, une des plus simples. Voilà nos fourmis en sûreté dans leur nd; elles se returent graduellement dans l’intérieur, avant que les dernières portes soient fermées , et il en reste , Une ou deux en dehors ou déhes derrière les portes, pour faire la garde , tandis que les autres se livrent au repos où à différentes occupations , dans la plus parfaite sécurité. J'étois impauent de savoir comment les choses se passoient le matin sur ces fourmilièr res : j'allai donc, un jour de nés hé heure, les visiter ; je les trouvai encore dans le même état où je les avois laissées la veille : quelques fourmis rôdoient sur les dehors du nid ; cependant il en sortof de tems en tems quelques-unes | par-dessous les bords des petits toits pratiqués à l’entrée des galeries, ei jen vis bientôt qui essayèrent d'enlever les barricades : elles y réussirent aisément. Ce travail les occupa pendant plusieurs heures, et je vis enfin les passages libres de tout ns » €t les matériaux qui les obstruoient ; repartis çà et là sur la fourmilière. Chaque jour, soir et matin, pendam la belle # 26 RECHERCHES SUR LES saison ; j'ai revu les mêmes faits, à l'exception cependant des jours de pluie , où les portes restent fermées sur toutes les fourmilières. Lorsque le ciel est nébuleux dès le matin, les fourmis , qui paroissent s’en apercévoir, n’ouvrent qu’en partie l’entrée de leurs avenues, et lorsque la pluie com- mence, elles se hâtent de les refermer : il paroït, d’après cela, qu’elles n’ignorent pas la raison pour laquelle elles construisent ces clôtures mo- mentanées. Pour concevoir la formation du toit de chaume ; voyons ce qu'étoit la fourmilière dans origine. Elle n'est au commencement qu’une cavité pratiquée dans la terre : une partie de ses habitans va chercher aux environs des matériaux propres à la construc- ton de la charpente extérieure ; ils les disposent ensuite dans un ordre peu régulier, mais suffisant e w > is D X f > pour en recouvrir l’entrée. D’auires fourmis ap- portent de la terre qu’elles ont enlevee au fond du nid, dont elles creusent l’intérieur, et cette terre, mélangée avec les brins de bois et de feuilles qui sont apportés à chaque instant, donne une certaine consistance à l'édifice : 1l s'élève de jour en jour ; cependant les fourmis ont soin de laisser des espaces MŒURS DES FOURMIS. 27. vides pour ces galeries > Qui conduisent au dehors 3 et comme elles enlèvent, le matin , les barrières qu’elles ont posées à l'entrée du nid la veille , les conduits se conservent, tandis que le reste de la fourmilière s’élève. Elle prend déjà une forme bombée, mais on se tromperoit si on la croyoit massive. Ce toit devoit encore servir sous un autre point de vue à nos insectes ; 1l étoit destine à con- tenir de nombreux étages, et voici de quelle manière ils sont construits. Je puis en parler pour lavoir VU au travers d’un carreau de verre que javois ajusté contre une fourmilière. C'est par excavation , en minant leur édifice même, qu’elles y pratiquent des salles très-spa- cieuses, fort basses, à la vérité, et d’une cons truction grossière ; mais elles sont commodes pour Pusage auquel elles sont destinées, celui de pouvoir y déposer les larves etles nymphes à certaines heures du jour. Ces espaces vides communiquent entre eux par des galeries faites de la même manière. Si les matériaux du nid n’étoient qu’entrelassés les uns avec les autres > 1ls céderoient trop facile- ment aux efforts des fourmis, et tomberoient con- À fusément lorsqu'elles porteroient atteinte À leur .28 RECHERCHES SUR LES ordre primitif ; mais la terre contenue entre les couches dont le monticule est compose , étant délayée par l’eau des pluies, et durcie ensuite par le soleil, sert à lier ensemble toutes les parties de la fourmilière, de manicre, cependant, à permettre aux fourmis d’en séparer quelques fragmens sans détruire le reste : d’ailleurs elle s’oppose si bien à l'introduction de l’eau dans le md, que Je se ai jamais trouve ( même après de longues pluies ) l’intérieur mouillé à plus d’un quart de pouce de la surface, à moins que la fournuhère n’eût été dérangée , ou ne fût abandonnée par ses habitans. O Les fourmis en sont donc bien à l’abri au fond de leurs cases : la plus grande est presque au centre de l'édifice ; ‘elle est beaucoup plus élevée que les autres, et traversée seulement par les pouires qui soutiennent le plafond : c’est là qu’aboutissent toutes les galeries , et que se üennent la plupart des fournaus. Quant à la parue souterraine de la fournuliere , 2? » on ne peut lobserver que lorsqu'elle est placée contre une pente ; alors, en enlevant le monucule de chaume, on aperçoit toute la coupe imtérieure du bâtiment: ces souterrains présentent des étages MŒURS DES FOURMIS. 29 composés de loges creusées dans la terre et pra- tiquées dans un sens horizontal. Cette parue de l'architecture des fourmis fauves appartenant de même aux fourmis maconnes, dont « . * À " \ 4 à Û Je vais parler, je ne m’arrêterai pas à la décrire, Mais je passerai tout de suite aux travaux de celles- «, dont l’industrie mérite de fixer notre attention. . $ II. Architecture des fourmis maçonnes. J’'APPELLE fourmis maçonnes celles dont les nids. présentent au dehors l’aspect de monticules de terre, sans mélange d’autres matériaux , etau dedans celui de labyrinthes, de loges, de voûtes et de galeries construites avec art. Il y a plusieurs espèces de fourmis maconnes : la terre dont leurs nids sont formés est plus ou moins compacte. Celle qu’emploient les fourmis d’une certaine gran- deur, telles que la now-cendrée et la mineuse, paroït être moins choisie et d’une pâte moins fine que celle dont la fourmi brune la microscopique et la jaune construisent leur demeure. Elle est Proportionnée à leurs moyens , à leurs usages et à s 306 RECHERCHES SUR LES Ja nature de lédifice qu’elles se proposent d’élever. Si l’on veut juger du plan intérieur des fourmi- lières, il convient de choisir celles qui n’ont pas été gâtées accidentellement, et dont la forme n’a pas été trop altérée par les circonstances locales : il suffira, alors, d’une attention médiocre pour s’apercevoir que les fourmilières d'espèces diffé- rentes ne sont pas construites dans le même système. Ainsi le monucule élevé par les fournus noir- tendrées 0ftira toujours des murs épais, formes d’une terre grossière et raboteuse , des étages très- prononcés , et de larges voûtes, soutenues par des piliers solides : on n’y trouvera ni chemins, ni galeries proprement dites, mais des passages en forme d’œil-de-bœuf : partout de grands vides, de gros massifs de terre , et l’on remarquera que les fourmis ont conservé une certaine proportion entre les piliers et la largeur des voûtes auxquelles ils. servent de supports. La fourmi brune , l’une des plus petites, se fait particulièrement remarquer par la perfecüon de son travail. Elle a le COrps d’un brun rougeitre luisant, la tête un peu plus foncée , les antennes et les pates plus claires, labdomen d'un brun MŒURS DES FOURMIS. 31 obscur, lécaille étroite , Carrée, et foiblement echancrée : la longueur du corps est d’une ligne 2(r). Cette fourmi, l’une des plus industrieuses ; COns: truit son nid par étages de 4 à 5 lignes de baut , dont les cloisons n’ont pas plus. d’une demi-ligne d'épaisseur , et dont la matière est d’un grain si fin que la surface des murs intérieurs en paroît fort unie. Ces étages ne sont point horizontaux ; ils suivent la pente de la fourmilière : de sorte que le supérieur recouvre tous les autres, le suivant embrasse tous ceux qui sont au-dessous de lui , et ainsi de suite, jusqu’au rez-de-chaussée, qui com- munique avec les logemens souterrains. Cependant Us ne sont Pas toujours arranges avec la même régularité > Car les fourmis ne suivent pas un plan bien fixe ; il semble , au contraire, que la nature leur ait laissé une certaine lautude à cet égard, et qu’elles peuvent, selon les circonstances , le modi- fier à leur gré; mais quelque bizarre que puisse paroître leur maçonnerie , on reconnoît toujours qu’elle a été formée par étage concentrique. Si lon examine chaque étage séparément, on ÿ: 1 anses, (13 V oyez les notes, 39 RUCHERCHES SUR LES voit des cavités travaillées avec som, en forme de salles ; des loges plus étroites et des galeries alon- gées qui leur servent de communicauion. Les voutes des places les plus spacieuses sont supportées par de peutes colonnes , par des murs fort minces, ou enfin par de vrais arc - boutans. Ailleurs, on voit des cases qui n’ont qu'une seule entrée ; il en est dont l'orifice répond à l'étage inférieur : on peut encore y remarquer des espaces très-larges, perces de toutes parts et formant une sorte de carrefour, . > é \ ï où toutes les rues abouüssent. Tel est à peu près l'esprit dans lequel sont construites les habitations : de ces fourmis : lorsqu'on les ouvre , on trouve les cases et les places les plus étendues remplies de fourmis adultes ; mais on voit toujours que leurs nymphes sont réunies dans les loges plus ou moins rapprochées de la surface , suivant les heures et la température, Car à cet égard les fourmis sont douées d’une grande sensibilité , et paroissent connoître le degré de chaleur qui convient à leurs peuts. La fourmilière contient quelquefois plus de vingt étages dans sa partie supéneure , et, pour le moins, autant au-dessous du sol. Çombien de nuances de chaleur doit admetire une telle disposition, et quelle MŒURS DES FOURMIS. 33 quelle facilité les fourmis ne se procurent- elles pas Par ce moyen, pour la graduer? Quand un soleil trop ardent rend leurs appartemens supérieurs _ plus chauds qu’elles ne le désirent, elles se retirent avec leurs petits dans le fond de la fourmilière. Le rez-de-chaussée devenant à son tour inhabi- table pendant les pluies, les fourmis de cette espèce transportent tout ce qui les intéresse dans les étages les plus élevés, et c’est là qu’on les trouve rassemblées avec leurs nymphes et leurs œufs, lorsque leurs souterrains sont submerges. [ ne suflisoit pas de connoître la disposition intérieure de ces fourmilières, il falloit encore découvrir comment les fourmis, travaillant dans une matière assez dure, avoient pu ébaucher et finir des ouvrages aussi délicats, avec le seul secours de leurs dents; comment elles savoient ramollir la terre pour la miner, la pétrir et la maÇOnRer : quel ciment elles employoient pour Joindre en- semble ses particules. Étoit-ce au moyen d’un mucilage , d’une résine ou de quelqu'autre suc tiré de leur propre Corps, et semblable à celui dont se sert l'abeille maconne pour bätür le nid auquel elle donne tant de solidité ? ee a" 54 RECIERCHES SUR LES J’aurois peut-être dû analyser la terre dont les fourmilières sont composées ; mais je craignis de m’engager dans des difficultés qui n’étoient point de mon ressort, et je m'en üns à la voie lente et sûre de lobservauon, au moyen de laquelle j’es- pérois parvenir au même résultat. À Je m’obstuinai done à observer une de ces four- milières, Jusqu'à ce que j'apercusse quelque chan- gement dans sa forme. Les habitans de celle que ÿavois choisie demeu-- roient pendant le jour renfermes chez eux , ou sor- toient par des galeries souterraines dont l'issue étoit à quelques pieds dans la prairie. Il y avoit cependant deux ou trois peutes ouvertures à la surface du nid, mais on n’en voyoit sorür. aucune ouvrière, parce qu’elles étoient exposées à l’ardeur du soleil, ce que ces insectes redoutent infiniment. Cette fourmilière avoit une forme arrondie; son dôme s’élevoit dans l’herbe , au bord d’un sentier, et n’avoit été aliéré par aucune cause étrangére. .. Je ne tardai pas à m’apercevoir que la fraîcheur et la rosée invitoient ces fourmis à se ‘promener sur léur nid; elles y pratiquoient de nouvelles SE . . é A Je issues : on les voyoit arriver plusieurs à la fois ; MŒURS DES FOURMIS. 35 mettre leur tête hors du trou, én remuant leurs antennes, et sorür enfin pour aller et venir dans les environs. | Ceci me rappela une singulière opinion des an Clens. [ls croyoient que les fourmis travailloient la nuit , lorsque la lune est dans son plein. Cette idéé métoit peut-être pas sans fondement : et quoique la lune n’eût, sans doute , aucune influence sur leur conduite : j'entrevoyois quelque chose de vrai dans cette observation. Ayant donc épié les mou vemens de ces insectes pendant la nuit, je m’as- Surai qu'ils étoient presque toujours dehors, et OCcupés sur le dôme de leur habitation , après le Coucher du soleil. C’étoit lopposé de ce que j'avois vu chez les fourmis fauves, qui ne sortent que le jour et ferment leurs portes le soir. Le Contraste étoit encore plus étonnant que je ne l’avois sup+ posé d’abord; car ayant visité les fourmis brunes quelques jours après, par une pluie douce » je pus les voir déployer tous leurs talens pour l’architecture: Dès que la pluie commenca, je les vis sortir en assez grand nombre de leurs souterrains ; ‘elles ren- trèrent aussitôt, mais revinrent ensuite, tenant entre - leurs dents des molécules de terre, qu’elles dépo- , Dee ce di Ds | = LT TE RE ana ga EAST (care 356 RECHERCHES SUR LES sérent sur le faîte de leur nid. Je ne concevois pas, au premier abord , ce qui devoit en résulter ; mais je vis bientôt s'élever de toutes paris de petits murs qui laissoient entre eux des espaces vides. En plusieurs endroits, des piliers placés à distance des uns des autres annonçoïent déjà la forme des salles, des loges et des chemins que les fourmis se propo- soient d'établir : c’etoit, en un mot, l’ebauche d’un nouvel étage. J’observai avec curiosité les momdres mouvemens de mes maçonnes, et je vis bientôt qu’elles ne tra- vailloient point à la manière des guêpes ou des bourdons lorsqu'ils sont occupés à faire l'enveloppe de leur nid. Ceux-ci se mettent, pour ainsi dire, à _cheval sur le bord de cette enveloppe, et la prennent entre leurs denis, pour la modeler et laminoir à leur gre : la cire dont elle est composée, et le papier dont la guêpe se sert, humecté au moyen d’une sorte de colle, se prêtent à ce genre de travail; mais la terre, souvent très-mcohérente, : dont les fourmis font usage , devoit être maçonnée d’une autre mamiére. Chaque fourmi apportoit donc entre ses dents une petite pelote de terre qu'elle avoit formée MŒURS DES FOURMIS. . 37 €n ratissant le fond des souterrains avec le bout : de ses mandibules (ce que j'ai vu souvent au grand jour): cette petite masse de terre étant composée de parcelles réunies seulement depuis quelques instans , Pouvoit aisément se prêter à l'usage que les fourmis vouloient en faire; ainsi, lorsqu'elles l’avoient appliquée à l'endroit où elle devoit rester, elles la divisoient et la poussoient avec leurs dents, de manière à remplir les plus pétites inégalités de leur muraille. Leurs antennes suivoient tous leurs Mmouvemens, en palpant chaque brin de terre, et quand ils étoient disposés ainsi , la fourmi les affer- missoit en les pressant légèrement avec ses pates antérieures : ce travail alloit fort vite. Après avoir tracé le plan de leur maconnerie , en plaçant çà et là les fondemens des piliers et des cloisons qu’elles vouloient établir, elles leur don- noïent plus de relief, en ajoutant de nouveaux Matériaux ‘au-dessus des premiers. Souvent deux peüuts murs, destinés à former une galerie, s’éle- voient vis-à-vis l’un de l’autre et à peu de distance ; lorsqu'ils étoient à la hauteur de 4 ou 5 lignes, les fourmis s occupoient à recouvrir le vide qu'ils laissoient enu’eux , au moyen dun plafond de \ 58 RECHERCHES SUR LES forme ceintrée : cessant alors de travailler en mon- tant, comme si elles avoient jugé leurs murs assez élevés , elles placoient contre l’arrête intérieure de l’un et de l’autre , des brins de terre mouillée, dans un sens presque horizontal, de manière à former au-dessus de chaque mur un rebord qui devoit , en s’elargissant, rencontrer celui du mur Opposé : leur épaisseur étoit ordinairement d’une demi- ligne. La largeur des galeries qui résulioient de ce travail étoit le plus souvent d’un quart de pouce. - Ici plusieurs cloisons verticales formoient lé- bauche d’une loge qui communiquoit avec différens corridors par des ouvertures meénagées dans Ja ma- connerie; là c’étoit une véritable salle dont les voñtes étoient soutenues par de nombreux piliers; plus loin on reconnoissort le dessin d’un de ces carrefours dont j'ai parlé ci-dessus, et auquel abou- üssent plusieurs avenues. Ces places étoient les plus spacieuses ; cependant les fourmis ne paroïssoient point embarrassées à faire le plancher qui devoit les recOUVrIr ; quoiqu'elles eussent souvent deux - pouces et plus de largeur : c’étoit dans les angles formés par la rencontre des murs, puis le long de leurs bords supérieurs, qu’elles en placoient les MŒURS DES FOURMIS. 959 Premiers élémens ; et de la sommité de chaque Pilier s’étendoit | comme d'autant de centres, une couche de terre horizontale et un peu bombée qui alloit se joindre à d’autres parties de la même voûte , partant de différens points de la grande place publique. _ Cetie foule de maçonnes, arrivant de toutes paris avec la parcelle de mortier qu’elles vouloient ajouter au bâtiment : l’ordre quelles observoient dans leurs Opérations , l’accord qui régnoit entré elles, l'activité avec laquelle elles profitoient de la pluie pour augmenter l'élévation de leur demeure . offroient l'aspect le plus intéressant pour un ad- firateur de la nature. Cependant, je craignois quelquefois que leur édifice né püt pas résister à sa propre pesanteur, et que ces plafonds, si larges, soutenus seulement par quelques piliers, ne s’écroulassent sous le poids de Peau qui tomiboit continuellement > et sem- bloit devoir les démolir; mais Je me rassurai en voyant que la terre apportée par ces insectes adhéroït de toutes parts au plus léger contact , et que la pluie , au lieu de diminuer la cohésion de ses particules, sembloit augmenter encore. Ainsi, ie) RECHERCHES SUR LES loin de nuire au bâtiment par sa chute , elle con- wibue donc à le rendre plus solide. Ces parcelles de terre mouillée, qui ne üennent encore que par juxta-position , nattendent qu'une averse qui les lie plus étroitement, et vernisse, pour ainsi dire, la surface du plafond qu’elles composent, ou les murs et les galeries restées à découvert. Alors les inégalités de la maçonnerie disparoissent ; le dessus de ces étages, composés de tant de pièces rappor- iées, ne présente plus qu'une seule couche de terre bien unie, et n’a besoin, pour se consohder entièrement , que de la chaleur du soleil. Ce n’est pas qu'une pluie trop violente ne dé- iruise quelquefois plusieurs cases, surtout lorsqu'elles sont peu vottees ; mais les fourmis ne tardent pas à les relever avec une patience admirable. Ces différens travaux s’exécutoient à la fois sur toutes les parues de la fourmilière qu'on vient de décrire : ils se suivoient de si près dans ses nombreux quartiers, qu’elle se trouva augmentée d’un étage complet en 7 à 8 heures. Car toutes ces voüies, jetées d’un mur à Pautre, étant à la même distance du plan sur lequel elles s’élevoient, ne formèrent qu'un seul plafond lorsqu'elles furent MŒURS DES FOURMIS. 43 terminées, et que les bords des unes atteignirent ceux des autres. | À peine les. fourmis: eurent elles achevé cet étage qu'elles en bâtirent un nouveau; mais elles n’eurent pas le tems de le finir ; la pluie cessa avant que leur plafond fût entièrement construit. Elles travaillèrent cependant encore quelques heures, en profitant de l'humidité de la terre ; mais le vent du nord s'étant levé avec violence, il la dessécha trop promptement ; de manière que les fragmens rap- portés n’avoient plus la même adhérence , et se réduisoient en poudre : les fourmis voyant le peu de succès de leurs efforts, se découragérent enfin, €t renoncèrent à bâtir; mais, ce dont je fus étonné, c’est qu'elles détruisirent toutes les cases et les murs qui n’étoient pas encore recouverts , et réparurent les débris de ces ébauches sur le der nier étage de la fourmilière. Ces faits prouvent incontestablement qu’elles n’emploient ni gomme, ni aucun autre espèce de cimeht pour lier ensemble les matériaux de leur nid : elles sont donc instruites à se servir de Peau | . Pour maçonner la terre, et savent profiter du soleil et du vent pour durcir leur ouvrage. À la simplicité 43 RECHERCHES SUR LES de ces moyens , je reconnoissois les voies de la nature ; cependant je crus devoir faire encore une expérience, pour me convaincre entiérement de l'exactitude de ces résultats. À quelques jours de B, j'essayai de les exciter à reprendre leurs travaux, au moyen d’une pluie artificielle. Je pris pour céla une brosse très-forte, que je plongeai dans l’eau , et, en passant ma main sur ses crins , dans un sens et dans l’autre, je faisois jallir sur la fourmilière une rosée extrêmement fine. Les fourmis, depuis l’intérieur de leur demeure, s’'apercurent fort bien de l’humidité de leur toit ; elles sorürent et coururent rapidement à la surface. L’arrosement continuoït ; les maçonnes y furent irompeées : elles allérent se pourvoir de brins de terre au fond du nid, revinrent les placer sur le faite, et bätirent des murs, des cases, en un mot, un, étage complet en quelques heures. Jai souvent répété cette expérience, et toujours avec le même succès. C’est surtout au printems que les fourmis maçonnes profitent de la pluie pour agrandir leur nid ; la nuit même ne les arrête pas, et Jai fréquemment trouvé, le matin, des étages entièrement construits pendant Pobscurité. MŒURS DES FOURMIS. 43. Les fourmis ne se contentent pas d'augmenter l'élévation de leur demeure , elles creusent dans la terre des appartemens plus spacieuses encore , et les matériaux qu’elles en retirent sont employés , Comme nous Pavons déjà dit, dans leurs construc- Uons extérieures : ainsi l’art de ces insectes consiste à savoir exécuter à la fois deux opérations op- posées; lune. de miner, et l'autre de bâur; et à faire servir la première à l'avantage de la seconde ; ce qu'il y a de plus singulier, c’est qu’on observe le même esprit dans ces excavations que dans la Parüe du bâtiment qui s'élève au-dessus du sol. L'’humidité qui pénètre au fond de leur nid » les aide sans doute dans ces travaux. $ÿ III. Architecture des fourmis noir-cendrées. Ces fourmis ; dont on trouvera une description beaucoup plus détaillée à la fin de cet Ouvrage, ont pour caractère distinctif » Selon M. Latreille, d'avoir le corps, la tête et l'abdomen noir-cendrés , luisans ; le bas des antennes et les pates rou- geâtres, lécaille grande , presque triangulaire, et trois petis yeux lisses. 44 RECHÉRCHES SUR LES Les fourmis noir-cendrées ont une manière de bâur bien différente des fourmis brunes : on a déjà Vu, par la description de leurs logemens, qu’elles ne possédoient qu’un art simple et grossier , relati- vement à celui de ces derméres. Cette simplicite même étoit à mes yeux une condition précieuse ur Pob: — «. étoit d pour l’objet que je me proposois: c’étoit d'examiner, s'il étoit possible, comment tant de fourmis pou- voient concourir à l'exécution d’un même dessin, et s'entendre dans la conduite de leurs travaux ; de découvrir si elles agissoient de concert ou indé- pendamment les unes des autres, par leur propre impulsion ou par l'effet d'un mouvement général. Je ne me flatte point d’avoir décidé ces grandes questions; mais les faits que je vais rapporter pourront du moims jeter quelque lumière sur ce sujet. | | Lorsque les fourmis noir-cendrees veulent don- ner plus d’élévauon à leur demeure, elles com- mencent par en couvrir le faîte d’une épaisse couche de terre qu’elles apportent de l'intérieur; et c’est dans ceite couche même quelles tracent, en creux et en relief , le plan d’un nouvel étage : elles creusent d’abord cà et là, dans cette terre meuble, MŒURS DES FOURMIS. 45 de petits fossés plus OÙ MOINS rapprochés les uns des autres, et d’une largeur proportionnée à leur destination: elles leur donnent une profondeur à Peu près égale : les massifs de terre qu'ils laissent Entre eux doivent servir ensuite de base aux murs intérieurs , de manière qu'après avoir enlevé toute la terre inutile au fond de chaque case, et réduit à leur juste épaisseur les fondemens de ces murs , il ne reste plus à leurs architectes qu'à en aug- menter la hauteur et à recouvrir d’un plafond les loges qui en résultent. | Après avoir observé l'esprit dans lequel étoient Construites ces fourmiliéres , je sentis que le seul moyen de pénétrer dans les véritables secrets de leur organisation | étoit de suivre individuellement la conduite des ouvrières ocpupées à les élever. Mes journaux sont remphs d'observations de ce genre : je vais en extraire quelques-unes , qui mont paru intéressantes. Je décrirai donc ici les manœuvres d’une seule fourmi que j'ai pu suivre assez long- items pour satisfaire Ma Curiosité. Un jour/de pluie je vis une ouvrière creuser le sol auprès d’un trou qui servoit de porte à la fourmilière : elle accumuloit les brins qu’elle avoit A6 RECIHERCHES SUR LES détachés , et en faisoit de petites peloties, qu'elle portoit cà et là sur le nid; elle revenoit constam- ment à la même place, et paroissoit avoir un dessein marqué, car elle travailloit avec ardeur et perse- vérance. Je découvris d’abord en cet endroit un léger sillon tracé dans l'épaisseur du terrain ; il étoit en ligne droite , et pouvoit représenter lPébauche d’un sentier ou d’une galerie : Pouvrière, dont tous les mouveméns se faisoient sous mes yeux, lui donna plus de profondeur , Pélargit, nettoya ses bords, et je vis enfin, sans pouvoir en douter, qu’elle avoit eu l'intention d’etablir une avenue conduisant d’une certame case à l’ouverture du souterrain. Ce sentier, long de 2 à 5 pouces , formé par une seule ouvrière , étoit ouvért au-dessus , et bordé des deux côtés d’une butte de terre : sa con- cavité, en forme de gouttière, se trouva d’une régularité parfaite, Car l'architecte n’avoit pas laissé dans cette parte un seul atome de trop. Le travail de cette fourmi étoit si suivi et si bien { entendu , que je devinois presque toujours ce qu’elle vouloit faire, et le fragment qu’elle alloit enlever. À côté de Pouverture où ce sentier aboutissoit ; MŒURS DES FOURMIS. 47 en etoit une seconde, à laquelle il falloit aussi par- Venir par quelque chemin : la même fourmi exécuta seule cette nouvelle entreprise; elle sillonna encore l'épaisseur du sol » €t Ouvril un autre sentier paral- lèlement au premier » de sorte qu'ils laissoient entre EUX un peut mur de 3 à 4 lignes de hauteur, Les fourmis qui tracent le plan d’un mur d’une Case, d’une galerie, etc. , travaillant chacune dé leur côté, 1l leur arrive quelquefois de ne pas faire coïncider exactement les parties d’un même objet, ou d’objets différens; ces exemples ne sont Pas rares, mais ils ne les embarrassent point : en Voici un où l’on verra que louvrière découvrit P : : erreur, et sut la réparer. Là s’élevoit un mur d’aitente ; il sembloit place de manière à devoir soutenir une votite encore incomplète jetée depuis le bord opposé d'une grande case; mais ouvrière qui Pavoit commencée lui avoit donné trop peu d’élévation pour le mur sur lequel elle devoit reposer : si elle eût été con- ünuée sur le même plan, elle auroit infailliblement rencontré cette cloison à la moitié de la hauteur, £t c’étoit ce qu'il falloit éviter : cette remarque Critique m’occupoit justement , lorsqu'une fourmi 48 | RECHERCHES SUR LES arrivée sur la place, après avoir visité ces ouvrages, parut être frappée de la même difficulté , car elle commenca aussitôt à détruire la voûte ébauchée , releva le mur sur lequel elle reposoit , et fit une nouvelle voûte, sous mes ÿeux, avec les débris de l’ancienne. C’est surtout lorsque les fourmis commencent quelque entreprise, que l’on croiroit voir une idée naître dans leur esprit, et:se réaliser par l'exécution. Ainsi, quand lune d’elles découvre sur le nid deux brins d'herbe qui se croisent et peuvent favoriser la formauon d’une loge ou quelques petites poutres qui en dessinent les angles et les côtés, on la voit examiner les parties de cet ensemble , puis placer, avec beaucoup de suite et d'adresse, des parcelles de terre dans les vides et le long des üges: prendre de toutes paris les matériaux à sa convenance , quelquefois même sans ménager l'ouvrage que d’autres ont ébauché : tant elle est dominée par . , , « . l'idée qu’elle a conçue, et qu’elle suit sans dis- traction. Elle va, vient, retourne jusqu’à ce que son plan soït devenu sensible pour d’autres fourmis. Dans une autre parue de la même fourmilière ; plusieurs brins de paille sembloïent placés exprès pour MŒURS DES FOURMIS, 49 Pour faire la charpente du toit d’une grande case : une ouvrière saisit l’avantage de cette disposition ; ces fragmens , couchés horizontalement 4 demi- Pouce du terrain, formoient > en se croisant, Un parallélogramme alongé. L'industrieux insecte Placa d’abord de la terre dans tous les angles de cette charpente , et le long des petites poutres dont elle étoit composée ; la même ouvrière établit ensuite plusieurs rangées de ces matériaux les unes contre les autres, en sorte que le toit de cette case commencçoit à être trés-disunct , lorsqu’ ayant aperçu la possibilité de profiter d’une autre plante | Pour appuyer un mur verücal, elle en plaça de même les fondemens. D’autres fourmis étant alors survenues , elles achevérent en commun les ou- vrages que la première avoit commentcés. D’après ces observations et mille autres sem— blables, je me suis assuré que chaque fourmi agit indépendamment de ses compagnes. La première ; qui conçoit un plan d’une exécution facile en trace aussitôt l’esquisse ; les autres n’ont plus qu’à Continuer ce qu’elle a commencé : celles-ci jugent Par l'inspection des premiers travaux de ceux qu’elles doivent entreprendre ; elles savent toutes 4 bo RECHERCHES SUR LES ébaucher , continuer , polir ou retoucher leur ouvrage , selon l’occasion : Peau leur fournit le ciment dont elles ont besoin ; le soleil et air dur- cissent la matière de leurs édifices ; elles n’ont d'autre ciseau que leurs dents, d'autre compas que Los antennes, et de truelle que leurs pates de devant, dont elles se servent d’une manière admi- rable pour appuyer et consolider leur terre mouillée. . Ce sont là les moyens matériels et mécaniques qui leur sont donnes pour bâur ; elles Hirôtent donc pu, en suivant.un insünct purement machinal , exécuter avec exactitude un plan géométrique et invariable : construire des murs égaux, des voûtes dont la courbure , calculée d’avance, n’auroït exigé qu'une obéissance servile ; et nous maurions ete que mediocrement surpris de leur industrie; mais, pour élever ces dômes irréguliers, composés de tant d’étages ; pour distribuer d’une manière commode et varice les appartemens qu'ils contiennent , € saisir les tems les plus favorables à leurs travaux ; mais Surlout pour savoir se conduire selon les circonstances ,. profiter des points d'appui qui se présentent, et juger de l'avantage de 1elles ou telles opérations, ne falloit-il pas qu'elles fussent: MŒURS DES FOURMIS. 5x douces de facultés assez rapprochées ée. Pintelli- $ence , et que, loin de les traiter en automates ,la Nature leur laissät entrevoir le but des travaux aux- Quels elles sont destinées ? 11 me seroit facile de muluplier ici les exemples À de l’industrie des fourmis > €n racontant encore de quelle manière plusieurs autres espèces construisent leur demeure e; mais, afin de ne Pas trop abuser de la pauence des lecteurs , > Je ne parlerai avec détail m1 des travaux de la fourmi des gazons , qui bâtit de petites cases les unes au- dns dés autres, le long des brins d'herbes , et qui sait au besoin faire tenir ensemble des grains de sable, soit par leur Seule position, soit par le mélange d’un peu de -lerre mouillée; ni de ceux de la fourmi sanguine , Qui sait composer avec de la terre > des feuilles Sèches et d’autres matériaux "+ un tissu serré , . difficile à rompre, et impénétrable à l'eau: mi de ces Baleries couvertes que les fourmis brunes Construisent avec de la terre, depuis leur nid jus- Œu'au pied des arbres, et quelquefois même jusqu’à l’origine des branches, afin de parvenir avec plus de sécurité dénis les lieux où elles trouvent leur. AOurriture > EEG. etc. RECHERCHES SUR LES 6 IV. Architecture des fourmis qui sculptent le bois, N’EsT-1L pas étonnant que la nature ait donné aux insectes d’un même genre des mœurs si variées et une industrie complètement différente ? Les fourmis en sont un des exemples les plus frappans. Nous venons de voir qu'il y a plusieurs espèces de fourmis maçonnes , dont aucune ne bâut de la, même manière , et qu’elles offrent toutes quelques particularités rémarquables dans leur architecture. Celle des fourmis fauves est fondée sur des principes différens; enfin l’industrie des fourmis qui sculptent le bois n’a aucun rapport avec celles dont on vient de parler. Ce genre renferme plusieurs espèces, et nous observerons encore dans leurs travaux des nuances trés-sensibles. Tous ces insectes entrent dans la première des neufs divisions que Latreille a. tracées chez les fourmis; elle renferme la fourmi brune , la noir-cendrée , la fourmi fauve, la mineuse, la sanguine, la fuligineuse, la jaune, etc. Ces fourmis ont les mêmes organes extérieurs, des moyens de construction semblables , et des rapports de forme qui les ont fait renfermer dans MŒURS DES FOURMIS: 53 une même section; cependant ; leur instinct les place à une grande distance les unes des autres : il tst donc vrai qu'on ne peut toujours juger des Mœurs des insectes par analogie. Les travaux des fourmis sculpteuses, moins en évidence que ceux des précédentes , ont Soheppe aux observations des naturalistes. La fourmi qui tient le premier rang entre celles de ce genre cest la fuligineuse, ainsi appelée à Cause de sa couleur. Elle est noire-luisante, et longue de 2 lignes; ses républiques, composées dan trés-grand ee d'individus, sont moins Communes que celles dont nous ayons parlé Jusqu'ici. Qu'on se représente l'intérieur d’un arbre en- Uérement sculpté, des étages sans nombre , plus Où moms horizontaux, dont les planchers et les plafonds , à cinq ou Six lignes de distance les uns des autres, sont aussi minces qu une Carte à à jouer, | supportés tantôt par des cloisons verticales, qui forment une infinité de cases , tantôt par une mul- Uütude de petites colonnes assez légères , qui lais- Sent voir entr’elles la profondeur d’un étage pres- fWentier ; le tout d’un boïs noirâtre et enfumé ; er Sn ES cites Do dat gi "ES P4 RECHERCHES SUR LES | | 2 et l’on aura une idée assez juste des té de ces fourmis. La plupart des cloisons verticales qui divisent chaque ‘étage en compartüimens, sont parallèles ; elles suivent le sens des couches ligneuses, tou- jours concentriques, ce qui donne un air de ré gularité à l’ouvrage : les planchers, pris dans leur ensemble , sont horizontaux; les petites colonnes : sont d’une à deux lignes d'épaisseur, plus ou moins arrondies , d’une hauteur égale à l’élévation de Pétage qu’elles supportent , plus larges en haut et en bas que dans le milieu > un, peu aplaties à leurs extrémités, et rangées en lignes, parce qu’elles ont été taillées dans des cloisons parallèles. Quels nombreux appartemens , quelle multitude de loges, de salles, de corridors ces insectes ne se procurent-ils pas par leur seule industrie; et quel travail une si grande entreprise n’a-t-elle pas dû leur coûter ! Le bois dans lequel les fourmis de cette espèce sculptent ces labyrinthes prend une couleur noi- râtre. Est-elle due aux sucs des vaisseaux de F arbre, qui étant extravasés se seroient combinés avec les principes de Pair, ou avec les émanations des _MŒURS DES FOURMIS: 55. fourmis elles-mêmes , dont l’odeur trés-forte peut n'être pas sans influence sur ces fluides? Ou les dec du bé étant mises à découvert par ces insectes auroient- “elles subi quelques décompo- Sitions par Pos de lPacide formique ? C’est ce que je ne déciderai point ; mais ce que je puis assurer, c’est que le bois travaillé par ces four- mis est toujours. noirâtre à l'extérieur ; de même couleur au dedans , Sal est très-mince, et de cou- leur naturelle intérieurement lorsqu'il a quelque épaisseur ; que le bois de chêne, de saule "ét celui .de tous les autres arbres où jai vu ces fourmis établies à prend également ces couleurs. J'ai observé aussi plusieurs autres espèces de four- ‘. lus lôgées dans l’intérieur des arbres , et celles- Ci ne lui donnoient jamais cette apparence : j’ai Vu très-souvent, au pied de ceux qui étoient ha- bites par les fourmis fuligimenses, un suc noir et hquide très-abondant : à quoi doit-il être attribué ? La végétauon de ces arbres ne paroissoit : point alteree par les travaux de ces insectes. Il eût ete fort curieux d'observer les fourmis Occupees à sculpter le bois dans lequel elles éta- blissent leur. habitation ; On eût peut-être appris 56 RECHERCIIES SUR LES l’origine de cette teinture noire dont il est recou- vert; mais les ouvrières de cette espèce, tra- vaillant toujours dans l’intérieur des arbres, et vou- lant être dans l’obscurité, nous ôtoient lPespé- rance de pouvoir suivre leurs procédés : je mai point épargne les essais de tous genres pour sur- monter les difficultés que présentoient ces re- cherches. J'ai vainement espere d’accoutumer ces fourmis à vivre et à travailler sous mes yeux , elles wont pu se faire à la dépendance; elles aban- donnoient même les poruons les plus considé- rables de leur nid, pour chercher quelque nouvel asile , et dédaignoiïent le miel et le sucre que je leur donnois pour les nourrir. | - Il fallot done se borner à l’inspecuüon de ces édifices , et essayer , en les décomposant avec soin, de concevoir l’ordre des travaux qu'ils avoient exigés : je tâcherai donc d’en donner une idée, en décrivant les fragmens dont j'ai étudié la distri- buton. Ici sont des galeries horizontales, eachées en grande parue par leurs parois, qui suivent les ïs ‘ . ? couches ligneuses dans leur forme circulaire. Ces galeries parallèles , séparées par des cloisons très- } MŒURS DES FOURMIS! : 5 | minces , n’ont de Communication que par quelques trous nn pratiqués de distance en distance : telle est Pébauche de ces ouvrages si délicats et Si légers. Ailleurs , ces avenues ouvertes latéralement con- servent encore entr'elles des fragmens de parois qui n’ont pas été abattues, et l’on remarque que les fourmis ont aussi ménagé cà.et là des cloisons transversales dans l’intérieur même des galeries , pour y former des cases par leur rencontre avec d’autres : quand le travail est plus avance on voit toujours des trous ronds, encadrés par deux piliers Pris dans la même parois. Avec le tems , ces trous deviendront carrés, et les piliers, d’abord arqués à leurs extrémités, seront changés en colonnes assez droites par le ciseau de nos sculpteurs. Cest le second degré de l'art : peut-être une Partie de l’édifice doit-elle rester dans cet état. Mais voici des fragmens tout autrement ou- Vragés » dans lesquels ces mêmes parois > percées Maintenant de toutes parts, et taillées artistement , Sont transformees en colonnades qui soutiennent les étages et laissent une communication parfaite ment libre dans toute leur étendue. On concoit 58 RECHERCHES SUR LES aisément que des galeries parallèles, creusées sur le même plan, et dont on abat les parois, eh ne lussant , de distance-en distance, que ce qu'il faut Pour soutenir leurs plafonds , doivent former en- semble un seul étage; mais comme chacune a été percée séparément, leur parquer ne doit pas être irès-bien nivele ; il est, au contraire, creusé fort inégalement dans toute son étendue, et c’est encore un avantage précieux pour les fourmis, puisque ces sillons le rendent plus propre à re- tenir les larves qu’elles y déposent. Les étages , creuses dans de grosses racines, offrent plus d'irrégularités que ceux qui ont été pris dans le tronc même de Parbre , soit que la dureté et l’eutrelacement des fibres rendent le travail plus dificile et obligent les ouvrières à se déparur de leur drdre- acéontämé , soit qu'elles tiennent moins à cet arrangement aux extrémités de l’édifice que dans le centre même. Quoi qu'il en soit ; On Y trouve encore des étages horizontaux et des cloisons en grand nombre : si Pouvrage est moins régulier ; 1l gagne du côté de la délicatesse ; car les fourmis profitent alors de la dureté et de la solidité de la matière pour donner à leur bâu- MŒURS DES FOURMIS. 5g ment une extrême légèreté. Jai vu des fragmens de huit à dix pouces de profondeur et LS teur égale , fabriqués d’un bois aussi mince que du Papier ; ils contenoient une infinité de cases, et Présentoient l'aspect le plus singulier. | Enfin , à l'entrée de ces apparteméns , travaillés avec tant de soin, se présentent des ouvertures beaucoup plus spacieuses : ce ne sont plus des cases ni des galeries prolangées ; les evuchés du- bois , percées en arcades , laissent aux fourmis un libre passage dans tous les sens ; ce sont les portes : Ou les vesubules des logemens auxquels ils con- duisent. , | Les figures 3 et 4 , planche T, ne peuvent donner qu'une idée très-incomplète des travaux de ces insectes. La première représénie un frag- ment üure du tronc d’un chène occupé par les fourmis fuligmeuses; la seconde , une peute por- tion de leur nid prise dans les racines de l'arbre. Pour en juger convenablement, il faudroit pouvoir les retourner dans tous les sens ; alors on verroit mieux leur singulière organisation. - |, La fourmi rouge, un peu plus grande que la Précédente , sait sculpter dans les arbres des loge- 6a _ RECHERCHES SUR LES mens analogues , mais ils sont sur une plus peute échelle. Ce sont encore des étages où l’on remarque _différens degrés de développement ; les uns sont divisés en petites cases, ou loges, dont les parois sont excessivement minces ; les autres sont soute- nus par une infinité de peutés colonnes ressemblant, _k la grandeur et à la couleur près, à celles dont nous avons déjà parle ; car ici le bois n’est pot noirci comme celui qui a cte sculpté par les fourmis fuhgiueuses , 1l conserve sa couleur naturelle ; il est ordinairement moins dur et de la consistance du liége. , Mais ce qu’il y a peut-être de plus smgulier dans histoire des fourmis rouges , c’est qu’elles ne sont | pas seulement sculpteuses , mais encore d’habiles | maconnes, et qu’elles établissent le plus souvent _ leur demeure dans la terre : elles possèdent donc | | deux genres d'industrie fort différens. Ce n'est pas la seule espèce qui puisse , au besoin » déployer plus d’un talent en ce genre; on va voir encore ; deux sortes de fourmis qui jouissent du même privilége , la fourmi étiopienne et la fourmi jaune : elles nous feront connoître aussi un art particu- ler, dont je n’ai pas encore parlé, et qui doit l MŒURS DES FOURMIS. 61 A ,» M « £tre regarde comme une des branches de larchi- ecture des fourmis. ÿ V. Architecture des fourmis qui travaillent la scture de bois. Les fourmis étiopiennes (aast nommees parce qu elles sont ‘très-noires ) creusent de grandes loges, de longues galeries dans les arbres les plus vieux ; mais si leurs ouvrages en ce genre sont | proportionnés À leur taille , Supérieure à celle des autres fourmis ,; ils représentent à peine l'enfance de Part, par la manière dont ils sont exécutés. Ce qu'il ÿ a de plus remarquable dans leur industrie, c'est l’usage qu’elles savent faire du bois tombé en poudre au pied de Parbre qu’elles habitent, pour } en calfeutrer le fond de leurs cases, boucher des conduits inutiles, et faire des comparumens dans les portions trop spacieuses de leurs labyrinihes. La fourmi jaune , une des maconnes , sait em Ployer cette matere avec bien plus d’habileté en- Core, quand elle établit sa demeure dans un arbre creux ; elle construit alors des étages entiers avec Cétte vermoulure, dont elle choisit les parcelles LI G2 RECHERCHES SUR LES les plus fines, qui, mélangées dans le fond de l'arbre avec un peu de terre et des toiles d’arai- gnées, forme une mauère dont la consistance peut être comparée à celle du papier mâché. | Cette industrie rappelle un peu celle des guêpes, comme celle des fourmis maçconnes et sculpteuses rapproche ces insectes des abeilles maconnes et perce-bois. La classe des hyménoptères, la plus riche de joutes cêlles des insectes en industries variées , en mœurs originales , en instinct curieux, Offre par- tout des rapprochemens ou des contrastes, des rapports entre les genres les plus éloignés, et des différences frappantes entre les espèces les plus voisines. — L'ordre moral ne paroît donc pas suivre l’ordre physique chez ces insectes : vérité bien im- portante pour la physiologie animale. MŒURS DES FOURMIS. 63 CHAPITRE Il Ds Œurs, Larres Er NYMPHES DEs | FourmIrs. leur forme et r- EXTÉRIEUR des fourmilières ? leur construction nous ont entièrement occupés jusqu'ici : il falloit bien commencer par établir les fourmis dans leur demeure, avant de décrire lé reste de leurs travaux. L'objet qui doit ac- tuellement exciter notre curiosité est, sans doute, tie sollicitude que les ouvrières éprouvent pour leurs élèves, et les soins maternels qu'elles leur Tendent , depuis la sortie de l'œuf jusqu’à Fépoque de leur entier développement (1). seen (1) IL seroit peut-être plus régulier de parler de la Kcondation avant de faire connoître les soins donnés aux Peuts. Cette marche, dont on’ne Sauroiït s’écarter en * Parlant d'insectes qui vivent isolément » N'est point aussi naturelle quand il s’agit de républiques nombreuses et Permanentes, comme celles des fourmis. Il auroit été difficile de rendre compte de tous les détails relatifs à la reproduction de l'espèce, avant d’avoir fut connoître >. ES RER s ; ë Pintérieur des fourmilières et les Moyens d'observation 64 RECHERCIIES SUR LES Quoique plusieurs naturalistes aïent déjà étudié les métamorphoses des fourmis, et qu'ils en aient décrit les principales circonstances, nous allons examiner sous de nouveaux rapports les dévelop- pemens et l'éducation de ces insectes dans leurs différens états. L'histoire de œuf avoit entière- ment échappé à leurs recherches, sine que plu- sieurs traits de celle des nymphes et des larves. Mes devanciers ne s’étant point sérvi d'appareils vitrés pour observer ce qui se passe dans la de- meuré des fourmis, n’avoient pu que très-rarement les prendre sur le fait, au milieu de leurs oc- cupations domestiques : ce n’étoit pas une chose aussi facile qu’elle le paroït au premier coup- d'œil. Ces insectes, si peu timides et qui ne craignent point pour eux-mêmes les intempéries de Pair, sont d’une extrême solhciiude pour leurs peuts, dont je me suis servi avec le plus de succès. L'éducation des petits étant le but de lous les travaux, nous offroit déjà, en grande partie , le tableau des mœurs de ces insectes laborieux. C’est pourquoi cet ordre m'a paru le plus propre à jeter du jour sur les questions sub= séquentes, ils MŒURS DES FOURMIS. 6 ils redoutent pour ces êtres , d’une Constitution délicate, les plus légères variations de l’atmos Phère ; s’alarment au moindre danger qu semble | les menacer, et paroissent jaloux de les sous- traire à nos regards. J’étois sans cesse contrarié, dans mes premières observations, par leur répu— Snance à laisser pénétrer le jour dans l'intérieur du nid : quand J'essayois d’en vitrer les cases ; ou de mettre à découvert une partie de leurs libyrinthes, s'ils ne les abandonnoïent pas com- Plètement, du moins ils m’ôtoient la faculté de Suivre leurs travaux intérieurs. Tantôt ils obs- uoïent, par des amas de matériaux, toutes les salles éclairées ; tantôt, comme s'ils s’étoient äpercu que le verre pouvoit, malgré sa trans- Parence, leur servir de rempart contre l'air exté- rieur, et qu'il ne lui manquât, pour remplir les Conditions d’un véritable mur, que de pouvoir les préserver d’une clarté qui leur est désagréable, is conservoient les galeries contiguës à cette parois. d’un nouveau genre, avec la seule précaution de la recouvrir d’une couche de terre mouillée ; Qui m’empéchoit de les observer ; d’autres fois j'employois un moyen plus simple et plus heureux 5 66 … RECHERCHES SUR LES j'enlevois d’abord une portion de la fourmilière, et j'appliquois à celle qui restoit une planche de bois très-mince du côté du nudi : les fourmis, attirées par la chaleur, venoient déposer leurs petits en ce lieu, et lorsque j'ôtois le volet, je pouvois étudier les progrès de leur accroissement , quoique les ouvrières se hätassent de les emporter < dans leurs souterrains. Il falloit souvent varier les moyens que je mettois en œuvre, car les fourmis, bientôt lasses de mes visites, se jouoient encore de ma curiosité, en faisant un veritable mur de terre derrière le contrevent. Après avoir long-tems étudié les mœurs de ces insectes, je me sus aperçu qu'on pouvoit les accoutumer par degrés à souffrir lentrée du jour dans leur re- traite ; mais il falloit y mettre beaucoup de dis- creuion. Ce qui me réussit le mieux, ce fut de pratiquer une ouverture alongee au milieu d’une table, au-dessous de laquelle je plaçai un double châssis vitré sur ses deux grandes faces, et ouvert seulement dans la partie supérieure qui devoit s'adapter exactement à cette fente (1). Ces châssis, “ (1) Fig.a. PL EL. MŒURS DES FOURMIS. 67 Sarnis de volets, permettoient d'obrareés les fout- mis, on de les ménager dans leur goût pour l’obs- Curité : cela fait, je versai tous les matériaux d’un md de fourmis fauves sur la table , et leur laissai le soin de les arranger elles-mêmes au fond de la Caisse vitrée; ce qu’elles firent de manière qu’il me fut très-facile d'observer toutes leurs galeries et les cases auxquelles elles condusoient. Je re- couvris ensuite le tas de Matériaux d’une grande cloche de verre, afin de pouvoir suivre tous les Mouvemens de mes prisonnières, tant au dedans qu'au dehors, sans qu’elles pussent s'échapper ; Mais lorsque ; je vis qu elles s’étoient accoutumées à leur sort , et-qu’elles ne cherchoient pas à s ’enfuir, je les laissai libres de sortir par-dessous les bords de la cloche, et de parcourir la plate-forme sur laquelle elle étoit posée; je pris seulement la pré- Caution de faire plonger les pieds de la table dans des baquets pleins d’eau, afin d’arrêter les fourmis, Si elles essayoient de s "éloigner. Cet appareil et plusieurs autres dont l'explication Seroit trop longue » eurent le succès que j'en ättendois : je > avec satisfaction que les fourmis Onunuoient à s’occuper des larves ; Ce Qui prouvoit 68 RECHERCIES SUR LES qu’en les sortant, à quelques égards, de l’état de pature , je ne les avois pas trop déroutées : je pouvois donc espérer de voir dans le plus grand détail tous les soins qu’elles prenoient de la gé- nération naissante. Cependant je ne men tenois pas toujours à ces moyens arüficiels ; je comparois, autant qu'il m’étoit possible , la conduite des fourmis prisonnières avec celle des fourmis qui habitoient les champs; et comme je n’ai jamais remarqué de différence sensible dans leur manière dagir, jen ai conclu que je pouvois me fier aux résultats que j'ai obtenus au moyen des fourmilières vitrées. Ouvrons à présent le volet qui nous cache l'intérieur de la fourmilière, et voyons ce qui s’y passe. Là sont des nymphes entassées par centaines dans des loges spacieuses; 161 les larves, rassem- blées, sont entourées d’ouvrières ; plus loin on voit des œufs amoncelés; ailleurs quelques ou- CE . y “ « vrières paroissent occupées à suivre une fourmi beaucoup plus grande que les autres ; c’est la mère, ou du moins une des femelles, car il ÿ en a toujours plusieurs dans chaque fourmilière : elle pond en marchant, et les gardiennes dont MŒURS DES FOURMIS. 69 elle est entourée relèvent ses œufs, ou les sai- Sissent au moment même de la ponte. Elles les réunissent et les portent en petits tas à leur bouche 5 On voit, en les regardant de près, qu’elles les tournent et retournent sans cesse avec leur langue : il paroït même qu’elles les font passer les uns après les autres entre leurs denis, et que tous ces œufs sont constamment mouillés. Tel est le premier aperçu que n’ofrit ma fourmilière. vitrée, Ces œufs ayant fixé particulièrement mon atten- tion , je remarquai qu’ils étoient tous de grandeur, de nuance et de forme différentes ; les plus petits étoient blancs, opaques et cylindriques ; les plus gros, transparens et légèrement arques à leurs extrémités ; ceux qui tenoient le milieu, pour la grandeur, n’étoient transparens qu'à demi : en les regardant au grand jour, je vis dans leur mic- rieur une espèce de nuage blanc qui paroissoit Plus ou moins alongé; dans les: uns, on u’aper-+ Cevoit qu'un point transparent à l'extrémité su- Périeure; dans les autres, on voyoit une zone Claire au-dessus et au-dessous du petit nuage ; lorsqu’on observoitles plus gros, on ne trouvait 7Ô | RECHERCHES SUR LES plus qu'un seul point opaque et blanchätre dans leur intérieur; il y en avoit enfin dont toute l'étendue offroit une limpidité parfañe, et dans lesquels on apercevoit dejà des anneaux très- marques. C'est en fixant mon attention sur ces derniers que j'ai vu l'œuf s’entr’ouvrir, sa coque se fendre , et la larve paroître à sa place. Ayant comparé les œufs dont je viens de parler à ceux qui venoient d’être pondus, j'ai constamment trouvé ‘ces derniers d’un blanc laïteux , entière- rnent opaques ; et plus petits de moitié; en sorte que je n'ai pu douter que les œufs des fourmis ne prissent un accroissement très-sensible ; qu’en s’alongeant ils ne devinssent transparens, et ne revé- ussent déjà la forme du ver, qui est toujours très- arquée. Pour nassurer de la vérité de ces faïts, ai dbsèrvé ces œufs au microscope ; je les ai mesurés, et les ayant séparés les uns des autres, les plus longs ont été les seuls dont les vers soient éclos en ma présence. Quand je les éloïgnois des ouvriéres, avant qu'ils eussent atteint toute leur longueur et leur transparence , ils se desséchoient, et” le ver n’en sortoit point: Seroit-ce donc au soin que les MŒURS DES FOURMIS. 7 OuYyrières prennent de les faire passer dans leur bouche , que tiendroit tout le secret de leur Conservation ? Ces œufs auroient-ils besoin de cette humidité , et en absorberoient-ils une partie $ . + L] # bi Pour fournir à la nourriture du peut ver qu'ils contiennent ? C’est ce qui me semble bien pro- bable. Les réflexions de M. Reaumur ajouteront plus de poids à cette opinion : j'ai trouvé dans ses écrits la preuve qu'l ns œufs qui prennent de l’accroissement. Ceux=ci, logés dans les galles de différens arbres, sont dus à des cinips ou à d’autres insectes du même genre. Voici les expressions dont se sert à leur égard er obsematéur. si exact -ef 5 judicieux. | € Une remarque qui ne doit pas être passée sous silence, c’est que l'œuf que j'ai trouvé alors dans la galle m’a paru considérable- ment plus gros que les œufs de même espèce ne le sont lorsqu'ils sortent du corps de la mouche ; considérablement plus gros que ceux qu'on fait sorur du corps des méres-mouches, quelque prochain que soit le tems de leur Ponte ;: tous ceux que j'ai fait sorur du corps de ces mouches que j'ai écrasées étoient d’une MEME “se SUR LES F. petitesse. Il m'a donc paru certain que l’œuf auroit crü, et avoit considérable- ment erû dans la galle. » Noustme sommes accoutumés à voir que les œufs emburés d’une coque incapable de sé- tendre jomais ee des œufs _—— la an deb, ne Re de croître ? .» les ia l Hmains | et ceux dés Le æ La nature a constitue les œufs de quelques autres insectes de manière qu'ils sont capables d’accroissement ; tels sont, selon M. Vallisnieri, les œufs des mouches à scie, qui donnent nais- sance aux fausses-chemilles qui vivent sur les rosiers. » Œ exemples remarquables m’autorisent à ad- mettre l’accroissement des œufs de fourmis comme démontré, quoiqu'ils ne soient pas exactement dans les mêmes circonstances que ceux dont parle le Philosophe que je viens de citer. Car, s'ils ne sont pas environnes de liquide, ou preserves de linfluence de Pair extérieur, leur pellicule hu- MŒURS DES FOURMIS. aussi conserver un certam degré de souplesse et la faculté de s'étendre, selon les développemens du ver qu'ils renferment. Au bout d'une quinzame de jours, il sort de sa coque. Son corps est d’une : Musrurs ac parfaite y et ne présente qu'une neaux, sans aucun rudiment de pai -tennes. L’insecte à cet âge est dans , absolue des ouvrières. J'ai pu suivre au travers des vit Es de la four- milière aruficielle tous les soins qu’elles pren | de ces petits vers qui portent aussi le nom de larve. Ils etoient gardes, à l'ordinaire, > Pare troupe de fourmis qui, dressées sur leurs pates et le ventre en avant, éioient prêtes à lancer leur venin, tandis qu'on voyoit cà et Jà d'autres Ouvrières occupées à déblayer les conduits em- barrassés par des matériaux hors de place, et qu'une parue de leurs compagnes demeurdnt dans un repos complet, et paroissoient endormies. Mais la scène s’animoit à l’heure du transport des petits au soleil. Au moment où ses rayons Yenoient éclairer la parue extérieure du nid, 7h :. RECHERCHES SUR LES les fourmis qui se trouvoient à la surface par- toient aussitôt et descendoient avec précipitation dans le fond de la fourmilière, frappoient de leurs antennesules autres fourmis , couroient de l’une à l'autre , pressoient, heurtoient leurs compa- _gnes, quimontoient à Pinstant sous la cloche, re- vit-un essäim d’ouvrières remplir tous les passages. É | Mais ce qui prouvoit mieux encore Île but qu’elles É ï se proposoienb, c’est la violence avec laquelle ces ouvrières saisissoient quelquefois par leurs man- dibules celles qui paroissoient ne pas les com- { prendre, et les entraïnoïient au sommet de la fourmilière, où elles les abandonnoïent aussitôt pour aller chercher celles qui restoient auprés desspetits. Dès que les fourmis etoient averües de l’ap- pariüon du soleil, elles s’occupoient des larves etvdes nymphes ; elles les portoient en toute hâte au-dessus de la fourmilière , où elles les laissoient quelque tems exposées à l'influence de la chaleur. Leur ardeur ne se ralentissoit point : les larves de femelles, beaucoup plus grandes et plus pe” MŒURS DES FOURMIS. . 75 santes que celles des autres castes, étoient trans- _Portées avec assez de difficultés, au travers des Passages étroits qui conduisoient de l'intérieur à l'extérieur de la fourmilière , et placées au soleil à côté de celles des ouvrières et des mâles ; quand elles y avoient passé un quart-d’heure, les fourmis les retiroient et les mettoient à l'abri de ses rayons directs, dans des loges destinées à. les recevoir, sous une couche de chaume, qui winterceptoit Pas enüèrement la chaleur. Les ouvrières , après avoir satisfait aux devoirs Qui leur sont imposés à l'égard des larves, ne pa- roissotent pas s’oublier elles-mêmes; . elles cher- Choient à leur tour à s'étendre au soleil; elles S’entassoient les unes sur les autres , et sembloient Jour de quelque repos, mais il m’etoit pas de longue durée ; on en voyoit toujours un grand nombre travailler au-dessus de la fourmiliére ; d'autres rapportoient les larves dans l'intérieur, à mesure que le soleil s’abaussoit ; enfin le moment de les nourrir étant arrivé, chaque fourmis s’ap- brochoit d’une larve , et hu donnoit à manger. « Les larves des fourmis, dit M. Latreille , res- ? semblent, lorsqu’elles sortent de l’œuf, à de mé = Ts <<"! D. Mr RECHERCHES SUR LES petits vers blancs, sans pates, gros, courts, et d'une forme presque conique; leur corps est composé de douze anneaux ; sa partie antérieure est plus menue et courbée ; on remarque à sa tête, 1.° deux petites pièces écalleuses , qui sont deux espèces de crochets trop écartés l’un de Vautre pour pouvoir être considérées comme de véritables dents ; 2.” au-dessous de ces cro- chets, quatre petites pointes , ou cils, deux de chaque côté, et un mamelon presque cylin- drique, mou, rétracüle, par lequel la larve recoit sa béquée. » ; Les fourmis ne préparent point aux larves des provisions de bouche, comme le font plusieurs espèces d'abeille, et tant d’autres insectes qui pour- voient d'avance aux besoins de leurs petits; elles leur donnent chaque jour la nourriture qui leur convient. L'insunct des larves est déjà assez déve- loppé pour qu’elles sachent demander et recevoir directement leur repas, comme les petits des oi- seaux le reçoivent de leur mére : quand elles ont faim , elles redressent leur corps et cherchent avec leur bouche celle des ouvrières qui sont chargees de les nourrir; la fourmi écarte alors ses mandi- MŒURS DES FOURMIS, RÉ bules, et leur laisse prendre dans sa bouche même les fluides qu’elles y cherchent. J’ignore s'ils su- bissent quelque préparation dans le corps des ou- Vrières, mais je suis très-éloigne de le croire, Parce que jai vu souvent les fourmis leur offrir à Vinstant même la nourriture qu’elles venoient de Prendre ; c’étoit du miel ou du sucre dissout dans de l’eau : je présume cependant qu’elles propor- | üuonnent leur régime à lâge et au sexe de chaque individu ; qu’elles leur dégorgent atssi des sucs Plus substantiels lorsqu'ils sont plus près de leur métamorphose , et qu’elles en donnent davantage aux larves des femelles qu’à celles des ouvrières et des mâles. Mas, de quelle manière s'assurer de la qualité et de la quanuté de ces alimens ? Ce“sont des questions bien difficiles à résoudre; cepen- dant , Comme il seroit très-important de découvrir Si la nourriture que prennent les larves influe sur le développement des sexes chez les femelles des fourmis, ainsi qu’on l’a 6bservé chez les abeilles, je e de faire à cet évard quelques expé- me propos gard quelq flences, en nourrissant moi-même des larves de différentes espèces : mais suivons encore les ou- Vrières dans les derniers soins qu’elles rendent aux 7è RECHERCHES SUR LES larves. Ïl ne suffisoit pas de les porter au soleil et de les nourrir , il falloit encore les entretenir dans une extrême proprelé; aussi ces insectes, qui ne le cèdent en tendresse pour les petits dont la di- rection leur est confiée, à aucune des femelles des grands animaux, ont-ils encore lattention de passer leur langue et leurs mandibules à chaque instant sur leur corps, et les rendent-ils par ce: moyen d’une blancheur parfaite : on voit encore les fourmis occupées à tirailler leur peau, déten- due et ramollie, près de l’époque de leur trans- formauon. Avant de se depouiller de cette peau, les larves des fourmis se filent une coque de soie, comme beaucoup d’autres insectes ; et c’est là qu’elles doivent, sous la forme de nymphe, se préparer à leur dernière métamorphose. Cette coque est cylindrique , alongée, d’un jaune pâle , très-lisse et d’un ussu fort serre. Une singularité remarquable dont on n’a pas encore découvert la cause , c’est qu'il y a des four- mis dont les larves ne filent point; mais cette exception n’a lieu qu'à l'égard des espèces qui ont un aïiguillon et deux nœuds au pédicule de Pab- MŒURS DES FOURMIS. é 79 domen : ainsi il y à des larves qui se tran&forment dans une coque de soie , et d’autres qui deviennent Aÿmphes sans être obligées de filer (1). Les larves - de Certaines fourmis passent l’hiver amencelées au fond de leurs cases ; j’en ai trouvé à cette époque de très-peutes dans les nids de la fourmi jaune, de la fourmi des gazons , et de quelques autres es- \ E À « s Pêces, mais aucune dans ceux des fourmis fauves, noir-cendrées , mineuses, etc. Celles. qui sont des-…. ünées à passer lhiver sont velues dans cette Säson, mais ne le sont cependant point en été : 2 ? ? est encore une preuve de cette prévoyance dont les naturalistes sont frappés à chaque pas. On ne louve des larves de mâles et de femelles qu'au Printems ; elles ne se métamorphosent qu’au com- Mencement de lété. a ose) ( 1) Entre les larves fileuses, il en est dont la coque St marquée d’un point noir à l’une de ses extrémités : 9 à pris cette trace pour les restes de la dépouille des lymphes, lorsqu’elles quittent la peau qui les recou- Yroit dans l’état précédent; mais comme j'ai trouvé des S0ques tachées avant que les larves qu’elles contenoient Ussent métamorphosées, cette supposition tombe d’elle- Même, el je me suis assuré que ce n’étoit aulre chose Ie le résidu des alimens que ces insectes rejettent peu * lems ayant de se métamorphoser. x z RANT d TRS 5" Es sé ie “ 5 = Te : ep 2 80 RECHERCHES SUR LES L'insecte dans l’état de nymphe a acquis la forme qu'il aura toujours ; il ne lui manque que des forces et un peu plus de consistance ; il est aussi grand qu'il doit l'être : tous ses membres sont distincts ; une seule pellicule les enveloppe. La fourmi, sous cette forme , continue à se mouvoir quelques instans après être sortie de létat de larve ; mais bientôt elle devient d’une immo- bilité complète ; elle change graduellement de cou- leur, passe du plus beau blanc au jaune pâle , puis au roux, et dans plusieurs espèces devient brune et presque noire : on voit-déjà les rudimens des ailes dans celles qui sont destinées à voler. Ces nymphes ont encore bien des soims à at- tendre des ouvrières ; la plupart sont renfermées dans un üssu qu’elles ont filé avant de se métamor- phoser ; mais elles ne savent pas , comme celle de. beaucoup d’autres insectes ; sortür de leur coque d’elles-mêmes, en y faisant une ouverture avec leurs dents : elles ont à peine la force de se mour voir ; leur coque est d’un üssu trop serré et d’une soie trop fée pour qu'il leur soit possible de | déchirer sans le secours des ouvrières. Mais comment ces infatigables nowrrices decouvrent- elles MŒURS DES FOURMIS. SL elles le moment convenable pour les en tirer? Si elles étoient pourvues du sens de loue, on pour- Toit croire qu’elles reconnoissent qu'il en est tems, à. « . Q . Ÿ TE à quelque bruit produit, dans l'intérieur de cette ri par Jinsecte dont le dével ment Prison, : par lPmsecte dont: le’ développement a Co F4 al 2 G CPE di | ’ell ‘ént la mmencé ; mais rien n'indique qu’ellés aien faculté d'entendre : peut-être aperçoivent-élles, à laide: de leurs antennes, de légers mouvemens, qui leur annoncent l’époque où elles doivent li- bérer leur prisonnier; car ces organes sont d’une Sensibilité dont il seroit difficile de se former une Juste idée. Quoi qu'il en soit, elles ne $ y trom- Pent jamais. Suivons-les encore dans ce travail où elles déploient, à l'égard de leurs élèves, un zèle et une constance qui seroient déjà digñes de notre âttention , si elles étoient les propres mères de ces insectes, et qui sont bien plus étonnans quand On pense qu’elles n’ont d’autre rapport avec eux que celui d’être nées sous lé même toit. | Il y avoit dans une des cases les plus spacieuses de ma fourmilière vitrée plusieurs grandes coques de femelles ou de mäles. Les ouvrières rassem- blées en ce lieu paroïssoient s’agiter autour elles; j’en vis trois ou quatre , montées sur une 6 82 RECHERCHES SUR LES de ces coques, s’efforcer de l’ouvrir avec leurs dents à l'extrémité qui répondoit à la tête de Ja nymphe. Elles commencèrent par amincir l’étoffe, en arrachant quelques soies à la place qu’elles vouloient percer, et bientôt, à force de pincer et de tordre ce tissu si difficile à rompre ; elles par- vinrent à le trouer en plusieurs endroits très-rap- prochés les uns des autres ; elles essayérent en- suite d'agrandir ces ouvertures, en tirant la soie comme pour la déchirer; mais cette méthode ne leur ayant pas réussi, elles firent passer une de leurs dents au travers de la coque, dans les trous quelles avoient prauqués ; coupérent chaque fil l’un après l’autre avec une patience admirable , et parvinrent enfin à faire. un passage d’une ligne de diamètre dans la parue supérieure de la coque : on commencoit déjà à découvrir la tête et les pates de Vinsecte qu’elles cherchoient à mettre en liberté; mais avant de le uürer de sa cellule, 1l falloit en agrandir l’ouverture : pour cet effet, ses gardiennes coupérent une bande dans le sens longitudinal de cette coque, en se servant ioujours de leurs dents, comme nous emploierions une paire de ciseaux. MŒURS DES FOURMIS. 83 Une sorte de fermentation régnoit dans celle Partie de la fourmiliére. Nombre de fourmis , OCcupées à dégager l'individu aïlé de ses entraves j *e releyoient ou se reposoient tour à tour, et 'évenoient avec empressement seconder leurs com- Pagnes dans cette entreprise ; de manière qu elles furent bientôt en état de le faire sortir de sa pri- Son : l’une relevoit la bandelette coupée dans la longueur de la coque, tandis que d’autres le üroient doucement de sa loge natale. Ïl en sortit enfin sous mes yeux , mais non comme un insecte Prêt à jouir de toutes ses facultés, et libre de Prendre son essort ; la nature n’a pas voulu qu'il fit si tôt dépend des ouvrières : il ne pouvoit Bi voler, ni marcher » à peine se tenir sur ses pates; Car il étoit encore emmaillotté dans une dernière Membrane , et ne savoit pas la rejeter de lui-même, Les ouvrières ne l’abandonnérent point dans cé Nouvel embarras ; elles le dépouillérent de la pelli- Cule satinée dont toutes les parties de son corps éloient revêtues , tirérent délicatement les an- lénnes et lés antennulles de leur fourreau, déliérent ‘nsuite les pates et les ailes , et dégagèrent de leur nveloppe le corps , l'abdomen et son pédicule 84 RECHERCHES SUR LES L’'insecte fut alors en état de marcher, et surtout de prendre de la nourriture, dont il paroissoit avoir un besoin urgent; aussi la première atten- tion de ses gardiennes fut-elle de lui donner sa part des provisions que je mettois à leur portée. On voyoit partout les fourmis occupées à rendre la liberté aux mâles, aux femelles et aux jeunes ouvrières renfermées dans leur coque de soie; cela fait, elles en réunissoient les débris dans les loges les plus éloignées du centre de leur habita- üon ; car l'ordre règne éminemment chez ces in- sectes : quelques espèces de fourmis emportent ces lambeaux loin de la fourmilière ; d'auties én:18- couvrent toute la surface exterieure de leur md , ou les amoncellent dans certaines cases(1). Les ou- | (1) M. Latreille a remarqué, comme de Geer, qu'il y a toujours chez les fourmis noir-cendrées des nymphes nues, et d’autres renfermées dans une coque: il ne décide point s’il en est qui se métamorphosent sans filer, ou siles ouvrières déchirent leur enveloppe; ce- pendant il penche pour ce dernier avis: j'ai répété fort souvent l'observation de ce naturaliste judicieux ; j'ai même confirmé la conjecture qu'il avoit avancée, el j'ai vu très-souvent’ les ouvrières noir-cendrées ouvrif les coques des nymphes peu ‘de .tems après leur méta- MŒURS DES FOURMIS. 86 F vVniéres , que nous avons vues chargées du soin des à larves et des nymphes, montrent lamême sollicitude one ES Morphose : les fourmis mineuses sont dans le même Usage; mais dans quel but se hâtent-elles de les en sortir, t à quoi sert-il que les larves filent si les ouvrières doivent bientôt détruire le tissu qu’elles ont ourdi ? Ce n’est point Pour délier plus tôt leurs membres de leur dernière enveloppe, dans l’état de nymphe, car les fourmis ne cherchent à leur rendre ce service que lorsqu'elles sont capables de se mouvoir, et lorsqu'elles ont acquis toute leur force : elles connoissent même très-bien le moment où il convient de les dépouiller. Ces coques ne servent- elles point aux larves même à passer à l’état de nymphe? Jai souvent tiré de leur coque des larves qui venoient de filer et qui n’étoient pas encore métamorphosées ; Œuelques jours après, elles commençoient à rejeter leur dépouille de larves, mais elles ne savoient point la dé- Sager de leurs jambes qui restoient attachées avec Fab- domen : les fourmis ne les aidoient pas à s’en délivrer. : Ces nymphes ne se développoient jamais bien, et ne tardoient pas à périr ; il paroît donc que les coques leur donnent un point d'appui convenable pour se dé- barrasser de la peau qu’elles doivent déposer. On m'objectera peut-être que les larves de plusieurs . Spèces ne filent jamais, el qu'elles devroient éprouver le même inconvénient que celles que je tirois trop tôt de leur coque. — À cela je répondrai que la nature ÿ a pourvu d’un autre manière : le corps de ces fourmis est fort différent de celui des autres; leur pédicule alongé DT Te M D. 7 ie 86 RECHERCHES SUR LES à l'égard des fourmis nouvellement transformées ; elles sont soumises encore quelques jours à l’obli- gauon de les surveiller et de les suivre ; elles les accompagnent en tous lieux, leur font connoître les sentiers et les labyrinthes dont leur habitation + composée , et les nourrissent avec le plus grand soin : elles rendent aux mâles et aux femelles le service difficile d'étendre leurs ailes, qui resteroient froissées sans leur secours, et s’en acquittent tou- ‘Jours avec assez d'adresse pour ne pas déchirer ces membres frêles et délicats ; elles rassemblent dans les mêmes cases les mäles qui se dispersent ; et quelquefois les conduisent hors de la fourniilière. Les ouvrières paroiïssent , en un mot, avoir la di- rection complète de leur conduite aussi long-iems qu'ils y restent, et ne cessent de remplir leurs fonctions auprès de ces insectes, dont les forces ne donne beaucoup plus de liberté à l’abdomen pour se mouvoir, se replier et s'étendre qu’à celui des premières, attaché de très-près au corselet ; elles ont, outre cela, un aiguillon qui pourroit aussi faciliter leur dévelop- pement; car, dans ce premier moment, les nymphes ont beaucoup de force et de vivacité; mais elles passent bientôt à un état complètement léthargique. à MŒURS DES FOURMIS. 87 Sont pas encore développées, que lorsqu'ils s’échap- Pent enfin pour vaquer au soin de la reproduction. On ne sauroit trop admirer cette assiduité des fourmis ouvrières À l'égard des petits dont les soins “ont confiés à leur vigilance : par quel lien la na- lure a-t-elle su les attacher aux enfans d’une autre mére ? Cette question, commune aux différentes familles chez lesquelles on voit trois sortes d’indi- vidus , dont les uns sont laborieux et chargés de tous les détails de l'éducation, de lapprovisionne- Mont et de la construction du nid ; tandis que les Autres sont uniquement occupés du soin de multi- Plier l'espèce, mériteroit d’être traitée avec plus détendue et de profondeur que nos connoissances | ACtuelles ne le permettent ; mais on peut entrevoir le secret de cette constitution singulière dans la ressemblance qu'ont les fourmis ouvrières avec les femelles , relativement à leurs organes sexuels exté- ieurs. Les rapports qui se trouvent entre les four- mis ; les abeilles et les bourdons velus , nous eclai- rent encore sur ce sujet, en nous faisant voir des Ouvrières à demi-fécondes chez les unes (1), et de ban SE (1) Nouvelles observations sur les abeilles, par F.Huber. 28 RECHERCHES SUR LES petites femelles rivales très-communes chez les autres (1) ; enfin cette sollicitude des fourmis ouvrières pour les larves qu’elles ont vu naître, décèle clairement leur sexe, ét nous sufhroit pour décider qu’elles ne sont ni des neutres, mn des mulets, si la conduite des mâles à leur égard ne prouvoit pas qu’elles appartiennent à la classe des femelles : cette observation, que j'ai faite plusieurs fois, et dont je supprime les détails, ne me laisse aucun doute à cet égard; jajouterai seulement ici que je n'ai jamais vu pondre les fourmis ou- vrières, et que les approches du mâle ont toujours coûté la vie à celles que j'ai prises sur le fait. Mas dans quel but la nature a-t-elle permis qu'il y eût tant de femelles stériles chez les four- mis comme chez les guëpes et les abeilles? Ne seroit-ce point afin d'augmenter le nombre des individus d’une même famille , sans qu’il en résul- tt une multiplication qui lui fût proportionnelle ? En réservant la fécondité pour un certain nombre nt (1) Mémoire sur les bonrdons velus, par l’auteur de ces recherches, 6.° volume des Transactions de la société linnéaire, à Londres. MŒURS DES FOURMIS. 89 de femelles , elle a destiné les autres à soigner leur Progeniture ; elle a encore privé celles-ci de la faculté de s'élever dans les airs ; mais elle les en a bien dédommagées , soit (comme on ne peut en douter } en leur inspirant pour leurs élèves les sen- timens des mères pour leurs peuts, soit en leur donnant un pouvoir sans bornes sur les autres ordres de la société dans laquelle elles vivent : vérité neuve , que j'espère établir dans le cours de cet auvrage , et qui diffère infiniment de l'opi- Mon, que ces républiques sout gouvernées par Plusieurs chefs. 90 RECHERCHES SUR LES CHAPITRE III. DE LA FÉCONDATION DES FouRrMIS, ET DE SES CONSÉQUENCES. SI. Départ des fourmis ailées. ss on ne connoftroit point les sexes des fourmis, à l'aspect de ces ailes membraneuses et légères dont jouissent une parüe d’entre elles, et dont les autres sont totalement dépourvues , on jugeroit déjà que celles-ci sont attachées au sol qui les a vu naître, et celles-là destinées à changer de patrie ; car la prérogative qui dis- üingue les mâles et les femelles des ouvrières ne leur a point été accordée, pour l'avantage de la peuplade au milieu de laquelle il ont passé la première époque de leur vie : ils ne sont pas appelés à approvisionner leur demeure, et moins encore à chercher au loin des matériaux pour Sa construction. La nature les a doués de la faculté de voler, dans des vues plus grandes : MŒURS DES FOURMIS. 91 le bien : de lespéce même , sa propagation , fgeoient qu'ils eussent des ailes pour répandre SD tous Heux les fourmilières , et former de nom- breuses colonies. Mais comment sétablissent ces nouvelles peu- Plades? Quelles parücularités nous offrent les AMours des fourmis volantes ? les mâles et les femelles vivent-ils en commun , ont-ils le même instinct que les ouvrières ? Combien d’autres questions ne pourroit - on pas faire sur ce sujet, qui n’a encore été eflleuré que par un petit nombre d'auteurs, et dont l’im- Portance, dans l’économie des fourmis, mérite d'occuper toute l’attention des naturalistes. {1 ne s’agit plus d'observer ces insectes dans le sein de la fourmilière; nous avons vu leur éducation, et les soins dont ils sont l’objet, jusqu’à l'époque où ils peuvent marcher et voler ; faut à présent les suivre hors du nid et dans les airs, sil est possible. Perdons de vue pour un moment les fourmi- lières vitrées ; transportons-nous dans une prairie , a ho beau jour d'été, à l'instant où ils font Usage de leurs ailes pour la première fois, et 92 RECHERCHES SUR LES abaissons nos regards sur cette fourmilière cou- verte d'insectes ailés qui paroïssent se promener à sa surface, : Ce sont les mâles et les femelles de la fourmis des gazons; 1ls montent sur toutes les plantes dont leur habitation est entourée , ei les ouvrières, dont une multitude se répand à l'extérieur, les accompagnent jusqu'à l’extrémité des herbes les plus hautes. Elles paroïissent les suivre encore avec sollicitude ; quelques-unes essaient de les _ retenir et de les reconduire dans la fourmilière ; mais la plupart se contentent de les escorter. Elles leur donnent à manger, et leur prodiguent, pour la dernière fois, tous les soins dont elles sont capables. Le dôme de la fourmilière n’offre pas un champ assez hbre aux fourmis ailées pour se livrer à leurs amours ; la foule dont elles sont entourées paroît les gêner; elles prennent enfin le parti de faire usage de leurs ailes, et vont chercher dans les airs un théâtre plus vaste pour acccomplir le vœu de la nature. Mais quels objets brillent à nos yeux sur cet autre monticule qui s'élève dans l'herbe? Ce sont { MŒURS DES FOURMIS. (ep) Sacore des mâles de fourmis qui sortent par centaines de leurs souterrains, et promènent leurs ailes ar- Stntées et transparentes à la surface du nid; les femelles , en plus petit nombre, traînent au mi- lieu d eux leur large ventre bronzé , et déploient aussi leurs ailes, dont léclat changeant: ajoute £€ncore À l'aspect agréable qu'offre leur réunion. Un nombreux cortège d’ouvrières les accompagne sur, toutes les plantes qu'ils parcourent ; déjà le désordre et l'agitation règnent sur la fourmi- lière ; l'effervescence augmente à chaque instant; les insectes ailés montent avec vivacité le long des brins d'herbes, et les ouvrières les ÿ Suivent, Courent d’un mäle à un autre, les touchent de leurs antennes et leur offrent de la nourriture : les mâles quittent enfin le toit paternel ; ils s'élèvent dans les airs comme par une impulsion générale, et les femelles partent après eux. La troupe allée a disparu, et les ouvrières retournent encore quelques instans sur les traces de ces êtres favo- risés qu’elles ont soignés avec tant de persévé- ance, et qu’elles ne réverront jamais. La. variété des couleurs et des formes de cette multitude d'insectes présente quelquefois des g& RECHERCHES SUR LES tableaux assez piquans. Chez les uns, tout le corps n'offre qu’une seule teinte : les oiriéres sont jaunes , les mâles entièrement noirs, et les femelles d’un blond doré; leurs ailes brillent de toutes les couleurs de l'arc - en - ciel. Chez du fourmis, toutes les ouvrières sont noir es: et tachetées de rouge sur le corselet; les mâles, dont le corps est noir, ont les pates d’un beau jaune , et les ailes blanchâtres; tandis que leurs femelles ont le corselet et l'abdomen tachetés de fauve, sur un fond brun, les ailes transparentes et noirâtres à leurs extrémités. Il faut que la température de l'atmosphère soit au 15 ou 16.° degré du thermomètre de Reaumur pour voir soruür de leur demeure les mâles et les femelles des fourmis : sans cette condition, ils restent dans l’intérieur du nid, à abri de l’hu- midité et de l'air froid. Quand le tems est favo- rable, les ouvricres, qui paroissent le connoître, ouvrent plusieurs issues pour faciliter le passage de cetie foule, qui doit bientôt s'échapper de la fourmilière. On voit alors les mâles et les fe- melles venir respirer a lentrée de leurs sou- terrains : l’heure du départ arrive; tous sortent; MŒURS DES FOURMIS. 95 tous s’envolent, et les ouvrières seules rentrent dans leur habitation , dont elles ferment SOigneu- _Sement les avenues. Mais continuons notre course , et suivons la direction qu'ont prise les fourmis volantes : bientôt ne pluie de mâles et de femelles frappe nos ‘égards. Ces insectes, tombant du haut des airs deux à deux, se roulent dans la poussière > OÙ Séebattent sur le gazon; les uns ont opérée leur jonction avant d'arriver sur le terrain ; d’autres Onsomment leur union sur les plantes où ils se Posent ; 1] en est enfin qui se dégagent de leurs SOMmpagnes, s’élévent dans les airs, et rejoignent Promptement une nuée d’autres fourmis ailées qui Paroissent réunies près de la cime d’un arbre et Yokigent à lentour. Un peu plus loin, j'apercois d’autres rassem- blemens de fourmis volantes ; ceux-ci paroissent Moins élevés que les premiers, et appartiennent À une autre espèce de fourmis ; ils ressemblent à des essaims d’abeilles > Mais le terme d’essaim € convient que très -imparfaitement à cette *éunion d'insectes, qui n’ont d'autre but, que. Selui de se rencontrer et de s’unir dans les airs, 96 RECHERCHES SUR LES et qui ne vont point ensemble fonder une nou- velle colonie : cependant je ne laisserai pas de me servir de cette expression, dans le sens d’un concours très-nombreux de fourmis qu voltigent et bourdonnent sans se séparer. Je m’apercois bientôt que je suis environné de fourmis ailées: plusieurs femelles volent au mi- lieu de Pessaim, et ce sont elles, sans dome, qui ont aturé tous les mâles dont il est composé; lPessaim ne se dirige point vers un but quelconque ; il ne s'éloigne ni ne s'approche de la fourmilière dont il est sorti, mais il part de la érigé “4 - sol , selève et s’abaisse alternativement d’une dixaine de pieds; et tandis que ce mouvement général s'exécute avec beaucoup de lenteur, chacun des mâles qui forment le gros de lessaim vole en zigzag AVEC une grande rapidité, dans une direcuon plus ou moins oblique : les femelles, au contraire; se tiennent suspendues comme des ballons ; elles sont tournées contre le vent, et paroïssent dan$ rte d' bilité ; © | I ntent une sorte d’rmmobilité ; cependant elles monter et descendent avec l’essaim, jusqu’à ce qu'un mâle ÉDI Iles. 1 raîne loin de la foules se precipite SUT elies, 1ES entraine IOm Gé la 10 et les fécondent au milieu des airs. ; pi ‘MŒURS DES FOURMIS. 97 J'ai vu trés: souvent, au mois de septembre, de pareils essaims: il m’étoit facile d'observer ces | insectes ; ma présence ne les génoit point ; le Bourdonnement de ces miriades de fourmis aiïlées | n'évaloit pas celui d’une seule gaëpe. De toutes Paris on voyoit, dans la prairie, de ces rassem- blemens : un zéphir suffisoit pour les disperser, Mais ils se réunissoient bientôt; souvent plusieurs essaims se confondoient et n’en formoient plus qu'un seul : j'en ai vu de très-considérables qui ne m'ont rien offert de particulier. Lorsqu'un essaum de ces fourmis etoit au-dessus de ma tête, il ne tenoit qu'à moi de le faire Changer de place et de le réunir à d’autres que je voyois dans la prairie ; je n’avois qu’à marcher lentement ; lessaim. dont j'étois environné me Suivoit et m’accompagnoit en tous lieux, soit que l'entraînasse après moi la colonne d’air dans la- Quelle ils voltigeoient, soit que É me prenant pour la basé au-dessus de laquelle ils s’élevoients ils ne s’apérçussent pas qu'elle s’éloignoit du point de départ; mais je n'ai point été témoin de ces SSsaims prodigieux dont M. Gléditsch a donné Ia description dans les Mémoires de l’Académie de fe 98 RECHERCHES SUR LES Berlin. & Il observa, dit-il (1), un essaim pro- » digieux de fourmis qui, vu de loin, faisoit un » effet assez semblable à celui d’une aurore bo- » réale, quand du bord de sa nue il s’élance par » Jets plusieurs colonnes de flammes et de vapeurs; » plusieurs rayons en forme d’éclairs qui tendent » à se réunir, mais sans en avoir Peclat. Des » colonnes de fourmis, un peu obscures, alloient » et venoient çà et là avec une vitesse inexpri- » mable, mais toujours en s’élevant; et leur » élévation devint telle, qu’elles parurent s’etendre » au-dessus des nues : arrivées à ce point, elles » ne disparoïssoient ni en tout , ni dans la moindre » de leurs parties, mais au contraire elles sem- » bloient s’épaissir peu à peu, et s’obscurcir de » plus en plus; d’autres, plus tardives, suivoient » les premières, et s’élevoient pareillement en » s’élançant plusieurs fois avec une vitesse. égale ; » ou en montant l’une après l’autre. Cette mul- » titude de colonnes qui s’élevérent dura Pespace » d’une demi-heure. Chacune ressembloit à us >» réseau fort délié, et avoit un mouvement in- pe ur” | r * (1) Bomare, Dict. d'Hist. Nat. MŒURS DES FOURMIS. 99 testin , comme de trémulation ou d’ondulation ; mais, en le considérant de plus près, on re- | Connoïssoit une troupe innombrable d'insectes Volans , dont elle étoit composée toute entière ; ces insectes , fort petits , tout-à-fait noirs et ailés, conservoient l'égalité et la forme de la Colonne entière, en montant et en descendant continuéllement avec régularité. » On croit peut-être que ces fourmis ailées qui viennent de se rassembler dans les airs, et dont la fécondation s’est opérée sous nos yeux, rap- pelées dans la fourmilière natale par un instinct Secret, vont rentrer dans leurs foyers, et aug- Menter la population du nid ; que les mâles, devenus inutiles, après avoir consommé une partie des provisions de la grande famille dont ils sont Membres, éprouveront le sort cruel de ceux des abeilles, et que les femelles confieront leurs œufs Aux soins des mêmes ouvrières Qui ont protégé leur enfance ! Plusieurs auteurs J’avoient avancé, Mais sans en donner de preuve (1); il convenoit donc d'approfondir cette question, qui se pré- a (1) Entr’autres de Geer ñ XVIN Mémoire. : 100 RECHERCHES SUR LES sentoit naturellement après les faits dont nous ve- nons d’être témoins. Les mäles ei les femelles des fourmis, lorsqu'ils s’éloignent au vol de la fourmilière , ne montrent point cet insünct singulier qu'on observe chez les abeilles, les bourdons , et d’autres insectes appelés à retrouver leur habitation : cet instinct consiste à savoir tournoyer autour de leur de- meure avant de s’en écarter, afin de pouvoir en examiner la posiuon et les alentours : c’est ce “qu'on peut remarquer quand on déplace une ruche. Le premier jour, les abeilles ne sen éloignent point sans avoir visité tous les objets voisins; elles tournent de tous côtés en regardant leur demeure, et on conçoit que sans cela leur retour seroit impossible. La reine en fait autant lorsqu'elle va chercher la fécondation dans lés airs (1). Mais nos fourmis ailées s’écartent, au contraire, de leur nid en lui tournant le dos; et vont, en ligne droite, à une ‘distance d'où 1 ne leur seroit pas même facile de Vapercevoir: _ mmmertt (:) Nouvelles observations sur les abeilles | adressées à Ch. Bonnet, MŒURS DES FOURMIS: 10} On pouvoit déjà soupconner, d’après cela, quelles ne devoient pas y revenir; mais je ne men ns Pas à cette simple obsérvation : après leur dé Part, je restai en sentinelle jusqu’à la nuit; et Pendant plusieurs jours de suite, je les observai vec le même soin, pour m'assurer qu’elles ne rentroient pas dans la fourmilière : j'ai obtenu, Par ce moyen, la conviction que leur retour est encore une de ces fables dont-on nous a si long-tems amuse. Que deviennent donc ces insectes, habitués à Vivre dans une demeure commode, spacieuse et à l'abri de toutes les intempéries de fais accou- tumés aux soins des ouvrières ; et. tout-à-coup livrés 2 à eux-mêmes et privés de tous. 668 .aÿan- tages ? C'est ce que la suite nous apprendra. ÿ IL. Eistoire des fourmis ailées après la fécondation. L'HISTOTRE des mâles, lorsqu'ils ont rempli 2 . + : " h E S Punique but auquel ils paroïssent destinés , w'offiira | lexemple du courage qu’on attend de leur sexe, M cel d’une laborieuse industrie : on sait ‘que dans Ja classe des insectes à quatre ailes membra- É07-. RECHERCHES SUR LES neuses, les mâles sont dépourvus d'armes offensives, et ne possèdent aucun de ces appareils merveilleux dont la plupart des femelles font usage pour Péta- blissement de leur famille ; ils n’ont ni denis fa- connées en ciseaux, ni aigwillon, ni tarrières : tous les arts qu’on remarque chez la plupart des abeilles et des guêpes , chez les ichneumons et les mouches à scie, etc. sont exercés par les seules femelles , ou par les ouvrières, qui les représentent. La défense du nid leur est aussi confiée ; et le mâle, lorsqu'il a coopéré à l’œuvre de la repro- duction , devient inutile à la famille dont il fait parte. La vie des fourmis mâles ne sauroit être de longue durée : prives de leurs nourrices, inca- pables de pourvoir d'eux-mêmes à leur subsistance ; et ne devant plus retourner à la fourmilière qui les a vu naître, comment pourroient-ils exister long-tems ? Ou leur vie est naturellement bornée à quelques semaines, ou la faim doit en terminer promptement le cours : quoi qu'il en soit, ils dis paroissent peu de tems après l’époque de leurs amours, mais ils ne sont jamais victimes de la fureur des ouvrières, comme ceux des abeilles. À. l’époque où la carrière des mâles se termine; MŒURS DES FOURMIS. 103 Celle des femelles est à peine commencée ; elles Portent les germes des générauons Ses , etces $èrmes sont fécondés : leur histoire touche de près à celle des fourmihères mêmes , et renferme plu- sieurs particular ités curieuses et inconnues. Par- Courons d’abord les auteurs qui en ont parlé. Swammerdam , qui nous a donné tant de beaux mémoires sur les métamorphoses des insectes, et . Qui a même contribué , l’un des premiers, à nous éclairer sur celles des fourmis, n’avoit point vu chez elles de femelles ailées; cependant il en décrit quelques espèces; il parle de leurs mäles pourvus de quaire ailes , et raconte plusieurs traits de leur histoire. Geoffroy a vu des ailes aux femelles, mais À nie formellement qu’elles en soient jamais pri- Vées : le peuple croit encore, avec l'antiquité, que les fourmis , à un certain âge , prennent des ailes. Linnée , de Geer, Latreille et les autres natura- listes modernes s'accordent à dire que les femelles des fourmis sont ailées comme les mâles, mais que peu de tems après l’époque de Paccouplement on en voit qui n’ont point d'ailes. Cette observation , répétée par de si grands na- luralistes, a bien des droits à notre confiance : 104 RECHERCHES SUR LES Swammerdam s'etoit donc trompé. Nous avons suivi jusque dans son origine le développement de leurs ailes, au travers des virages de la four- 7: 4 . . . à milière artificielle ; elles ont pris l’essor devant nos yeux; nous les avons vues s’unir dans les airs avec les mâles , et planer au milieu des essaims que ceux-ci formoient par leur réunion : il eût été difficile de se méprendre sur des faits de.cette nature. Il est cependant constaté qu'il existe aussi des femelles sans ailes chez les fourmis: En effet, toutes les fois que j'ai ouvert des fourmilières, jen ai trouvé quelques-unes qui n’en avolent point. Mais est-ce bien les mêmes femelles qui, dans un tems, sont au nombre des insectes volans , et dans un autre, réduites, sous ce rapport, à la condition de simples ouvrières ? Pourquoi et comment ces insectes per+ dent-ils leurs ailes? Les observations suivantes nous offiront, je l’espère , la solution de ce problème. Un jour, dans l’intenuon de m'éclairer sur le sort des femelles , je me rendis auprès de certaines fourmilières que je savois être remplies de fourmis ailees de l’un et de Pautre sexe, dont le départ ne devoit pas être éloigné. À peine arrivois-je sur les ja et ° | lieux , que je vis passer au-dessus de ma tête plu- MŒURS DES FOUR MIS. 105 Sieurs fourmis femelles portant leurs mâles en Croupe ; jen saisis quelques-unes sans leur faire de mal , et je vis qu’elles appartenoïent à la fourmi brune, M’étant alors rapproché de la fourmilière dont elles étoient parties, j’en vis encore plusieurs Prendre le vol et quitter leurs foyers : les mâles les avoient précédées , et les ouvrières les accom- Pagnoïent aussi loin qu’elles le pouvoient. Ces femelles sélevoient perpendiculairement à lhori- “On, et s’éloignoïent à perte de vue; mais elles lencontroïent sans doute les mâles rassemblés dans les airs , et de là redescendoïent avec ce léger far- deau , qu'elles venoient déposer sur des arbustes : es couples ne tardoient pas à se séparer. Je pris huit femelles encore unies à leurs mâles , ftje les ‘mis dans une boîte pour les observer à Mon retour Re mais une pluie violente qui survint fR ce moment m'offrit un spectacle aussi curieux Qu'il étoit inattendu. Aussitôt que cette ondée fut Passée , je vis le terrain jonché de femelles sans iles ; c’étoient bien les mêmes que je venois de Voir traverser les-airs:: elles étoieni ‘dé Pespèce et de }a couleur des premières. Je ne nretois point É£arté de l'endroit où ces fourmis venoient de se 106 RECHERCHES SUR LES poser; on en voyoit même quelques-unes d’ailees au milieu de celles qui ne l’éioient plus; il étoit donc facile de les comparer. Rentrée chez moi, je plaçai mes huit prisonnières, ee de la terre humide , dans un vase de jardin, recouvert d’un récipient de verre : il étoit neuf heures du soir; à dix, toutes les femelles avoient perdu leurs ailes et s’étoient cachées dans la terre: on voyoit ces ailes éparses çà et là. Javois laisse échapper l'occasion d’être témoin de la séparation de ces membres fragiles , et de- mêler, s’il étoit possible , ce qui l’avoit déterminée. Dès le lendemain, je me procurai trois autres fe- melles unies avec leurs mâles; et cette fois je les observai avec la plus grande attention depuis lins- tant de leur fécondation jusqu'à neuf heures du soir, c’est-à-dire pendant cinq heures consécutives; mais, dans cet espace de tems, je ne leur vis rien faire qui püt annoncer la perte prochaine de leurs ailes; en eflet, elles ne tombèrent point. Ces fe- melles paroïssoient jouir d’une sorte de_ bien-être; elles passoient leurs pates dans leur bouche, puis les.faisoient glisser par-dessus leurs antennes, €f frotioient leurs jambes les unes contre les auires- MŒURS DES FOURMIS. 107 * Je ne concevois pas ce qui pouvoit retarder la Chute de leurs ailes, tandis que les précédentes les avoient perdues si promptement ; il est vrai {ue Vavois laissé celles dont il s’agit dans une boîte fort étroite et fermée de toute part, au lieu ue les premières avoient été placées sous une Yoüte transparente qui n’offroit point l'aspect d’une RE ison, et sur un sol qui ressembloit plus à l’état de nature que le fond d’un poudrier où il ny avoit pas de terre : je n’avois pas prévu qu’une circons- lance , aussi légère en apparence, pût influer sur les âcüons de mes fourmis ; cependant, ayant compris Qu'il falloit les mettre dans la même position que les premières , je pris de Îa terre que je semai légè- lement sur une table, et je la recouvris d’une Cloche de verre. | Javois trois fourmis fécondées , j'en pris une et Pintroduisis sous le récipient ; je ly fis aller d’elle- Même en lui présentant un brin de paille, sur le- quel elle monta , et je la portai ainsi dans sa nou- Yelle habitation , sans lavoir touchée. A peine eut-elle aperçu la terre qui couvroit le fond de sa demeure , qu’elle étendit ses ailes avec effort, en les faisant venir en avant de sa tête ; 108 RECHERCHES SUR LES elle les croiïsa dans tous les sens , les renversa d’un côte, puis de l’autre, et fit de si singulières con“ torsions que ses quatre ailes tombèrent à la fois en ma présence. Après cette expédition elle se reposa, brossa son corselet avee ses pates, et se promena sur la terre, où elle parut chercher un gite : elle ne sembloit pas s’apercevoir qu’elle fût enfermée dans une étroite enceinte; elle mangea du miel que je lui donnai, et se cacha enfin sous quelques morceaux de terre qui formoient une petite grotte naturelle. Si je fus surpris en voyant cette femelle re- jeter d'elle-même ses ailes, je le fus plus encore en observant qu’elle ne paroissoit point en avoir souffert, et qu'après cet acte qui nous semble contre nature , elle pouvoit se livrer paisiblement à sOn appétit, ét vaquer au soin de se faire une re- traite , comme s'il ne lui étoit rien arrivé que de fort ordinaire : ce fait méritoit confirmation. Je ne fis éntrer la seconde femelle sous la cloche de verre qu'une heure ou deux après la première; et ce fut avec les mêmes précautions que Jai dé- taillées plus haut ; jy ajoutai celle de verser un peu d’eau sur la terre sèche dont la table de MŒURS DES FOURMIS. 109 l ‘appareil étoit garni, afin de permeatre à ces in- Sectes d'entreprendre quelques travaux, si leur Üstinct les y portoit. Lorsqu'elle sentt qu’elle étoit SUr la terre humide , elle fit quelques pas, puis Sarrêta pour tâter Île terrain avec ses antennes ; cela fait, elle se disposa à se dépouiller de ses äles ; elle les ouvrit.en désordre , les écarta dans ous les sens, en:se couchant à plat - ventre; fit passer ses jambes par derrière ses ailes ,: et. les pressa contre terre, comme avec un levier; lorsqu'elle eut réussi à s’en débarrasser » je la vis $ promener tranquillement dans son enceinte , et S'occuper du soin de pratiquer une grotte dans lä: ierre : ainsi cette seconde expérience eut le même Succès que la précédente. Îl me restoit encore une femelle fécondée; je la réservai pour le lendemain : elle ne perdit point ses ailes avant l’ expérience. Je l’introduisis sous le Técipient quinze ou seize heures plus tard que les Autres ; elle étoit en fort bon état ; €t ne paroissoit Point avoir souffert de ce délai. À peine fut-elle sur la terre de l'appareil, qu’elle se hâta de se débar- lasser de ses ailes en employant les mêmes moyens Me jai indiqués ci-dessus, en parlant de ses com- RTE dis us RE) dam iso 110 RECHERCHES SUR LES pagnes : je répétai encore cette expérience sur plu sieurs femelles de différentes espèces, et 'obtins toujours le même résultat. On voit donc que les femelles des fourmis per- dent leurs ailes; mais on ne s’attendoit guëres qu’elles s’en dépouillassent d’elles-mêmes et volon- tairement. Ne semble-t-il pas que la nature ait voulu se jouer de notre jugement par la variété et la supériorité des conceptions dont elle offre l'exemple ; dans les détails comme dans l’ensemble ? Nous ne jugeons que d’après les faits connus; mais la nature ne s’imiie pas et n’a pas besoin de s’imiter : la fécondiié de l'esprit qui a dicté ses lois ne connoit pas de bornes ; chaque espèce a ses mœurs ; chaque individu sa constitution particulière ; de là viennent les erreurs sans nombre dans lesquelles nous tombons dès que nous nous écartons de l'observation pour décider d’après les règles qui nous paroissent Îles plus genérales. Mais revenons aux fourmis, dont l’histoire nous présente bien des exemples de l'insuffisance de nos conjectures. Quelle sera la destinée de ces femelles qui se sont unies avec les mäles dans les airs, et qui viennent de se mutiler elles-mêmes ? Nous avons déjà v® MŒURS DES FOURMIS. 111 elles ne retournoient point dans leurs foyers. Dés qu’elles ont perdu leurs ailes, on les voit SOurir sur le terrain, et chercher un gîte. I] se- Toit bien difficile de les suivre dans les tours et dé: lours qu’elles font alors au milieu des champs et des gazons. Je n’ai pas réussi à les voir s'établir, Mais je me suis assuré , par quelques essais , que ces femelles, qui n’étoient appelées à aucuns travaux dans les fourmilières natales, et qui paroissoient incapables d'agir par elles-mêmes, animées par Pamonr maternel et le besoin de faire usage de toutes leurs facultés | devenoient laborieuses et Soignoïient leurs petits aussi bien que les ouvrières. Penfermai plusieurs femelles fécondées dans un “bocal plein de terre légère et humide; elles surent sy pratiquer des loges, dans lesquelles elles se ‘éurèrent , les unes isolément, d’autres en com- Mun ; elles pondirent, soïgnèrent leurs œufs , €t Maluré l’inconvénient de ne pouvoir varier la tem- Pérature de leur habitation, elles en elevérent uelques-uns, ï qui devinrent d'assez grosses larves, Mais qui périrent enfin par l’effet de ma négligence. Je réunis ensuite d’autres femelles dans un ap- Pareil semblable , et je leur livrai quelques nym- 112 RECHERCHES SUR LES ïhes d’ouvrières pour savoir si leur instinct leur Ï enseigneroit à ouvrir la coque dans laquelle elles étoient enfermées ; et quoique ces femelles fussent vierges et pourvues de leurs ailes, elles travaillé rent si bien, que je trouvai le lendemain trois ouvrières au milieu d'elles ; quelques jours après je les surpris occupées à délivrer d’autres ouvrières de leur dernière enveloppe : elles s’y prenoient comme les fourmis ordinaires , et ne paroissoient point embarrassées du rôle qu’elles remplissoient pour la prennère fois. Il est donc évident que les femelles savent, au besoin , élever seules leur famille : si j'ai essayé de m’en assurer par des preuves encore plus posi- tives, c’étoit mois pour lever tous mes doutes à cet égard, que pour satisfaire ma curiosité sur Îa composition de ces nouvelles peuplades. Après de | longues recherches , j'ai trouvé la retraite de ces femelles et les fourmilières naissantes qu’elles avoient établies. Elles étoiént situées à peu de pros fondeur dans la terre ; on y voyoit un pett nombre d'ouvrières auprès de leurmére, et quelques larves qu’elles nourrissoient. J’ai vu deux exemples de ces peuplades nouvellement établies ; enfin un de me* : amis » MŒURS DES FOURMIS. | 119 | amis (1) , dont les observations ont RE droits à la Plus entière confiance ,; découvrit un jour , dans une petite cavité souterraine , une fourmi femelle Vivant solitairement avec quatre nymphes s dont elle Paroissoit prendre soin. Îl nous restoit encore ici une grande question à Tésoudre : les femelles qui n’ayoient point reçu les approches des mèles cherchoient- elles aussi à se dépouiller de leurs ailes, OU Continuoient-elles à en faire usage ? Voici ce que j'ai observé à ce sujet. Je pris à la fin d'avril, dans un nid de fourmis jaunes » plusieurs jeunes femelles; elles avoient leurs ailes dépliées, mais blanchâtres , comme Celles qui sortent de leur coque ; elles ; jouissoient d'une pleine liberté dans leur habitation, ce qu Prouve, comme on le verra bientôt, qu’elles “toient encore vierges : on sait d’ailleurs qu'il $St_très-rare que les mâles s’en occupent dans lintérieux du nid; je les enfermai dans une fourmilière vitrée , avec quelques ouvrières de la même famille , et jobservai leur conduite pen- dant plusieurs mois. Les ouvrières n ’éprouvoient ame (1) M. Perrot de Neufchatel, très-bon naturaliste, 8 1 pé, RECHERCHES SUR LES pas à leur égard ce genre d'intérêt que leur 1nS-— pirent les femelles fécondées ; elles paroissoient les traiter avec indifférence , et cela étoit d'autant plus naturel que ces femelles avoient adopte les mœurs et le caractère des neutres; leur timidité avoit disparu et avoit fait place à une sorte de hardiesse, où plutôt d’irrascibilité dont je m’apercevois toutes les fois que jouvrois leur porte pour leur donner à manger ; elles s’élançoient alors sur mes mains, et me pinçoient plus fortement que les ouvrières ; elles savoient aussi poursuivre et attraper les mou- ches que j'introduisois dans leur nid , et le faisoient avec beaucoup de promputude et de dextérité ; car elles n’avoient point perdu leurs ailes, malgré la longue épreuve à laquelle je les avois assujetties: Une autre fois j'établis plusieurs femelles vierges; de l’espèce des fourmis brunes , dans une porto de leur nid, sous une cloche de verre; elles ÿ restèrent paisiblement et sans prendre la disposiioÿ colérique des précédenies ; mais elles conservèrent aussi leurs ailes. Enfin j'en plaçai dix autres, également vierges: dans un vase, et je les y laïssai six semaines ; pen” dant cette longue capuvité elles n’essayèrent po! MŒURS DES FOURMIS. 119 de se dépouiller des membres qui pouvoient leur | Servir à remplir l’objet de leur destination. U me paroît donc certain que les femelles ne ejettent leurs ailes qu'après la fécondation, et que St acte est volontaire de leur part, lorsqu'elles doivent changer de genre de vie, et se reurer Pour soigner la peuplade dont elles portent les $ermes. $ TI. Conduite des ouvrières à l'égard des femelles Jécondées. + Tovres les femelles ne devoient pas s'éloigner de la métropole ; il falloit qu'il en restät quelques- Unes pour subvenir à sa population ; et voici com- Ment la nature a prévenu la désertion des femelles, dont la fourmilière £étoit menacée. En parlant des essaims des fourmis, j'ai évité de Ypporter une observation qui demandoit quelques développémens, et qu'il est tems de faire Æ Noître sc est que l’umion des sexes ne se passe pas Üoujours loin de la fourmilière : il y a même ordi- Virement plusieurs mâles qui, avant de partir, hissent à leur patrie quelques femelles fécondées: 116 RECHERCIHIES SUR LES Les ouvrières , comme si elles sentoient limpor” tance de conserver au milieu d'elles des femelles capables de maintenir la population de la répur blique, retiennent soigneusement ces précieux dé- positaires de la génération future : ce trait remar“ quable de leur prévoyance ou de leur instinct s’est manifesté devant moi , non-seulement sur les four= milières naturelles, mais encore dans mes appa* reils vitrés, où jai pu lobserver avec plus de détail. J’avois a la cloche de verre qui les recouvroit , parce que je nétois aperçu quelle concentroit tellement les rayons du soleil sur le nid, que ses habitans ne pouvoient en supporter lardeur, et javois placé la fourmiliére vitrée dans un jardin où Je pouvois observer les fourmis _ailées, comme si elles eussent été en pleine liberté: La plupart des femelles s’éloignèrent sans retour ; d’autres , en peut nombre, furent fécondeées sur le nid. | L’une d'elle , après la copulation, alloit prendr® ‘le vol, lorsque les ouvrières la retinrent par les pates , s'y cramponnèrent avec force ; lui arraché” rent ses ailes et la conduisirent dans leurs souter” rains ; où elles la garderent obstünement, Plusieur® MŒURS DES FOURMIS. 117 tuires furent saisies par les ouvrières pendant lac- COuplement même , et entraînées aussitôt au fond du Cadre | où je les vis mutlées et retenues en Captivité. | Cest surtout chez les fourmis fuhigmeuses qu’il 8st facile de faire cette observation , parce que le départ des individus ailés de cette espèce ne s'opère Œu'après un long espace de tems, pendant lequel ces insectes mâles et femelles sortent chaque jour de leurs labyrinthes , depuis deux ou trois heures de p après-midi jusqu'au milieu de la nuit, et se Promènent le long du tronc de Parbre qu'ils habi- nt. Le mouvement de ces insectes que les ou- Vières même conduisent hors de leur nid, aug Mente progressivement , et ressemble alors à une Tête nationale, àlaquelle tous les individus de la fourmilière prendroient une part acuve : il est des- üné a favoriser la rencontre et Fation des sexes. Pa vu souvent dans ces nombreux rassemble Mens des femelles retenues par les ouvrières, mu Ulées en ma présence, et emmenées aussitôt dans js x LES . Éttéieur du tronc; et quoique je ne les aie pas Surprises accouplées, je ne douie pas que leur “prisonnement ne fût la suite de leur féconda- : 118 RECHERCHES SUR LES ion , soit parce que les autres femelles restoient parfaitement libres , soit par analogie avec les fourmis dont j'ai parle ci-dessus , soit enfin parce que j'ai vu plusieurs fois les mäles poursuivre les femelles à la surface de l’arbre. On voit donc que ce nombreux cortège d’ou- vrières que nous avons ‘souvent observé sans es deviner le but, n’est point un hommage qu’elles rendent aux fourmis ailées , mais qu'il est destiné à favoriser la saisie des femelles dont la fécondation s'opère sur la-fourmilière même. Les femelles des fourmis devenues prisonnières au moment de la fécondation, et conduites dans l’intérieur du nid; commencent par être entièrement dépendantes des ouvrières ; celles-ci, acerochées à chacune de leurs jambes , les gardent avec assiduite, ei ne leur per- mettent point de sortir; elles les nourrissent ave0 le plus grand som, et les conduisent dans les quartiers dont la température leur paroît la plus convenable, mais elles ne les abandonnent pas uf instant. Chacune de ces femelles perd par degrés Penvie de sortir de sa ruche ; son ventre grossit. À cetie époque, elle n’éprouve plus de contrainte; MŒURS DES FOURMIS. 119 elle à cependant encore une garde assidue ; une Seule fourmi la suit toujours, et prévient ses be- Soins : la plupart du items, montee sur son abdo- Men et les jambes postérieures posées. par terre, elle Paroît être une sentinelle établie pour surveiller Ses actions , saisir le premier instant où elle com- Mence à pondre, et relever ausstiôt ses œuls. Ce n’est pas toujours la même fourmi qui la suit; celle- ei est relevée par d’autres qui se succèdent sans interruption; mais lorsque la maternité de Ja fe- melle est bien reconnue, on commence à lui rendre des hommages pareils à ceux que les abeilles Prodiguent à leur reine. Une cour de douze à uinze fourmis la suit partout ; elle est sans cesse lobjet de leurs soins et de leurs caresses : toutes S’'empressent autour d'elle, lui offrent de la nour- riture et la conduisent par ses mandibules dans les Passages difficiles ou montueux ; elles vont même Jusqu'à la porter dans les différens quartiers de la fourmilière. Les œufs pris par les ouvrières, à l’ins- lant de leur naissance , sont réunis autour d’elle , et lorsqu'elle se tient en repos, un groupe de four- Ms l’environne. Plusieurs femelles peuvent vivre dans le même / 120 RECHERCIES SUR LES nid ; elles néprouvent point de rivalité ; chacune d'elles a sa cour ; elles se rencontrent sans se faire de mal, et soutiennent en commun la population de la fourmilière, mais elles n’ont aucun pouvoir ; il seroit plutôt entre les mains des fourmis neutres. Cependant, comme elles recoivent les mêmes honneurs que les reines-abeilles, je leur donnerai quelquefois le titre de reines. Pour donner une plus jusie idee du genre d’im- terêt qw'inspirent les femelles aux ouvrières, et. des soins qu’elles en reçoivent, je vais entrer dans quelques détails qui mettront leur instinct À découvert, M'etant un jour arrêté près d’une de ces bandes _ de fourmis qui vont à la file les unes des autres , je vis une femelle portée par une ouvrière ; elle étoit accrochée et suspendue aux mandibules de celle qui la portoit ; leurs dents étoient croisées, et Je corps de la femelle roulé comme la trompe d’un papillon. Il paroîtra sans doute étonnant qu’une ouvrière puisse porter une femelle ; mais celles-ci ont Part de se pelotonner si bien, qu’elles uennent fort peu de place, et ne gènent point les mouve- mens de Pouvrière : on sait que les forces des MŒURS DES FOURMIS. 121 fourmis ne sont point en proportion avec leur pe- Utesse. Je saisis la femelle et son ouvrière , que je TéConnus pour être de Pespèce des fourmis fauves > les avant remises aussitôt en liberté au milieu de leurs compagnes , plusieurs d’entr’elles environ- Nérent la femelle et la flattérent avec leurs an-. lennes ; ensuite une de ces ouvrières, après lui avoir donné plusieurs petits coups d'antennes sur la tête, la prit par ses mandibules ; la femelle se Suspendit à ce point d'appui, et se mit en boule au- dessous du corselet de louvrière , qui reprit sa Toute, chargée de son lord fardeau : elle cheminoit Cependant fort vite ; les autres fourmis la suivoient à la hâte, et venoient de tems en tems palper l’objet de leur éliciedé: La fourmi porteuse etoit-elle lignée , elle se retournoit; la femelle dérouloit Son corps, et au heu d’être portée n’étoit plus que aînée ou dirigée par l’ouvriére, qui la tiroit par Ses mâchoires, en reculant, avec très-pen d'effort. Quelquefois la reine s’arrétoit pour changer de Conductrice : toute sa cour l'environnoit alors et lui prodiguoit ses soins. Cette petite scène me Conduisit jusqu’à l'entrée de la fourmihiére , er là Je perdis de vue la femelle et son cortége. 7 ne © PR PU LS #4, 122 RECIIERCHES SUR LES Une autre fois'je pris des fourinis jäunes dans leur nid, avec une de leurs femelles et beaucoup de petites larves ; je les enfermai dans une boîte vitrée , en leur donnant de la terre, de l’herbe et tout ce qu’il falloit pour les nourrir. Cette boîte resta dans ma chambre pendant tout lhiver : les fourmis qui l’habitoient ne s’engourdirent point; elles paroïssoient suivre à tous égards leur instinct, mais 1l n'étoit nulle part aussi remarquable qu’au- près de la femelle. Celle-ci, lorsqu'elle marchoit, étoit toujours entourée d’une mulutude d’ouvrières qui la couvroient tellement, que ce n’étoit qu’au mouvement trés-lent de ce peloton que je- pouvois m'assurer de son existence. Lorsque je mettois trop fréquemment à décou- vert la loge qui la renfermoit à l’ordinaire , ses gardiennes en préparoiïient une autre un peu plus loin, et l'y conduisoient ou l'y attiroient en lui offrant de la nourriture. Je conservai cetie famille depuis le mois de n0* vembre jusqu’à la fin d'avril ; je la transportai alor$ dans un autre appareil : au lieu d’une boîte vitre® je pris un verre à pied, dans le fond duquel je m1 un peu de terre ; je la recouvris d’une plancheti® MŒURS DES FOURMIS. 129 ronde | qui n’entroit qu'à la moitié du vase , etau W'avers de cette planche , dans laquelle on avoit fait une ouverture, passoient quantité de plantes Won avoit choisies parmi celles qui nourrissent des pucerons : on sait que les fourmis sont fort amies de ces insectes , auprès desquels elles trou- vent leur principale subsistance. Ce fut dans la partie supérieure du vase que je logeai les fourmis , leur femelle, leurs larves et leurs pucerons : elles parvinrent à réunir un peu de terre qui se trouvoit éparse sur les feuilles, et €n firent une petite lose entre les branches, où elles conduisirent leur reine ; au bout de quelques Jours elles découvrirent un étroit passage entre le Verre et le bord de la planche, et trouvant au- dessous de la terre humide , elles ne tardèrent pas à construire en cet endroit des cases, des sentiers t des voûtes ; elles y transportèrent la plupart des larves ; mais il n’étoit pas aussi facile d'y faire entrer la femelle : elle étoit descendue au bord de Ja planche avec toute sa cour, et cherchoit à Passer par le très petit intervalle qui restoit entre Re Bond et les parois du vaisseau ; elle mettoit \ chaque instant sa tête dans cetie ouverture , et D si “ PPT R à 124 REÉCHERCHES SUR LES essayoit dy pénétrer , avec une sorte de persé- vérance, comme si elle avoit su qu'il y eût au- dessous un espace où elle pouvoit se loger plus commodément; enfin, elle trouva une place assez grande pour y insimuer toute sa tête ; les fourmis, depuis Pétage inférieur , la brossoient avec leurs dents et la caressoient de leurs antennes, comme hs L3 Ë Li L p LI E . pour linviter à les suivre : les unes la saisissoïent par ses mandibules ; d’autres, montant au-dessus de la planche, la ürailloient par ses jambes pour l’entraîner dans le souterrain ; elle essaya vaine- à plusi ris de s’y gli ment, à plusieurs reprises, de s’y glisser ; les four- is reumes autour (d'elle la léchoi bloi nus reumes autour € eile la lechoient et sembloient “vouloir réparer le mal qu'avoit pu lui occasionner ses efforts infructueux. Je pris enfin le paru de faciliter l’entreprise de ces insectes : un léger mouvement de bascule im- primé à la planche permit aux ouvrières de conduire Icur femelle au fond de sa demeure, sans aucun obstacle. On voit par les détails de la conduite des où. vrières à l'égard des femelles, que si elles les ont privées de leur liberté et de leurs ailes, "ce n’a ete que pour assurer la population de la fourmihère: MŒURS DES FOURMIS. 125 ét que le sort auquel la nature les destinoit ne le Cédoït en rien à celui des reines-abeilles (1). La nature a donc pourvu de deux manières à Ja Conservation de l’espèce chez les fourmis : en or- donnant qu'une parte des femelles s’éloignassent de leur ville natale > pour former en tous lieux de Nombreux établissemens, et en permettant que les Guvrières de ces communautés retinssent quelques femelles pour assurer la durée de chaque société ; Pendant que celle des guêpes et des bourdons , *u contraire , dissoutes chaque année, se repro- duisent tous les printems. | . Cest ainsi quelle a créé des plantes annuelles dont l'espèce ne se conserve que par graines, tan- dis que d’autres subsistent des siècles entiers en Tépandant tous les ans des semences qui se mul- üplient à leur tour. Ne pourroit-on pas étendre Den. (1) Cet attachement des ouvrières pour les femelles Sembleroit mème s'étendre au-delà de l'existence de ces dernières ; car lorsqu'une femelle fecondée péril, cinq OU six ouvrières demeurent auprès d’elle , et pendant Plusieurs jours la brossent et la lèchent sans interruption 3 S0it qu’elles conservent pour elle un reste d’affection, Soit qu’elles espèrent la ranimer par leurs soins. £ L - en cu à De Rem 0 GR QE or a D 126 RECHERCHES SUR LES cette comparaison à la république des abeilles , dont les peuplades se renouvellent par rejets ? On reconnoît à ces grands traits, que la même main a créé le végétal et insecte. Mais ne nous laissons \ z 4 DE pas aller à ces considérations , auxquelles on est sans cesse ramené par les moindres détails , et qui nous éloïigneroïent trop de notre sujet. \ MŒURS DES FOURMIS. 127 HÉRSER PN T De C TR SHAPTÉERE it. 6 I. Des relations des fourmis entre elles. Se compose de leur génération , de leurs habi- 9 L La PET HISTOIRE des insectes qui vivent solitairement tudes particulières, des métamorphoses qu'ils su- bissent, de leur manière de vivre sous chacune dès formes qu'ils revêtent successivement ; de leurs Füses pour attaquer leurs ennemis , et de l’art avec lequel ils construisent leur habitation : mais celle des insectes qui forment ensemble des sociétés fombreuses ne se borne pas à quelques procédés Témarquables , à quelque talent particulier ; elle 0ffre de nouveaux rapports, qui naissent de luti- lité Commune , de légalité ou de la supériorité de lang ; du rôle que chacun des membres joue dans a société ; et tous ces rapports supposent entre les individus des différens ordres une liaison qui Ne sauroit exister sans l'intervention du langage. Tappelle ainsi tout Moyen quelconque d'exprimer leurs désirs , leurs besoins et leurs idées même ; 128 RECHERCHES SUR LES- si lon peut donner ce nom aux impulsions de l'ins- ünct. Il seroit difficile d'expliquer d’une autre mar nière ce CORCOUrS de toutes les volontés vers un même but, et l'espèce d'harmonie qu'offre l’en- semble de leurs institutions. Nous ayons déjà fait connoître plusieurs traits | de la sociabilité des fourmis , en parlant de l’édu- cation qu’elles donnent aux petits d’une autre mère, de leur conduite à l'égard des mäles et des femelles, et des travaux qu’elles entreprennent en commun | pour la construction de leur demeure; mais ce n’étoit encore là que des faits isolés qui ne mon- troient pas en quoi consiste le véritable secret de l’harmonie qui règne chez elles; et ce n’est sans doute qu’en examinant sous ce point de vue , €t avec plus d'attention encore , leur conduite entrê elles, que nous pourrons nous initier dans la cons= ututüon de ces républiques en miniature. Nous allons étudier dans ce but les rapports journalierÿ des fourmis les unes avec les autres ; rapporis sous. lesquels nous ne les avons point encore considé” rées, et qui méritent bien de nous occuper quel ques instans. Choisissons pour. cela les traits les. plus simples et les plus ordinaires de la vie de ce? insecte? MŒURS DES FOURMIS. 129 L sectes : la garde de a fourmilière nous fournira les Premiers exemples de leurs relations sociales. On pourroit sans doute irriter' les fourmis qui se irouvent à la surface du nid, sans alarmer celles de l'intérieur, si elles agissoient isolément et n’ayoient aucun moyen de se communiquer leurs impres- Sons mutuelles, Celles qui sont occupées au fond de leurs souterrains , éloignées du danger, 19nO0— rant celui dont leurs compagnes sont menacées , ne viendroient point à leur secours; mais il pa- . Toit qu’elles sont, au contraire, très-bien et très- Promptement informées de ce qui se passe à l’exté- Meur. Quand on attaque celles du dehors, la plu- Part se défendent avec courage ; mais il en est toujours quelques-unes qui se précipitent au fond de leurs galeries ; et jettent l'alarme dans la cité Oüterraine : l'agitation se communique aussitôt de Martier en quartier , et les ouvrières accourent en foule , avec toutes les démonstrations de lin- fuiétude et de la colère. Ce qui me paroît surtout digne d’être remarqué, c’est que les fourmis Préposées à à la garde des petits, et qui se uennent dans les étages supériéurs, où la température $St la plus chaude , averües aussi du danger qui ï, 130 RECHERCHES SUR LES menace leurs élèves, etioujours dirigées par cette sollicitude que nous avons souvent admirée , 56 hätent de les emporter dans les caveaux les plus profonds de leur habitation > et de les mettre ainsi à l'abri de toute atteinte. Pour pouvoir étudier en détail la manicre dont . l'alarme se répand dans la fourmilière , il falloit faire ces observations sur les individus de la plus grande espece : les fourmis hercules , qui habitent les arbres creux, et n'en sortent qu’au printems pour. accompagner les mâles et leurs femelles, m'ont “ot à cet égard beaucoup de facilité. - Les ouvrières avoient cinq ou six lignes de lon- gueur ; les individus ailés étoient aussi grands à pro- portion ; les uns et les autres se promenoient or- dinairement sur le tronc d’un chêne , à l'entrée dé leurs labyrinthes : lorsque j'inquiétois les fourmis les plus éloignées de leurs compaynes, en les observant de trop près, ou en leur soufflant dessus légèrement, je les vOyois accourir vers d'autres fourmis, leur donner de petits coups de tête contre le corselet, et leur communiquer, par ce moyen, leur crainte ou leur colcre; elles alloient de lune à l'autre en parcourant un demi-cercle ; MŒURS DES FOURMIS, 131 Et TS à plusieurs reprises celles qui ne se Mettoient pas à l'instant en mouvement. Celles-ci : Vertes du danger commun , partoient aussitôt en décrivant à leur tour différentes courbes ; et s’arrè- toient pour frapper de leur tête toutes celles qui $€ trouvoient sur leur passage. En un instant, les Signes se répétoient de toutes parts; toutes Îles Ouvrières parcouroient avec agitation la surface de Parbre ; et celles de l'intérieur, averties probable- Ment par le même moyen, sortoient en foule et 8 joignoient à ce tourbillon. Les mêmes signes qui produisoient sur les ou- Vnières l'effet dont nous avons parlé , causoient une Upression différente sur les mâles et les femelles : dès que Pouvrière leur avoit communiqué la nou- Yelle qu danger , ils cherchoient un asile et ren- troient précipitamment dans l'intérieur du tronc ; Mais aucun d'eux ne songeoit à se retirer , jusqu’à te qu'une ouvrière ne sen fût approchée , et ne leur eut donné le signal de la fuite : la sollicitude des ouvrières à leur égard se manifestoit par lac- üvité avec laquelle elles leur donnoïent Pavis ou leur ; intimoient l’ordre de s EHEREN elles redou- bliene alors les signes Le nous avons observés 5 15 — RECHERCHES SUR LES comme si elles avoient jugé qu'ils dussent les com- prendre moins facilement que les compagnes de leurs travaux : celles-ci les entendent , pour ainsi dire. à demi-mot: cependant il est des cas où elles 2 ? ont besoin d'avis réitérés ; l'observation survanté en est un exemple ; elle paroîtra peut-être minu- tieuse ; mais comme il s’agit de démontrer que les fourmis ont une espèce de langage, on voudra bien me permettre d’entrer dans quelques détails à cet égard , en faveur de Pimportance du sujet. Les pieds de la fourmilière artificielle plon- t A geoient dans des baqueits qu'on avoit soin de tenir toujours pleins d’eau; cet expédient, m=. venté d’abord pour fermer le passage aux fourmis » devint pour elles une source de jouissances; caf elles boivent, comme Îles papillons , les abeilles et d’autres insectes, pendant les chaleurs de V’éte. Un jour qu’elles étoient réunies au pied de la ruche, et occupées à lécher les goutteleties qui filtroient entre les fibres du bois, ce qu’elles paroissoient préférer à boire dans le bassin même, je m'a” musai à les inquiéter; cette petite expérience donna lieu à une scène qui me parut concluante- "4 { * x à k La plupart des fourmis remontérent aussitôt le long MŒURS DES FOURMIS. 133 du pied de la ruche; il en resta cependant un petit nombre , que ma presence ne parut pas avoir Alarmées, et qui continuérent à boire; mais une des Premières redescendit et s’approcha d’une de-se | Compagnes , qui paroiïssoit absorbée par le plaisir de se désaliérer ; elle la poussa avec ses mandi- bules, à plusieurs reprises ; en baïissant et rele+ Vant sa tête par saccades , et réussit bientôt à la faire parür ; lofficieuse fourmi s’adressa ensuite à une autre ouvrière qui buvoit encore, chercha à la Sumuler par derrière en frappant son abdomen ; Mais voyant qu’elle ne paroïssoit pas la comprendre, elle s’approcha de son corselet, et lui donna deux . Ou trois coups avec le bout de ses mâchoires : Ja fourmi , prévenue enfin de la nécessité de s’éloi- Sner, remontia précipitamment sous la cloche ; Une troisième , avertue de la même maniere et toujours par la même fourmi , regagna prompte- Ment le logis; mais la quatrième | qui restoit Seule au bord de Veau, ne se retroit point, Malyré les preuves de sollicitude dont elle étoit Pobjet : elle ne paroissoit faire aucune attention dux secousses réttérées de la donneuse d'avis ; Celle-ci la prit enfin par une de ses jambes de der- ré es né pn ét ÿ 134 RECHERCIIES SUR LES rière, et la üra brusquement ; la fourmi qui se désaltéroit encore se retourna, en ouvrant ses larges pinces, avec toutes les apparences de la colère, puis se remit tranquillement à boire, mais sa compagne ne lui en laissa pas le tems ; elle passa devant elle , la saisit par ses mandibules, et l’en- traîna rapidement dans la fourmilière. Ces observations nous font voir de quelle ma- nière les fourmis se font entendre lorsqu'elles veulent s’avertr mutuellement du danger dont elles se croient menacées. Passons aux moyens qu’elles emploient pour se diriger dans leurs voyages et - dans leurs migrauons. $ II. De la manière dont les fourmis se dirigent dans leurs courses. UNE idée ingenieuse présentée par un homme célèbre suffit quelquefois pour fixer l'opinion des naturalistes qui PENSE mieux adopter son avis que d’examiner par eux-mêmes l’état de la question Cest ainsi que M. Bonnet, en comparant l’odeur des fourmis à ces fils que laissent après elles les chenilles républicaines | a établi que ces insectes 3 \ MŒURS DES FOURMIS. 135 se conduüisoient uniquement par l’odorat. I] avoit Témarque qu'il pouvoit arrêter les fourmis en pas- “ant son doigt, à plusieurs reprises, au travers de leur sentier ; mais il mayoit peut-être pas réfléchi de l’odeur de sa main étoit une barrière bien Propre à les: étonner ; d’ailleurs , cette expé- rience n’a pas toujours le succès que ce grand homme en avoit obtenu ; quelques fourmis sont arrêtées un Instant par lanouvelle sensation qu’elles éprouvent; mais la plupart franchissent hardiment Pespace où l’on croit avoir interrompu les traces invisibles de leur passage. Je les ai mises à une Épreuve plus difficile, en creusant autour de leur did un fossé de plusieurs pouces de profondeur: à la vérité , elles parurent d’abord hésiter , mais elles n’oublièrent point la direction de leur four- Milière | et surent Y revenir , quoique leur Chemin fût entiérement détruit dans cette partie. Lorsquelles avoient traversé le sillon, elles retour- Noïent souvent En arrière en tâtant le terrain, Comme pour observer la route et sé rappeler. Pourquoi exclure la vue, le toucher et la Mémoire de la part qu'ils doivent avoir dans la Conduite des fourmis ? Des objets qui ne nous \ 199 RECHERCHES SUR LES frapperoient point à cause de leur petitesse, peuvent être très-saillans pour elles : on se convaincra par la suite de la fidélité de leur mémoire , etde la sub ilité de leurs sens. | Si les fourmis n’avoient pour se diriger que lo- deur qu’elles laissent après elles , comment pour- _roient-elles reconnoître leur route, lorsque de longues pluies ont déwrempé le sol qu’elles doivent parcourir, et effacé La trace de leurs pas; ou lorsque | des vents impétueux ont dispersé leurs émanations ? Elles devroient être désorientées ; cependant elles ne le sont point; elles retrouvent les lieux qu’elles fréquentoient auparavant, vont à des distances considérables chercher leur nourriture , et con- uoissent toutes les routes qui aboutissent à la four- ; milière. Je ne nie pas que lodorat ne soit aussi Pun des moyens qu’elles possèdent pour retrouver leur ain ;. mais x: y a des circonstances où les sen- sauons de cette espèce pourroient les jeter dans la plus grande pérplexité. On sait que plusieurs bâties fauves trompent les meilleurs chiens. de chasse , par les tours et détours qu’elles font en revenant sur leur pas : les fourmis le seroient aussi par les émanations de leurs compagnes , Si elles 7 per ? MŒURS DES FOURMIS. | 157 Wavoient la connoissance des lieux par linspection des objets, la mémoire des localités, où d’autres l'essources qui nous sont inconnues. Je me suis amusé quelquefois à disperser au _Milien d’une chambre les débris d’une pete four- Miière de terre; je m tibddois- à voir les fourmis se suivre à la piste , et former des chapeleis comme. les chenilles | pour chercher un abri ; mais ce n’é- toit point ainsi qu’elles se dirigéoient ; elles se répandoient de tous côtés, et prenotent mille routes différentes : chacune d’elles cheminoit à part ; elles ‘ se rencontroient, se croisoient dans tous les sens , Sans paroître se douter de ces fils qui devoient les Conduire ; je les voyois long-tems errer à l’aven- lure avant de tburer une place où elles pussent Se réunir. Quand l’une d’elles découvroit dans le Plancher quelque fente au travers de laquelle elle püt se glisser dans l’espace inférieur ; elle. . lévenoit au milieu de ses compagnes, et au moyen de certains gestes faits avec ses antennes , elle leur indiquoit la route qu’elles devoient prendre ; elle _Cn dirigeoit même quelques-unes en les accom- Pagnant jusqu’à l'entrée du souterrain, et celles-ci ‘ À] ; L] À leur tour, servoient de guides à d’autres. Toutes 138 RECHERCHES SUR LES les fois qu’elles se rencontroient elles s’arrétoient , se frappoient pyes leurs antennes d’une manière très-marquée, et paroïssoient mieux instruites de | la route qu’elles devoient suivre : par ce moyen, toute la fourmilière se rendoit successivement dans le même heu. Si l’on pouvoit enlever à tems la fourmi qui découvre l'armoire des confitures, les autres n’y viendroient probablement point, parce que ce ne sont point ses traces qui les conduisent ; il faut né- cessairement qu’elle retourne à la fourmilière, et qu’elle amène ses compagnes. Quelle peine n’a- t-elle pas à retrouver sa route ! comme elle hésite $ soit en allant, soit en revenant de cette terre de promission ! Elle cherche à reconnoître les lieux où elle a passé ; on la voit s'arrêter à chaque instant, jusqu’à ce qu’elle retrouve quelques traces visibles , la base d’un mur qu’elle puisse suivre sans s’égarer ;, Où palpables, comme la lisière d’un chemin ou quelque fourmi de son nid qui la mette sur la voie par le contact de ses antennes. ‘Cette manière de diriger leurs compagnes n’est PaS en usage chez toutes les fourmis ; quelques espéces emploient, dans certaines circonstances; \ MŒURS DES FOURMIS. 139 Un Procédé plus mécanique et moins rapide que les Signes Fugitifs dont les antennes sont organe - 3 Z . « Cest ce que nous allons faire connoître en parlant e leurs nuigrations. 6 III. Des migrations des fourmis fauves. Fe és Les fourmis sont quelquefois appelées à changer de donticile. Une habitation trop ombragéé, trop humide, exposée aux Imsultes des passans , ou voi- Sine d’une fourmilière ennemie , cesse-t-elle de leur convenir , elles vont poser ailleurs les fonde- Mens d'une nouvelle patrie. C’est ce que Jai cru Pouvoir appeler du nom de migration, celui de colonie n’offrant pas une idée assez juste dans ce Cas, puisqu'il ne s’agit pas ici d’une porüon de la métropole , mais de la nation enüère qui se lransporte dans une nouvelle cité. Cependant je ne laisserai pas de nven servir aussi quelquefois sous Cette acception. Les fourmis prennent-elles le parti de s'éloigner d'aprés une délibération générale? Qu'est-ce qui décide le lieu du rendez-vous , le jour du départ ? Ces questions , et les faits qui leur apparüennent, 140 RECHERCHES SUR LES ont échappé jusqu'ici aux naturalistes, quoique plusieurs d’entr'eux aient parlé d’un usage assez commun chez les fourmis , celui de se porter les unes les autres (1); mais ils ne savoient s'ils de- voient attribuer cette conduite à la maladie , à l’en- fance ou à la vieillesse des fourmis portées par leurs compagnes. J’ignorois aussi le but qu’elles se proposoient par cette manœuvre , lorsqu'un jour ayant dérangé l'habitation d’une peuplade de fourmis fauves, je m’aperçus qu’elles changecient de domicile. Je vis à dix pas de leur nid une nouvelle fourmilière qui commumquoit avec l’ancienne par un sentier battu dans l’herbe, et le long duquel les fourmis pas- soient et repassoient en grand nombre. Je remar- quai que toutes celles qui alloient du côté du nou- vel établissement étoient chargées de leurs com- pagnes , tandis que celles qui se dirigeoient dans le sens contraire marchoient une à une - celles-ci alloient sans doute dans l’ancien nid , chercher des habitans pour le nouveau : ce fut pour moi un trait de lumière. (1) Bonnet, Latreille, Bomare. MŒURS DES FOURMIS. 141 Dés lors, je mis à la même épreuve plusieurs de ces républiques ; jabatus si souvent le toit de leur ville souterraine que je réussis à les détacher de leurs foyers : la première et la seconde fois elles réparérent les dégâts que j'avois commis; à la troisième elles commencérent à chercher un asile moins exposé à de tels accidens. Je vOyoIs alors parür du nid quelqu’ouvrière chargée d’une autre fourmi suspendue à ses mandibules , et je la suivois attentivement jusqu’au bord d’une cavité Souterraine , dans laquelle elle déposoit sa protégée. Le nombre des fourmis porteuses, d'abord fort Peut , augmentoit à chaque instant ; je n’en voyois 4U commencement que deux ou trois dans le sen- üer ; et c’étoient probablement les mêmes; mais Œuand elles en avoient amené assez d’autres pour Subvenir aux travaux de la nouvelle fourmilière , Une parte des colons alloient à leur tour dans l'ancien md , d’où ils uroient , comme d’une Pépi- dière, des ie: pour celui qu “ls. vouloïent Poupler. | Il falloit voir arriver les recrutenses sur la four- Milière natale > pour juger avec quelle ardeur elles s’occupoient de leur colonie : elles s’appro- 142 RECHERCHES SUR LES + choïent à la hâte de plusieurs fourmis , les flattoient tour-à-tour de leurs antennes, les tiroient par leurs pinces, et sembloient en vérité leur proposer le voyage. Celles-ci se trouvoient-elles disposées à parür , je les voyois se saisir par leurs mandibules, ét tandis que la porteuse se retournoit pour enlever celle qu’elle avoit gagnée, cellè-c1 se suspendoit et se rouloit au-dessous de son cou : tout cela se passoit ordinairement de la manière la plus ami- cale, après un battement mutuel de leurs antennes sur la tête lune de l’autre, et avec des mouyemens peu différens de ceux qu’elles font lorsqu'elles se donnent à manger. Quelquefois , cependant, celles qui vouloient établir la désertion saisissoient les autres fourmis par surprise , et les entraînoient hors de la four- milière, sans leur laisser le tems de résister ; ‘elles les emportoient avec une grande rapidité, et lors- qu elles étoient arrivées vers la nouvelle habitation, les fourmis suspendues à leurs mandibules se dé- rouloient et quittoient leurs conductrices. smente toujours . Le nombre des recruteuses aug dans une progression rapide. Le sentier qui com- munique entre les deux cités en est rempli; la four- MŒURS DES FOURMIS. 143 Milière natale en est couverte , et sa surface est le théâtre de leurs courses et de leurs enlèvemens. Elles ne retournent jamais dans la nouvelle colonie Sans y porter un gage de leur célérité ou de leur adresse. Mes appareils vitrés m'ont: souvent permis de Voir ce qui se passoit au-dedans des fourmilières Pendant lémigration ; Car dès que les ouvrières àpercevoient quelqu'issue échappée à ma vigilance , elles en profitoient pour chercher un autre asile ; elles se répandoiïent d’abord séparément sur le Plancher , et paroïssoïient observer tous les recois é { 4 du cabinet , jusqu’à ce qu’elles eussent découvert un glie où elles pussent s'établir. C’étoit alors Seulement qu'elles commencoient à recruter : celle T, la première, avoit trouvé un refuge assuré, É Alloit aussitôt chercher ses compagnes une à une ri “ DS A . Sür le parquet, puis dans la fourmilière même ; mais « il Suffisoit d'enlever à tems la Première recruteuse Pour arrêter l'émigration , Jusqu'à ce qu’une autre TRS . PA F Ut aussi découvert quelque retraite convenable. Le recrutement duroit plusieurs jours ; mais lorsque toutes les ouvrières Connoiïssoient la route de la nouvelle habitation , elles cessoient de se 144 } RECHERCHES SUR LES porter : als avoient pratiqué des voûtes, des ave- nues , dès cases ; elles y apportoient leurs nymphes et leurs larves, puis les mâles et les femelles : à cette epoque tout leur déménagement étoit fini; elles abandonnoïent pour toujours la fourmiliere artificielle et la route qui y conduisoit. Mais quand jouvrois les volets de ma ruche; pendant que lémigration étoit au-dehors en pleine activité, tout paroissoit calme dans lintérieur ; les recruteuses venoient jusqu’aux portes de la fourmilière , mais les fourmis qui wétoient pas immédiatement l’objet de leur empressement, ne faisoient aucune attention à leurs démarches ; elles restoient tranquillement occupées de leurs soins ordinaires, et ne paroissoient point se douter de ce qui se passoit s si près d'elles. Ainsi les en lévemens ne font de sensation que dans l'endroit même où 1ls ont lieu, ce qui prouve (pour le dire en passant ) que les fourmis ne prennent point con seil de toute la république lorsqu'elles se disposent à changer de patrie ; celle qui découvre un site favorable à léiablissement de la fourmuhère ÿ conduit ses compagnes, el celles- ci vont à leur tour chercher de nouveaux colons pour la peupler- fl MŒURS DES FOURMIS. 145 ü arrive quelquefois que plusieurs ouvrières €treprennent en même tems de fonder une nou- Velle cité et d'y conduire toute la peuplade , ce Qui donne lieu à l'existence momentanée de plu- Sieurs fourmilières ; mais ces insectes s’aperçoivent bientôt qu'ils sont divisés, et ne tardent pas à réunir par un dermier recrutement toute la-colonie dans le même nid. Lorsque les fourmis sont mécontentes du cite qu'elles ont choisi, elles le quittent pour un troi- sième, et passent même quelquefois à un qua- ième , où elles se fixent définitivement : on les VOit aussi très-souvent revenir à l’ancien nid , avant d'être établies pour tout-à-fait danis le nouveau : alors les recrutemens se font en sens contraire Fr € les couples se rencontrent dans le même chemin ; Mais la dernière émigrauon obuent toujours Vavan- âge sur les précédentes. ù Quand la nouvelle fourmilière est fort éloignée de l’ancienne, les fourmis-établissent ordinairement Quelques gîtes mtermédiaires , dans lesquels elles déposent leurs recrues ; les larves, les femelles et les mâles qu’elles ne pourroient porter d'une Seule traite jnsqu'à leur véritable destination : j'ai 10 146 RECIERCHES SUR LES vu plusieurs de ces relais établis sur la même route ; c'étoient des cavités percées dans la terre, et composées de plusieurs cases assez spacieuses ; elles étoient le plus souvent recouvertes de frag- mens de paille , et ressembloient à de petites four- milières : on y voyoit quelques sentinelles faisant le service journalier, c’est-à-dire ouvrant et fer- mant les portes du logis le soir et le matin. Quel- quefois ces asiles deviennent de petites colonies, qui conservent avec la fourmilière principale une étroite liaison ; ce sont diverses habitations com- munes aux mêmes fourmis, et qui leur servent de refuge lorsqu'elles sont dérangées dans celle qu’on pourroit appeler leur capitale. J’ai vu aussi dans les bois de sapins de grandes fourmiliéres voisines les unes des autres, qui communiquoient ensemble, comme les cités d’un même empire, par des routes battues. Ces routes , quelquefois longues d’une centaine de pieds, et larges de plusieurs pouces, n’étoient pas uniquement l'effet de la trace des four- mis, dont plusieurs milliers alloient chaque jour . dune fourmilière à une autre ; elles étoient creu- | sées et travaillées par les fourmis elles-mêmes ; je % les ai vues souvent occupées à les établir, ou à MŒURS DES FOURMIS. 147 lenr donner plus de largeur. Cet art apparüent exclusivement aux fourmis fauves ; mais les recru- lemens leur sont communs avec la fourmi bercule, Pétiopienne , la noir-cendrée , la sanguine et la mneuse : le don plus précieux de se diriger par le moyen des antennes dont nous avons parlé précé- demment , est en usage chez les fourmis brunes, les jaunes , les fourmis échancrées » Chez les fuligi- neuses , et plusieurs autres. Il nous reste à dire un mot des fourmis des ga Zons, qui tiennent le mulieu entre les deux genres ae nous avons décrits, en ce qu’elles se portent Quelquefois mutuellement , et savent aussi se di- flyer au moyen des signes. Mais ce que ass ont de très-paruculier, c’est la manière dont elles se Chargent de leurs protégées : au lieu de les porter toulées et suspendues au-dessous de leur cou, elles les tiennent renversées dans le sens contraire ; elles les prennent aussi par leurs mandibules > Mais leur tête est en bas et leur corps en l’air (1). 1 m’ar- je (1) Cest ce qui avoit fait croire à M. Bonnet que les urmis n’en usoient ainsi que lorsqu'elles étoient irritées ; O1? Ro Q'elles se jetoient alors les unes sur les autres, et que Pan 148 RECHERCHES SUR LES rive jamais, comme on avoit prétendu, que ouvrière qui veut se faire porter s'accroche par force à l’une de ses compagnes. Les fourmis brunes et fuligineuses, qui ne sont gra” Uons , savent cependant employer cette ressource point dans l’usage de se porter dans leurs mi avec les mäles, les femelles et les ouvrières nou- vellement transformées : ce qui prouveroit que celles-ci ne connoïssent pas encore bien leur lan- gage, et ne sauroïent se diriger d’elles-mêmes. $ IV. De Paffection des fourmis pour leurs compagnes: L’affection des membres d’une même famille est sans doute la vraie base de lPharmonie et du bien publie : si l’on n’étoit pas accoutumé à considérer les acuons des insectes comme machinales , on ne sauroit expliquer l'ordre qui règne chez les abeilles et les fourmis, sans leur supposer pour leurs con- citoyennes un attachement qu seul peut leu inspirer ce zèle pour le bien de la peuplade, ces sr des Chéaipions salsissoit spn adversaire par-dessus le cou : et s’obstinoit à ne point lâcher prise. MŒURS DES FOURMIS. 149 SOins assidus , ce devouement dont elles donnent Pexemple dans tous les insitans de leur vie. Chez Nous, lintimité est l’effet d’une préférence ; chez elles, affection n’a rien d’exclusif , mais elle offre bien mieux idée du patriotisme qui convient à des états républicains ; leur amitié n’est jamais com- battue par le choc des passions ; il n’y a chez elles hi haïnes, ni rivalités, ni dissensions. Qui ne con- noît le dévouement des abeïlles pour leur répu- blique ! Les femelles des grands animaux ne dé- fendent pas leurs petits avec plus d’acharnement. Les fourmis ne le cèdent en rien aux abeilles : 0n sait qu'on peut les partager par le milieu du Corps sans leur ôter l'envie de défendre leurs foyers ; ue la tête et le corselet séparés de l'abdomen Marchent encore, et portent les nymphes dans leur asile : ainsi le grand secret de l’harmomie qu’on dmire dans ces républiques, west point un mé- Canisme aussi compliqué qu'on le suppose, c’est dans leur aFection réciproque qu'il faut le chercher. Il me suffroit de rappeler le trait raconté par M. Latreille , de ces fourmis qui, voyant souffrir leurs compagnes auxquelles il avoit coupé les an- \ennes, faisoient sortir de leur bouche une goutte 150 RECHERCHES SUR LES / transparente d’une liqueur dont elles connoissoient peutêtre la veriu, et la versoient sur la parte blessée. Je 1ai point de faits aussi touchans à rap- porter ; mais jen ai deux qui prouvent du mom Vattachement durable des membres d’une même république, et le désir de faire partager aux autres leurs jouissances. | Je pris au mois d’avril une fourmilière des bois ; dans l'intention de peupler mon grand appareil vitré ; mais ayant beaucoup plus de fourmis qu'il ne m’en falloit, ÿen remis une partie en liberté dans le jardim de la maison que j’habitois , et celles là se fixérent au pied d’un marronier ; les autres devinrent l’objet de quelques observations parucu” lières. Je les suivis pendant quatre mois sans le laisser sorur de mon cabmet : à cette époque, vou” lant les rapprocher davantage de l’état de nature , J° transportai la ruche dans le jardin, à 10 ou 15 p# de la fourmilière naturelle. Les prisonnières pro ftant de ma négligence à renouveler l’eau de leur$ baquets, s’évadoient quelquefois et parcouroien! ‘les environs de leur demeure; les fourmis établie. il k : : t auprès du marronier rencontrérent et reconnuren leurs anciennes compagnes ; on les voyoit gesticuler MŒURS DES FOURMIS. | 151 et se caresser mutuellement avec leurs antennes , Se prendre par leurs mandibules et les fourmis du Marronier, emmener les autres dans leur nid; elles Yinrent bientôt en foule chercher les fugiives au- dessous de ma fourmilière artificielle | et se hasar- dèrent même jusque sous la cloche , où elles eta- blirent une désertion complète, en enlevant suc- cessivement toutes les fourmis qui s’y trouvoient ; en peu de jours elle fut dépeuplée : ces fourmis | étotent restées quatre mois sans communication. Voici le second trait. J’avois placé des fourmis fauves dans une autre fourmilière arüficielle. dont x ) le cadre , au lieu d’être perpendiculaire à la table, . Comme dans la figure 1”, étoit incliné de quelques degrés. Cette disposition déplut, je ne sais pour f Iles s’établirent au-dessou Quoi , aux fourmis , et elles s’établiren s r-, d 2 de la cloche, dans les matériaux de leur nid qu’on avoit apportés avec elles. Il me convenoit cepen- | | Æ dant , pour mes observations ; qu’elles voulussent se tenir dans le cadre , et J’espérai les y engager par TPE JO + l'attrait de la chaleur. Pour cet effet japprochai du cadre un flambeau que je tins à la même place, Jusqu'à ce que le verre eût acquis une température assez élevée. Il y avoit quelques fourmis dans 12 RECHERCHES SUR LES cette partie ; dès qu’elles senurent la chaleur , elles SOS commencèrent à s’animer , manifestèrent léur bien être en se brossant la tête et les antennes avec leurs pates, et parcoururent rapidement l’espace réchauffé : lorsqu'elles rencontroïent d’autres four- mis, elles s’en approchoient, et je les voyois faire jouer leurs antennes avec une singulière volubilite, puis reparür à l'instant ; elles paroïssoient vouloir remonter sous la cloche, car elles alloïent jusqu’au bord de la table; mais, retenues sans doute par la douce température qu’elles éprouvoient dans le cadre, elles y revenoient souvent ; elles prirent enfin le part de monter dans Petage superieur. Je connoïissois assez les mœurs des fourmis pour ne pas douter qu’elles n’allassent averur leurs com- | pagnes de cette chaleur, à laquelle elles attachent tant de prix. En effet, j'en vis bientôt deux re- descendre dans le cadre, apportant à leur bouche deux ouvrières qu’elles déposèrent à la place la plus chaude ; elles retournèrent aussitôt dans le haut de la ruche : les nouvelles arrivées , après s'être réchauflées , montèrent aussi sous la cloche , et je les vis, peu de minutes âprès , redescendre toutes quatre , portant chacune une autre fournu sus- pere MŒURS DES FOURMIS. +59 Pendue à ses mandibules : ce transport continua dans une progression rapide jusqu'à ce qu'on vit arriver par centaines les recruteuses avec leurs Protégées, et qu'il ne restt plus aucune fourmi dans la parte supérieure de la fourmilière. Quand je cessois de chauffer le cadre , les fourmis re- Montoient sous la cloche : mais je leur faisois répéter ce trait de sociabilité toutes les fois que je rapprochois le flambeau. Ces observations, et bien d’autres que je ne fapporterai pas, en montrant quel intérêt les fourmis prennent au bien-être de leurs com- Pagnes , nous rappellent ces républiques ideales où ous les biens devoient être en commun, et où Fintérét public devoit servir de règle à tous les Citoyens. 1 n’appartenoit qu’à la nature de réaliser Cette chimére, et ce n’est que chez les insectes fxempts de nos passions qu’elle a cru pouvoir établir cet ordre de choses. Elle a donné aux urmis la faculté de communiquer entre elles Par lattouchement de leurs antennes ; par ce Moyen elles peuvent s’entr'aide” dans leurs tra- ‘Vaux, se secourir dans les dangers, retrouver leur route lorsqu’elles sont égarées, et faire con- 8 + D ee sr péotrnle ET Re Mon en ce RE re et Ga one he ter co 154 RECHERCHES SUR LES noître leurs besoins à leurs semblables. Les in- sectes qui vivent en société sont donc en pos- 3 oi 3 sin “é session d’un langage : ce rapport qu ils ont avec nous, quoique dans un degré si inférieur, n€ les élève-t-il pas à nos yeux, et n’embellit-il pas le spectacle même de l’umvers? MŒURS DES FOURMIS. _ +56 ER RS os CHAPITRE V. \ Drs Guerres DEs FOURMIS, ET DE QUELQUES AUTRES PARTICULARITÉS. L fléau de la guerre seroit-il inséparable de VPétat de société? Les fourmis, dont la civilisation paroit plus développée qu'on n’avoit lieu de le croire, dont les mœurs n’annoncent qu'harmonie, soins réciproques, égards pour leurs femelles, union et parfaite égalité entre tous les membres de leur république , nous donneront-elles l’exemple de cette loi qui ordonne que les espèces trop mul- üpliées se détruisent par elles-mêmes ? La nature Va voulu ; il falloit que les fourmis eussent encore avec nous ce rapport, dont la nécessité tient à des Plans trop élevées pour nos foibles conceptions. Le genre d'agression qui s’exerce par des armées considérables, et se manifeste par des combats mul- üpliés, est bien différent de ces ruses de quelques insectes qui surprennent leur proie : les uns, au moyen des filets qu'ils savent leur tendre ; d’autres, à laide de ces piéges ingénieux où les fourmis 156 RECHERCHES SUR LES elles-mêmes tombent sans le savoir. Ce n’est qu’à nos guerres qu'on peut comparer celles des four- mis; on voudra donc bien tolérer , en faveur de cette ressemblance, des expressions un peu trop pompeuses pour les héroïnes dont J'écris l’histoire : on ne sauroit inventer un langage particulier pour ces insectes ; 1] faut donc leur adapter les termes employés en parlant de guerre. Je ne m’arrêterai pas à décrire l'espèce de chasse que les fourmis font aux insectes qu’elles trouvent _sur leur passage ; tout leur secret se borne alors satosse réunir pour les assaillir et les entraîner dans la fourmilière. Les fourmis des contrées mé- ridionales, beaucoup plus guerrières que les nôtres, se jettent sur de petits quadrupèdes ; détruisent les rats et d’autres animaux nuisibles ; tandis que les scarabées et les hannetons sont les plus grands in- sectes auxquels les fourmis d'Europe fassent la guerre : ce n'est pas qu’elles ne dissèquent à mer- veille les lézards et d’autres peüuts animaux morts qu’elles trouvent dans la campagne. Les fournus attaquent à force ouverte : la ruse ? * # 3 ‘ F 6St point au nombre de leurs armes; celles dont elles font usage sont ces mêmes pinces quelles MŒURS DES FOURMIS. 107 emploient pour porter les matériaux de leur nid , Un aiguillon semblable à celui des abeilles, et le Venin qui l'accompagne , liqueur acide , contenue dans leur abdomen, et capable de causer une légère iitation sur la peau. On sait déjà que ces armes n’apparüennent qu'aux femelles Et aux ouvrières ; que la nature leur a confié tous les intérêts de la peuplade , et que les mâles n’ont de part à sa conservation que par la reproduction de Pespèce : les femelles, sans doute Wrop précieuses pour qu’il leur soit permis d'exposer leur vie, prennent toujours la fuite au moindre danger; les ouvrières sont les seules destinées à défendre leur habitation. © Plusiedrs espèces sont privées d’aiguillon , mais les ont le secret d'y suppléer en mordant leurs *nnemis , et en versant dans la plaie qu’elles font ec leurs dents une goutte de venin qui la rend Plus cuisante ; elles recourbent pour cela leurventre Qui contient la liqueur vénéneuse > et l’approchent de ;: partie blessée an même instant qu’elles la dé- Chirent avec leurs pinces. Quand Pennemi se montre seulement à distance, fl qu’elles ne peuvent l’atteindre ; Toutes 5e re- 158 RECHERCHES SUR LES dressent sur leurs pates de derrière , et, faisant passer leur abdomen entre leurs jambes, font jaillir leur venin avec force; on voit parür de toute la surface du nid une pluie ascendante d’acide for- mique , qui exhale une odeur presque sulfureuse. De tous leurs ennemis , ceux qu’elles craignent le plus, ce sont les fourmis elles-mêmes les plus petites ne sont pas les moins redoutables, parce que plusieurs d’entr’elles s’attachent à la fois aux pates des plus grandes, les amarent au terrain » gènent tous leurs mouvemens , et les empêchent de fuir. On seroït étonné de l’acharnement de ces insectes dans leurs combats. Il seront plus facile d’arracher leurs membres et de les mettre en pièces, que de les forcer à lâcher prise ; aussi voit-on souvent une tête de fourmi suspendue aux jambes ou aux an- _tennes de quelqu’ouvrière qui porte en tous lieux ce gage dela victoire ; On voit même assez commu nement des fourmis traîner après elles le corps en= tier de quelque ennemie tuée depuis long-tems, el accroché à leurs pates , sans qu'il leur soit possible de s’en débarrasser. À grandeur égale , les fourmis à aigwullon l'em- _ M@URS DES FOURMIS, 159 Portent sur celles qui n’ont que leur venin et leurs dents. Toutes les fourmis dont le pédicule n’a pas d'écaille , Mais un ou deux nœuds, en sont pour- Vues ; les fourmis rouges ,» qui ont la réputauon** de Piquer mieux que d’autres » ont effectivement _ (es deux sortes d’armes : en général, les fourmis à älguillon de nos contrées sont au nombre des plus Peutes ; je n’en connois qu'une espèce de grandeur Moyenne, mais elle est assez rare et n’habite que. Sur les Alpes. | Les guerres des fourmis de taille différente ne fessemblent point à celles des fourmis qui com- battent à force égale : quand les grandes attaquent les peutes, elles cherchent à les prendre par sur- Prise , probablement afin d'éviter que celles-ci ne _ Saccrochent à leurs jambes; elles les saisissent par dessus le corps, et les étranglent subitement entre leurs pinces ; mais quand les petites fourmis ont le lems de prévoir l'attaque , elles savent avertir leurs fompagnes du danger, et celles-ci arrivent en foule Pour les secourir. J’ai suivi les combats des four- Mis hercules contre les Sanguines : les hercules sor- loïent du tronc d’un arbre dans lequel elles avoient Établi leur demeure, et venoient jusqu'aux portes 160 RECHERCHES SUR LES de celle des fourmis sanguines ; celles-ci, de moitié plus peutes que leurs adversaires, avoient l’avan- tage du nombre; cependant elles se tenoient sur la défensive; le terrain, jonché des cadavres de leurs compatriotes, attestoit qu’elles avoient eu le dessous , aussi prenoient-elles le parti prudent de fixer ailleurs leur habitation, et, par un recrutement établi dans toutes les règles, elles transportoient à plus de cinquante pieds de là leurs compagnes et tous les objets qui les intéressoient. Plusieurs petites troupes d’ouvrières postées à peu de distance du nid, paroïissoient être pré- posées pour couvrir la marche des recruteuses et préserver la cité même d’une attaque soudaine ; elles se heurtoient les unes les autres quand elles se rencontroient , et avoient toujours leurs pinces écartées d’un air menaçant. Aussitôt que les four- mis hercules s’approchoïent de Jeur camp, les senünelles les plus avancées les assailloient avec fureur : &’étoit d’abord un combat singulier ; Îa fournn sanguine se jetoit sur la fourmi hercule ; se cramponnoit à sa tête , retournoit son ventre contre la poitrine de sa rivale , ou contre la partie inférieure de sa bouche, et l’inondoit de son venin; quelquefois MŒURS DES FOURMIS. 161 quelquefois elle repartoit aussitôt avec une ex- trême prompuüutude : le plus souvent la fourmi her- Cule enlaçoit entre ses pates son audacieuse enne- Mie; les deux antagonistes se rouloient dans la Poussière et luttoient avec acharnement. L’avan- lâge étoit d’abord en faveur de la plus grande , Mais sa rivale dE bientôt secourue par celles de Son parti, qui s’attroupoient autour de la fourmi hercule, et lui faisoient avec leurs denis de cruelles blessures. Celle-ci cédoit au nombre ; elle périssoit Victime de sa témérité, ou étoit conduite prison: üière dans le camp ‘ennemi. Tels sont les combats des fourmis dont la gran- _ eur est très-différente. Mais si nous voulons voir des armées en présence, une guerre dans toutes les formes ; il faut aller dans les forêts où les four- Mis fauves établissent leur domination sur tous les insectes qui se trouvent sur. leur passage. Nous y Yerrons des cités populeuses et rivales ; des routes, battues, partant de la fourmilière comme autant de Tayons , et fréquentées par une foule innombrable de combattans ; des guerres entre les hordes de la Même espècé ; car elles sont naturellement enne- Mes et jalouses du territoire voisin de leur capitale; ‘11 162 RECHERCHES SUR LES C’est là que j'ai pu observer deux des plus grandes fourmilières aux prises l’une avec l’autre. Je ne dirai pas ce qui avoit allumé la discorde entre ces républiques ; elles étoient de la même espèce ; semblables pour la grandeur et la population, et situées à cent pas de distance : deux empires n€ possèdent pas un plus grand nombre de combattans: Qu'on se représente une foule prodigieuse de ces insectes , remplissant tout l’espäce qui séparoit les deux fourmiliéres, et occupant une largeur de deux pieds ; les armées se rencontroient à moitié chemin de leur habitation respecuve, et c’est là que se donnoït la bataille. Des milliers de four- mis, monices sur les saillies naturelles du sol; luttoient deux à deux, en’se tenant par leurs man dibules vis-à-vis lune de l’autre ; un plus grand nombre encore se cherchoïent, s’attaquoient , s’en” trainoïent prisonnières ; celles-ci faisoient de vain$ eHorts pour s'échapper , comme si elles avoient prévu qu’arrivées à la fourmiliére ennemie elles éprouveroient un sort cruel. Le champ de bataille avoit deux à trois pieds Carrés ; une odeur pénétrante s’exhaloit de toutef Parts; on voyoit nombre de fourmis mortes et coû- MŒURS DES FOURMIS. 103 Vertes de venin ; d’autres, composant des groupes Et des chaînes, étoient accrochées par leurs. jambes Où par leurs pinces , et se uroïent tour à tour en Sens contraire. Ces groupes se formoient succes- Sivement ; la luite commencoit entre deux four- Mis qui se prenoient par leurs mandibules, s’exhaus- SOient sur leurs jambes pour laisser passer leur Ventre en avant, et faisoient jaillir mutuellement À leur venin contre leur adversaire ; elles se serroient de si près qu’elles tomboient sur le côté et se de- battoient long-tems dans la poussière ; elles se rele- Voient bientôt et se tirailloient réciproquement , Afin d'entraîner leur antagoniste ; mais quand leurs ices étoiënt égales , les athlètes restoient immo- biles et se cramponnoient au terrain jusqu’à ce Quune troisième fourmi vint décider lavantage : le plus souvent l’une et l’autre recevoient du se- Cours en même tems; alors toutes les quatre se tenant par une pate ou par FRE antenne , faisoient encore de vaines tentatives pour l emporter ; d’au- tres se joignoient à celles-ci, et quelquefois ces dernières étoient à leur tour saisies par de nou- Velles arrivées : c’est de cette manière qu'il se for- Moi des chaines de six , huit ou dix fourmis, toutes 164 RECHERCHES SUR LES cramponnées les unes aux autres; l’ équilibre n ’étoit rompue que lorsque plusieurs guerrières de la même république s’avancoient à la fois ; elles for- coient celles qui étoient enchaînées à lâcher prisés et les combats paruculiers recommencoient, À l’approche de la nuit chaque parti rentroit graduellement dans la cité qui lui servoit d’asile et les fourmis tuées ou menées en captivité, n’étant pas remplacées par d’autres , le nombre des com- battans diminuoit jusqu’à ce qu'il n'en restât plus aucun. à Mais les fourmis retournoient au combat avant l'aurore, les groupes se formoient > le carnage recommencoit avec plus de fureur que la veille; et J'ai vu le lieu de la mélée occuper six pieds de profondeur sur deux de front. Le suecès fut long- tems balance ; cependant , vers le milieu du jouf le champ de bataille s’étoit éloigné d’une dixainé de pieds de l’une des cités ennemies ; d’où je co” clus qu’elle avoit gagné du terrain. L’acharnement des fourmis étoit si grand que rien ne pouvoit les distraire de leur entreprise ; elles ne s’apercevoient point de ma présence , et quoique je fusse immé- diatement au bord de leur. armée , aucune d’elles MŒURS DES FOURMIS, 165 * ni ; L l - # A€ grimpa sur mes jambes ; elles n’avoient qu’un seul objet, celui de trouver une ennemie qu’elles Püssent attaquer. Ce dévouement pour Îa patrie n’est:il pas éton- ant dans de si petits insectes ? Conçoit-on com- Ment la nature a pu leur inspirer un si grand intérêt Pour cette peuplade, où elles ont que des tra- Vaux en partage ! Mais ces guerres offrent quelque chose de plus surprenant encore, c’est l’instinct _ Qui fait reconnoître à chaque fourmi celles de son Pari. Comment , à quel signe se disinguent-elles dans la mêlée, où des milliers d'individus de la Même couleur, de la même taille, de la même Odeur, de la même espèce enfin, se rencontrent, Se croisent , s’attaquent , se défendent | s’inon- dent de venin et s'emmènent prisonnières ? Elles Marchent avec défiance, lors même quelles s’ap- Prochent de leurs compagnes ; elles üennent leurs Mâchoires écartées , quelquefois même elles s’at- laquent, mais elles se reconnoissent aussitôt, et lchent prise ; souvent celles qui sont l’objet de Cêtie erreur momentanée caressent leurs €ompa- WMiotes avec leurs antennes, et appaisent prompte- Ment leur colère. Quelle Opinion cette manière 166 RECIHERCHES SUR LIS d'agir ne donne-t-elle pas de l'espèce de limison que ces insectes ont entr'eux, et de la subuülité de leurs sens ? Les travaux habituels des deux peuplades ne toient point interrompus pendant cette guerre les sentiers qui condusoient au loin dans la forêt étoient aussi peuplés de fourmis qu’en tems de paix , et tout offroit sur la fourmilière l'aspect de l’ordre et de la tranquillité, à cela près que, dt côté où se donnoit la bataille, on voyoit constam” mistiue nle dé ve insectes qui partoient pouf le BR , et d’autres qui revenoient chargés de prisonniers. _Ceite guerre se termina sans aucun résulté! ficheux pour les deux républiques ; des pluies de longue durée en arrêtérent le cours, et n0$ bélliqueuses ouvrières renoncérent à fréquenté’ là route qui conduisoit à l'ennemi. Jai été 1 moin d'autres combats pareils à ceux que je vie* de décrire ; mais je n’en parlerai pas, dans Je crainte de fatiguer mes lecteurs par de trop fr é” quentes répéutions ; : je dois cependant leur do2” nér une idée de ceux des fourmis fauves avec le$ fourmis sanguines , parce qu'ils ont un caractèr® MŒURS DES FOURMIS. tès-différent des premiers et se CAppRbehens peut- être davantage des nôtres. Les fourmis sanguines ; lorsqu'elles sont aita- _Quées par les fourmis fauves, vont les attendre en Petites troupes, à quelque distance du nid; elles avancent en corps, sans s’écarter les unes des autres ; elles saisissent ainsi toutes celles de leurs ennemies qui se hasardent trop loin de leur camp. Cette petite guerre est fort amusante pour Pobser- vateur : 11 voit les deux partis se mettre en em- buscade et s'attaquer tour à tour à Pimproviste. Mais md les sanguines sapercoivent que les fourmis fauves s’avancent en force contr’elles, elles savent informer celles de Li lounsiièes du besoin qu’elles ont de leur secours ; et aussitôt une armée considérable sort des portes de la cité sanguine , s’ayance en masse, et enveloppe le peloton ennemi. Rien ne prouve mieux, à mon avis, l’existence d’un langage entre ces insectes : j'ai été témoin de ce trait tous les jours, pendant plusieurs semaines. Ces combats se renouveloient constamment entre ces deux fourmilières , dont les nids étoient assez éloignés Pun de Pautre, mais placés le long de la même haie , de manière que leurs sentiers se pro- 168 RECHÉRCHES SUR LES longeotent jusque sur leurs terrains respecüfs. En faut-il davantage pour allumer la guerre entre de plus grands empires (1)? D | (1) En lisant les voyages de M. Malouet dans les forêts de la Guyane, on peul se convaincre que les fourmis ne sont pas toujours, pour l’homme même » des ennemis méprisables , et que nous avons tout lieu de nous féliciter de linnocence de celles de nos contrées , et de ce que la nalure à réduit leur taille à des dimensions si différentes de la nôtre. « Je traversai, dit-il, la rivière avec M. de Préfontaine, | pour aller visiter des bois. Au milien d’une savanne ume à perte de vue, J'aperçus un monticule qui paroïssoit fait de main d'homme. I] m'apprit que c’étoit une fourmilière, Quoi! lui dis-je, cette cons- iruclion gigantesque est celle d’un misérable insecte... Il me proposa de me mener, non pas à la fourmiliére, où nous aurions élé dévorés, mais sur la route des travailleurs. Effectivement, en approchant du bois, nous rencontrmes plusieurs colonnes dont les unes _ alloient et les autres revenoient de Ja forêt > rapportant des brins de feuilles, des débris de graines et de racines. Ces fourmis noires éloient de la plus grosse espèce; mais je ne cherchai point à les observer de près ; leur habitation, que je n’approchai pas à plus de 40 pas, me parut avoir 15 à 20 pieds d’élévation, sur 50 à 4o de base; la forme étoit celle d’une pyramide tronquée au tiers de sa hauteur, M. de Préfontaine me dit que lorsqu’an habitant avait le malheur de reu- MŒURS DES FOURMIS. 169 Je placerai ici quelques observations auxquelles je ne donnerai pas de dénomination précise | parce qu? elles ont pour objet des scènes que je n’oserois Gualifier du ütre de gymnastique , quoiqu elles en Ofrent l image. C’est encore ds les fourmis fauves que j'ai Püisé ces détails ; elles nous ont déjà présenté plu- Steurs faits particuliers : celui-ci est de ce nombre. Ne doivent-elles point à l’immense population de leur sil les différences que présentent leur indus- üne et leur caractère ? C’est ce qui me paroît assez Probable ,; mais je ne me permettrai pourtant pas de laffirmer. Tps PET contrer : une de ces redoutables forteresses dans ses défrichemens il étoit obligé d’abandonner son établis- sement, à moins qu'il n'eût assez de forces pour faire un siége en règle. Cela lui est arrivé lors du premier campement de Kouron: Il voulut en former un second un peu plus loin, et il aperçut sur le terrain une butte semblable à celle que nous voyons ; 3 il fil creuser une tranchée circulaire, qu'il remplit d’une grande quantité de bois sec; et, après y avoir: mis le feu sur lous les points de sa Arconférence, il attaqua la four- milière à coups de canon : lenent des terres, et Pinvasion des flammes ne laïissoient aucune issue À l’armée ennemie, obligée de traverser dans sa retraite une tranchée remplie de feux, elc, etc, orne - | FS TS eg 170 RECHERCIIES SUR LES Je m'approchai un jour d’une de leurs fourmi- lères exposée au soleil et abritée du côté du nord. Les fourmis étoient amoncelées en grand nombre ; et sembloient jouir de la température qu’elles trou- voient à la surface du nid. Aucune d’elles ne tra- vailloit: cette multitude d'insectes accumulés ofroit l’image d'un liquide en ébullition, sur lequel les yeux avoient d’abord peine à se fixer. Mais quand je m'appliquois à suivre séparément chaque fourmi; je les VOyois s'approcher en faisant jouer leurs an- tennes avec une étonnante rapidité ; leurs pates antérieures flattoient par de légers mouvemens les partes latérales de la tête des autres fourmis : aprés ces premiers gestes, qui ressembloient à des caresses , on les voyoit s’élever sur leurs jambes de derrière deux à deux, lutter ensemble , se saisi par une mandibule , par une pate ou par une an” ienne , se relâcher aussitôt pour s'attaquer encore; elles se cramponnoient au corselet ou à l’abdome® l’une de l’autre, s’embrassoient » se renversoient» se relevoient tour à tour, et prenoient leur reyanch® sans paroître se faire de mal; elles ne lançoient pa de venin, comme dans leurs combats > et ne ré tenolent point leur adversaire avec cette opiniatrete MŒURS DES FOURMIS, 271 Que nous avons observée dans leurs querelles sé- tieuses : elles abandonnoïient bientôt les fourmis qu’elles avoient saisies , et tâchoient d’en attraper d'autres : j'en ai vu qui avoient une telle ardeur dans ces exercices, qu’elles poursuivoient succes- sivement plusieurs ouvrières , luttoient avec elles pendant quelques instans, et le combat ne finis- _soit que lorsque la moins animée , après avoir ren- versé son antagoniste , rÉUSSsISsOIt à s échapper en se cachant dans quelque galerie. Je retournai sou- vent auprès de, cette fourmilière qui me donnoit presque toujours le même spectacle ; quelquefois Cette disposition étoit générale : partout il se formoit des groupes de fourmis luttant ensemble , etje n’en vis jamais aucune sorür de là blessée ou muulée. Les autres fourmilières ne me présentoient que rarement ces occupations, moitié guerrières et moitié sociales ; car si les mœurs des fourmis de la même espèce sont essenuellement semblables, leurs habitudes offrent des nuances très-distinctes d'une peuplade à une autre. Ces républiques n'ayant aucune communication entr’elles , doivent contrac- ter des usages particuliers lorsqu’elles sont dans deg circonstances différentes : l’abondance ou la 179 = RECHERCHES SUR LES diette, la proximité ou l'éloignement des maté- rlaux qui leur sont nécessaires , les travaux aux+ quels elles sont appelées , le voisinage d’une four- milière ennemie , ou d’autres circonstances for- tuites peuvent influer sur leurs actions. La peuplade dont 1l s’agit étoit une de celles où l’on remarquoït le plus d'harmonie ; les msectes. dont elle étoit composée ne cessoient de s'offrir mutuellement de la nourriture , de se caresser de leurs antennes , et de se porter d’une place à une autre. Je suis tenté de croire que cette disposition amicale étoit due à la situauon de leur fourmilière, très - rapprochée de la source d’où ils tiroient leurs alimens, et renfermée entre un fosse plein d’eau et une haie trés-épaisse qui pouvoit les pre- server des visites des fourmis étrangères, ou d’au- tres ennemis. Ce qui à contribué à m’affermir dans celte opinion, c'est que j'ai observé les mêmes exercices dans ma fourmilière. vitrée > lorsque les fourmis avoient abondamment de nourriture ; qu'elles étoient bien accoutumées à leur demeure, et sous l'influence d’une température modérée. D’autres fourmilières n’ont présenté des parti cularités un peu différentes de celles-ci ; je voyois MŒURS DES FOURMIS. 175 Souvent à la surface du nid des ouvrières qui pa- TOissoient saisies de vertige ; elles se torülloient au Soleil avec des mouvemens convulsifs en ouvrant leurs pinces, . et couroient en tout sens sur la fourmilière ; ; bientôt quelques autres, agitées de la même manière > -Commencoient à fretiller et se jetoient dans la premiére galerie qui se trouvoit sur leur passage. Ces fourmis mettoient tout en de- sordre autour d'elles; mais cette disposition ne duroit que deux à trois minutes, et je suppose qu'elle étoit due à l’ardeur du soleil, ne l'ayant jamais observée que lorsqu'il étoit très-elevé au- dessus de l'horizon. Plusieurs de celles que j'ai sui- Vies ; aprés avoir pirouetté quelques : instans | accro- Choient les autres fourmis par une jambe où par une antenne, puis les relâchoient Pour courir après d’autres ; quelquefois même elles les emportoïent , Mals sans jamais leur faire de mal. Aïlleurs, deux ais paroissoient s’agacer autour d’un brin d'herbe ; l’une et l'autre, dressées sur leurs pates, ‘ournoient alternativement pour s’éviter ou s’attra- Per : elles me rappeloient les courses et les com- bats simulés des jeunes chiens , quand ils s'élèvent ur leurs pates de derrière , feignent de se mordre, pe cu mana ee DM 0 - 174 RECHERCHES SUR LES se renversent mutuellement , et se saisissent sans jamais serrer les dents. Il faut, pour être témoin des faits que je viens de décrire , s'approcher des fourmilières avec beat coup de précautions ,; afin que ces ec ne sa perçoivent pas de notre presence ; ils cesseroïent à l'instant leurs jeux et même leurs travaux ; on les verroit aussitôt se mettre en défense, recourber leur ventre et lancer leur venin : l’acharnement seul qu'ils mettent à leurs gaeure es ne souffre de LL. part aucune distraction. Les fourmis connoissent donc les iravaux, les combais.…. j’allois dire les plaisirs (1) : elles possèdent dl (1) Elles ont aussi leurs maladies. J’en ai observé une fort singulière : les individus qui en sont attaqués perdent la faculté de se guider en droite ligne; ils ne peuvent marchef qu’en tournant dans un cercle très-étroit, et toujour’ dans le mème sens. Une femelle vierge, renfermée dan$ un de mes poudriers, prit tout d’un coup cette manie} elle décrivoit un cercle d’un pouce de diamètre, et fai soit environ mille tours par heure; elle tourna conf” tamment pendant sept jours, et quand je la visitois Ja nuit, je la trouvois faisant le même manège. Je jui débats du miel, et je crois qu’elle en mangeoil quoiqu£ es > = , , Q « . æ je n’en aie pas été témoin. J’ai trouvé encore trois OÙ MŒURS DES FOURMIS. 179 des signes qui leur servent de langage | donnent des preuves d'affection les unes pour les autres, et D onement pour leur peuplade ; soignent les femelles etles petits qu’elles mettent au monde, etc: Ce sont déjà bien des traits de civilisation ; et si les fourmis étoient de la taille des castors, nous ne Nous lasserions pas de les admirer. LL "S Yrières tournantes; l’une d’elles avoit cependant la faculté de marcher de tems en tems en ligne droite ; je la Pris sur ma main: elle continua à tourner , s’arrêta Un instant pour manger du mel, et reprit sa route Circulaire. La seconde ouvrière, qui étoit de l'espèce des noir-cendrées » avoit une antenne coupée ; elle m’é- Chappa avant que j’eusse fait sur elle les essais que je Wélois proposés. La troisième ouvrière, appartenant aux fourmis fauves , n’avoit aucun mal à l’extérieur : je ne saurois assigner la cause de cette maladie , la seule Que j'aie observée chez les fourmis. RECHERCHES SUR LES RER SR SSSR CHAPITRE TE RELATIONS Des Fourmis 4r7EcC Les PucERONS ET LES GALLE-INSECTES. Du langage antennal. JUIL me soit permis de revenir à la grande question du langage des fourmis : si c’est une vé- rité, je ne saurois en donner trop de preuves; si 7 ABS ; + c'est une erreur, les fans, de quelque maniere 7] ï. h à 4 , quus sexpliquent, me serviront d’excuse. En supposant que je waie pas trop présumé de la justesse de mes raisonnemens , j'ai dû faire senür la nécéssité d'admettre chez les fourmis des movens capables de propager entr'elles leurs différentes impressions , et Jai cru reconnoître cette faculté dans le choc de leur tête contre le corselet dé leurs compagnes , et dans le contact de leurs man“ | an. dibules ; mais ce ne sont encore là que les signes les plus grossiers dont elles fassent usage. Les antennes , ces organes du toucher, et peut- être MŒURS DES FOURMIS. 5 PERS être de quelque sens qui nous est iNCOnnu , sont les Principaux instrumens du lang gage des f Ours ; leur place au-devant de la tête , leur mobilité , leur construction > Qui présente une suite de pha- langes douées d’une extrême sensibilité ; leurs rap- Ports intimes avec Pinsunct; enfin les observations Tue j'ai rapportées en parlant de la conduite de nos insectes dans leurs relations avée les femelles , les mâles et les autres ouvrières : tout concourt à me persuader que les antennes jouent le rôle le plus important chez les fourmis. Nous les avons Vues en faire un usage fréquent sur le champ de bataille pour jeter l’alarme parmi leurs compagnes, ét pour se distinguer déleue ennennes ; au sein de la fourmilière , pour s’avertir de la présence du Soleil, si favorable au développement des larves ; dans leurs courses et leurs emigrations, pour s’in- diquer mutuellement la route; dans leurs recru- lemens , pour décider le départ, eïc. etc. : voyons _ ncore de quelle autre utilité elles sont pour ces | insectes. Les fourmis n'ayant pas l’art dé construire des Magasins et de les remplir de provisions, ne peu- ‘ent pas, comme les abeilles, puiser leur nour- 12 er ” pores # ner APRES 178 RECILERCHES SUR LES riture dans des cellules , sans sortir de chez elles: Celles qui restent au logis attendent donc leur sub- sistance des ouvrières qui sont allées à la récolte ; celles-ci leur rapportent de petits insectes, ou le corps de ceux qu’elles ont démembrés sur 4 place; alors chacune d’elles attaque le cadavre , ©L bienuôt il est entièrement dépecé; mais quand elles trouvent des fruits müûürs ou des animaux d’une chair plus molle, comme des vers, des lézards et d’autres petits quadrupèdes morts ; ne pouvant pas les transporter dans la fourmilière , elles sa- breuvent des sucs qu'ils renferment, et ne reviennent à leur nid qu'avec l’esiomac plein de ces provisions liquides. À leur retour , elles les dégorgent dans la bouche de leurs compagnes : et voici comment cela se passe. La fourmi qui éprouve le besoin de mangeï commence par frapper de ses deux antennes , avet un mouvement très-rapide; celles de la fourmi dont elle âttend du secours; on les voit aussitôt s'approcher en ouvrant leur bouche, et avancer leur langue pour se communiquer. la liquetf quelles font passer de lune à l’autre : pendañt D è : : cette Operauon , la fourmi qui recoit les alimer$ MŒURS DES FOURMIS. 179 de cesse de flaiter celle qui la nourrit, en conti- Müant à mouvoir ses antennes avec une activité Sieulière ; elle fait aussi jouer sur les parties laté- rales de la tête de sa nourrice ses pates antérieures , Ju sont garnies de brosses très-épaisses , et qui, Par la délicatesse et la rapidité de leur mouvement, te le cèdent en rien à ceux des antennes. La fourmi qui revient des champs salt aussi avertir ses compagnes du besoin qu’elle à de se décharger d’une partie de la liqueur dont elle s’est Pourvue , et c’est encore à l’aide de ses antennes {Welle paroît les inviter à venir en prendre leur Part ; mais elle ne fait point usage de ses pates de devant dans cette circonstance. Ce langage est si Clair pour nos insectes, qu'ils paroïssent le com- Prendre à Vinstant ; les larves même > Qui savent demander de la nourriture ‘en relevant leur tête (comme nous l'avons fait remarquer ailleurs), se ‘édressent et présentent leur bouche dès qu’elles Sentent la fourmi battre de ses antennes la parie Mtérieure de leur Corps. Le langage antennal exigeroit sans doute une Etude trés-approfondie , si on vouloit connoître foutes les impressions qu’il est suscepuble de com- 160 RECHERCHES SUR LES muniquer ; il est comme tous Les autres signes que Jai observés chez les fourmis, fondé , non sur des gestes visibles , mais sur lattouchement de cer” taines parties ; parce qu'il falloit qu'il püt servi dans l'intérieur de la fourmilière, où la lumière du jour ne pénètre jamais : 1l en résulte qu'unê fourmi ne peut se faire entendre que d’une seule de ses compagnes à la fois ; mais l'impression qu’ elle a donnée se propage de lune à l’autre avec une extrême rapidité. Si nous parvenons à prouver qu’elles savent encore se faire entendre d’autres insectes , il faudra convenir qu’elles ont été singu” hièrement favorisées par la nature. 6 IL. Liaison des fourmis avec les pucerons. Ox sait qu’un grand nombre de végétaux nour” rissent des pucerons; ces insectes, attroupés sur 1e nervures des feuilles ou sur les branches les pl jeunes ; insinuent leur trompe entre les fibres de l'écorce, dont ils pompent les sucs les plus substaï” tiels : une partie de ces alimens ressort bientôt de leur corps sous la forme de gouttelettes limpides par les voies naturelles ou par ces deux cornes qu'on MŒURS. DES FOURMIS. 161 r emarque ordinairement à leur partie postérieure : c’est cette liqueur dont les fourmis font leur prin- Cipale nourriture. On avoit déjà observé (1) qu’elles, attendoient le moment où les pucerons faisoient Sortir de leur ventre cette manne précieuse, et qwelles savoient la saisir aussHÔt ; mais j'ai décou- Vert que c'étoit là le moindre de leurs talens, et Gu’elles savoient encore se faire servir à volonte : Voici en quoi consiste leur secret. | Une branche de chardon étoit couverte de four- Mis brunes et de pucerons : j'observai quelque ems ces derniers, pour saisir, s’il étoit possible, Pinstant où ils“faisoient sortir de leur corps cette sécrétion; mais je remarquai qu’elle ne. sortoit que irés - rarement d'elle-même, et que les pucerons | éloignés des fourmis la lançoient au loin, au moyen dun mouvement qui ressemble à une espèce de. tuade. Comment se faisoitil donc que les fourmis er- tantes sur les rameaux , eussent presque toutes des. Ventres remarquables par leur volume et remplis SVidemment d’une liqueur? C’est ce que j'appris —— ® F e , - L à RE ù n (1) M, Boïssier de Sauvage. 1 182 RECHERCHES SUR LES en sulvant de près une seule fourmi, dont je vais décrire exactement les procédés. Je la vois d’a- bord passer sans s'arrêter sur quelques pucerons ; que cela-ne dérange point; mais elle se fixe bientôt auprès d’un des plus petits : elle semble le flatter avec ses antennes, en touchant l’extrémité de son ventre alternativement de l’une et de l’autre, avec un mouvement très-vif; je vois avec surprise la liqueur paroître hors du corps du puceron, et la fourmi saisir aussitôt la gouttelette, qu'elle fait passer dans sa bouche. Ses-antennes. se portent ensuite sur un autre puceron beaucoup plus gros que le premier; celui-ci, caressé de la même manière , fait sortir le fluide nourricier en plus grande dose ; la fourmi s’avance pour s’en empa- rer : elle passe à un troisième, qu’elle amadoue comme les précédens, en lui donnant plusieurs peuts coups d'antennes auprès de lextrémité pos- térieure de son corps ; la liqueur sort à linstant, et la fourmi la recueille. Elle va plus loin : u® e se # LL La * A p: quatrième, probablement déjà épuisé, résiste à son action; la fourmi, qui devine peut-être qu’elle 3 Q » . à: “1 n'a ren à en espérer, le quitte pour un cinquième» dont elle obtient sa nourriture sous mes yeux: MŒURS DES FOURMIS. 182 Ïl ne faut qu’un peut nombre de ces repas pour rassasier une fourmi : celle-ci, satisfaite > reprit le Chemin de sa demeure. J’observai encore celles Ju restoient sur le chardon ; elles moffrirent la Même scène. Dés lors j'ai toujours remarqué que l'arrivée des fourmis et le battement de leurs an- lennes précédoient le don de cette liqueur, et que l'attitude des pucerons, la tête en bas, sem- bloit être destinée à cet objet. J'ai revu mille ét mille fois ces procedes singuliers , employés ävec le même succès par les fourmis, quand elles . Vouloient obtenir des pucerons cette nourriture : Si elles négligent trop long-tems de les visiter, ils rejettent la miellée sur les feuilles, où les fourmis la trouvent à leur retour, et la recueillent avant de Sapprocher des insectes qui la fournissent. Mais si les fourmis se présentent souvent aux pucerons , ils paroissent se prêter à leur désir, en avançant l'époque de leur évacration » Ce qué l’on peut con- Noître au diamètre de la gouuelette qu'ils font Srtir ; et dans ce cas ils ne lancent pas au loin la Manne des fourmis ; On diroit même qu'ils ont soin de Ja retenir pour la mettre à leur portée. Îl arrive quelquefois que les fourmis, en trop 164 RECHERCHES SUR LES grand nombre sur la même plante, épuisent les Pucerons dont elle est couverte : dans cette cir- constance elles feroient vainement jouer leurs an- il faut qu’elles attendent qu'ils aient pompe une nouvelle tennes sur le corps de leurs NOUTTICIETS ; ration du suc des branches ; ils n’en sont point avares et ne résistent jamais à leurs sollicitations quand 1ls sont en état d’y satisfaire : j'ai vu souvent le même puceron accorder successivement plu- sieurs gouttes de ce sirop à différentes fourmis qui en paroissoient fort avides. La fourmi brune n’est pas la seule douée de cet art, quoiqu'elle soit peut-être une des plus habiles à se procurer sa subsistance par ce moyen. La fourmi fauve , la noire-cendrée » la rouge et plu sieurs autres, ont ; à des degrés différens , le pou- voir d'engager les pucerons à leur livrer leurs sécré- üons. La fourmi rouge montre une adresse singu” lière à saisir la gouttelette ; elle emploie ses an” iennes, dont l’extrémité est un peu renflée, pouf la porter à sa bouche, et elle ly fait entrer en la pressant lour à tour ayec l’une et l’autre ; comme avec de veritables doigts. Al ne paroû point que ce soit par importunité MŒURS DES FOURMIS. 180 que ces insectes obuüennent des pucerons leur nour- riture. J'ai observé les fourmis fuligineuses sur une branche de chêne chargée de gros pucerons Noirs ; Paroïssoient vivre dans la meilleure intelligence ° . Lt a] ces derniers se promenoient ça et là, et avec les fourmis; ils leur fournissoient la miellée, et ne cherchoïent point à s’enfnir, quoiqu'ils fus- sent incomparablement plus lestes que ceux dont J'ai parle jusqu'ici. Îl sen trouvoit un ailé dans la troupe : ses ailes noires avec deux raies blanches, Sa tale, tout le rendoit fort distinct de ses com- Pagnons : je vis plusieurs fourmis fort agitées au- tour de li, et comme inquiètes de ce qu’il s’ap- prochoit d’autres pucerons auxquels elles sem- bloient-vouloir demandér leur repas ; elles alloient Yers lui avec précipitation , lui donnoient quelques Coups d’antennes, et retournoient auprès des Premiers. Je crus d’abord que le puceron ailé les génoit ; mais dans un moment plus favorable, je le vis lui- même, frappé ou flatté par les fourmis, leur accorder le mets qu’elles sollicitoient. J’ai souvent Observé depuis lors d’autres pucerons ailés livrant *Ux fourmis, sans contrainte, celte liqueur si 186 RECHERCIIES SUR LES précieuse pour elles ; ils se laissoient toucher de leurs antennes, ils restoient sur la branche où leurs compagnons privés d'ailes étoient fixés, et ne pa- roissoient point éviter les fourmis , dont le nombre , sembloit devoir les incommoder. Cela prouve que | le voisinage des fourmis est agréable aux pucerons, | puisque ceux qui pourroient se soustraire à leurs visites préfèrent demeurer au milieu d'elles, et leur | prodiguer le superflu de leur nourriture. J'ai répété ces observations sur la plupart des fourmis de notre pays : les plus grosses s’adressent aussi aux pucerons. On seroit étonné de voir bien elles les ménagent, et avec quelle délicatesse leurs antennes, bien différentes de celles des four- mis rouges , et plus délices à extrémité que partout ailleurs, savent les inviter à leur livrer la miellée (1). Je ne connois point de fourmis qui n’aient Part d'obtenir des pucerons le soutien de leur vie : on diroït qu’ils ont été créés pour elles. | (1) On sait que les fourmis à deux nœuds sur J filet du ventre ont les antennes renflées : celles des autres classes les ont filiformes et sétacées. MŒURS DES FOURMIS: 6 ILE. # Des relations des fourmis avec les galle- insectes. ON sait que les galle-insectes , comme les pu- térons, s’attachent aux feuilles et aux branches des arbres, pour en pomper le suc. Elles ont la bouche et les parties sexuelles appliquées contre l'arbre , Porifice destiné à rejeter l’excédant de leur nourriture est placé sur le dos à Popposite. Les fourmis sont attirées par les galle-insectes Somme par les pucerons ; je ne suis pas le premier _ Qui l'ait observé ; on sait depuis long-tems que les kermès et les cochenilles, qui sont de genres voisins de nos galles, sont toujours accompagnés par les fourmis > Mais On n’en savoit pas la raison ; on n’a- Voit pas remarqué que les galle-insectes leur li- Vroient, comme les pucerons, une grande partie des fluides qu’elles extraient des arbres auxquels elles sont fixées. M. de Réaumur lui-même croyoit Que la piqüre faite à larbre par les galle-imsectes , Continuoit à verser sa liqueur lorsqu’elles en avoient leüré leur trompe, et que les fourmis venoient *üssttôt lécher le suc qui transsudoit de l'écorce ; Î 168 RECHERCHES SUR LES mais Cetle conjecture, quelque naturelle qu’elle parüt alors, ne s’est pas vérifiée. Ces insectes; qui nous avoient échappé pendant tant de siècles x etoient de tout tems connus des fourmis pour des êtres doués de vie et de sensation; je fus très- étonné lorsque je vis pour la première fois une fourmi s'approcher d’une galle-insecte, et faire avec ses antennes, près de son extrémité inférieure; les mêmes manœuvres qu’elles exécutent à l'égard des pucerons. Lorsqu’elles l’eut flatté pendant quelques instans, je vis sorür du dos de la galle une grosse goutte de liqueur, que la fourmi se hôta de sucer. Jai répété cetie observation sur d’autres galle-insectes du même arbre, pendant des saisons entuères. Elles étoient en grand nombre sur un bourrelet du tronc ; les fourmis y venoient conunuellementi chercher des provisions. Je confir- mai ces observations sur celles de Poranger, et} vis toujours les fourmis leur demander et en ob tenir leur pâture de la même manière. On me sau- roit Mieux Comparer le mouvement des fourmis ; dans cette occasion, qu'à celui des doigts dans u® till sur le piano. Les kermès , comme les pucerons, lancent leur MŒURS DES FOURMIS. _ 189 liqueur lorsque les fourmis ne sont pas assidnes au Prés d'eux ; mais cela arrive rarement : les galle- insectes du pêcher , de la vigne et du mürier m’ont Offert le même spectacle , qui ne laisse pas que de Nous éclairer sur les rapports qui exisient entre leur instinct et celui des fourmis. Que les pucerons et les galle-insectes éprouvent ; du plaisir à se sentir chatouiller de la sorte par les fourmis; que ce soit un avaniage pour eux Pue plutôt débarrassés de leurs sécrétions, ou qu'il existe réellement entr’eux et les fourmis une espèce de lRngage ; C’est encore une de ces questions sur les- quelles il ne- nous appartient pas de prononcer ; Mais nous r’en admirerons pas moins le secret des fourmis pour se procurer leur subsistance : cette liqueur est une ressource Imépuisable pour elles ; :] Suffit , pour s’en convaincre, de se placer près d’un Chêne couvert de pucerons ou de galle-insectes ; On verra monter et descendre des milliers de four- me, mis le long du tronc ; toutes celles qui montent ont de petits yentres et marchent lestement, celles Qui redescendent , au contraire , ont leur abdomen renflé, transparent , plein de la liqueur de ces AMimaux, et ne se traînent qu'avec difficulté. ae le Due Put PRE RE S rar = re RECHERCIIES SUR LES ÿ IV. Industrie presque humaine des fourmis. ÎL y a des fourmis qui ne sortent presque jamais de leur demeure ; on ne les voit aller ni sur les arbres ni sur les fruits ; elles ne vont pas même à la chasse d’autres insectes ; cependant elles sont extrêmement muluüpliées dans nos pres et nos ver- gers : ce sont les fourmis jaunes , appelées par le peuple fourmis rousses , et qui auroïent mérité le surnom de sotierraines. Elles 1 ont pas deux lignes de longueur ; leur corps est d’un jaune pâle, un peu transparent et recouvert de poils. Je savois où toutes les autres fourmis cherchoient et trouvoient leur nourriture ; mais je me deman- dois souvent, comment celles-ci faisoient pour subsister, et de quels alimens elles pouvoient se fournir sans s’écarter de leur habitation, lorsqu'un jour , ayant retourné la terre dont elle étoit com- posée ; pour découvrir si elles avoient quelques provisions > je trouvai des pucerons dans leur nid : jen vis sur toutes les racines des gramen dont la fourmilière étoit ombragée ; ils y étoient rassemblés: en familles assez nombreuses et de différentes e5- MŒURS DES FOURMIS, 191 Pêèces ; les plus communs étoient couleur de chair “ten forme de boule ; d’autres étoient blancs et Voient le corps plus applati, mais ils étoient du Même genre ; il y en avoit de verts, de violets, ' de rayés noirs et verts : ceux-ci étoient plus hauts Sur jambe , et d’une forme plus alongée. La plupart étoient fixés aux TaCINes ; on en Voyoit , à une plus grande profondeur, d’attachés à leurs dernières ramifications ; d’autres étoient errans au mieu des fourmis À soit dans leurs cases, soit dans leurs souterrains. Celles-ci sembloient épier le moment favorable pour obtenir leur pâture ; elles s’ÿ prenoient comme à l'ordinaire > et toujours avec le même succès. Ces observations expliquoiïent fort bien pourquoi les fourmis de cette espèce ne s’éloignoïent pas de leur demeure: elles avoient , sans en sortir, tout te qui étoit nécessaire au soutien de leur vie. Je Me hâtai de vérifier cette découverte » en fouillant dans un grand nombre de nids de fourmis jaunes, et ŸY trouva toujours des PuCerons ; cétoit surtout après des pluies un peu chaudes qu'il étoit facile de les voir, parce qu'ils se tenoient alors à la sur- lice du sol; les plantes auxquelles ils étoient atta- 192 RECHERCHES SUR LES chés se déracinoient aussi plus facilement, et Von risquoit moins de les écraser que lorsque le terrain étoit trop sec. Je ne tardai pas à voir que les fourmis jaunes | étoient fort jalouses de leurs pucerons ; elles les prenoient souvent à leur bouche, et les empor- toient au fond du nid ; d’autres fois elles les réu- nissoient au milieu d'elles, ou les suivoient avec sollicitude. Je profitai des notions que j'avois acquises sur ‘leur genre de vie, pour nourrir chez moi une de teurs peuplades ; je les logeai dans une boîte vitrée avec leurs pucerons, en laissant dans la “4ère que je leur donnai les racines de quelques plantes dont les branches végétoient au dehors : j'arrosois de tems en tems la fourmillière , et paf ce moyen les plantes , les pucerons et les fourmis trouvoient dans cet appareil une nourriture abon- dante: Les fourmis ne cherchoient point à se” chapper; elles sembloient n’avoir rien à désirer ; elles soignoient leurs larves et leurs femelles avec la même affection que dans leur véritable nid; elles avoient grand soin des pucerons, et ne leur faisoient jamais de mal : ceux-01 ne paroissoien! pou MŒURS DES FOURMIS. 193 Point les craindre ; ils se laïssoient transporter d'une place à une autre, et lorsqu'ils étoient de- Posés, ils demeuroient dans l’endroit choisi par leurs gardiennes ; lorsque les fourmis vouloient les déplacer , elles commencoient. par les caresser avec leurs antennes, comme pour les engager à abandonner leurs racines, ou à retirer leur trompe de la cavité dans laquelle elle étoit insérée ; ensuite, elles les prenoient doucement par-dessus ou par- dessous le ventre avec leurs dents, et les empor- toient avec le même soin qu’elles auroient donné aux larves de leur espèce. J’ai vu la même fourmi Prendre successivement trois pucerons plus gros qu’elle , et les transporter dans un endroit obscur. ll y en eut un qui lui résista plus long-iems que les autres; peut-être ne pouvoit-il pas reurer Sa trompe , engagée trop profondément dans le bois. Je m’amusai à suivre tous les mouyemens que se donna la fourmi pour lui faire lâcher prise ; elle le caressoit et le saisissoit tour à tour jusqu’à ce qu'il eût cédé à ses désirs. Cependant les four- mis n’emploient pas toujours les voies de la dou- Ceur avec eux ; quand elles craignent qu'ils ne leur Soient enlevés par celles d’une autre espèce et vi- 19 194 RECHERCHES SUR LES . vant prés de leur habitation, ou lorsqu'on découvré trop brusquement le gazon sous lequel ils sont cachés , elles les prennent à la hâte et les em portent au fond des souterrains. J’ai vu les fourmis de deux nids voisins se disputer leurs pucerons : quand celles de l’un pouvoient entrer chez les au- tres, elles les déroboient aux véritables possesseurs; et souvent ceux-ci s’en emparoïent à leur tour’ car les fourmis connoissent tout le prix de ces pe” üts animaux , qui semblent leur être destinés : c’est leur trésor ; une fourmilière est plus ou moins rich selon qu’elle a plus ou moins de pucerons; c’esi leur bétul, ce sont leurs vaches et leurs chèvres: on neût pas deviné que les fourmis fussent des peuples pasteurs ! Mais il se présente ici une question vraiment 17 téréssante. Les pucerons que j'ai trouvés constam- ment dans les fourmilières de cette espèce, ve- noient-ils sy loger d'eux-mêmes, ou étoient-ils apportés dans ces lieux par les fourmis ? A me semble plus probable que ce sont elles qui les réunissent dans leur habitation , puisqu’elle* sont dans l'usage de les porter sans cesse d’une placé à une autre, ct puisque ce sont elles qui retirent een drone ti dde 2 ot ds PP Ge déesse, MŒURS DES FOURMIS. 195 tous les avantages de cette relation : je suis très- Porté à croire que les fourmis jaunes, et toutes celles qui sont douées de la même industrie, vont Chercher les pucerons, en faisant des galeries sou- lerraines au milieu des racines ; qu’elles les trou- Vent épars dans les gazons, et qu'elles les rassem- blent dans leur nid. Je ne verrois pas pourquoi , Sans cela, 1l y en auroit autant dans les fourmi- lières, car 1ls ne sont pas aussi communs partout ailleurs. Lorsque j'en ai trouvé sous l’herbe , ils étoient le plus souvent entourés de fourmis jaunes , Qui arrivoient jusqu’à eux par des souterrains, et Qui les portoient probablement chez elles en au- lomne ; souvent elles s’en emparoient en ma pré- sence , et se retiroient avec eux par quelque voie obscure ; ce qui prouve qu’elles en disposent à leur gré : c’est surtout dans la mauvaise saison welles les réunissent en plus grand nombre au lond de leur nid. Dans l'été, on les trouve plu- lt au pied des plantes voisines de la fourmilière , Parce qu’elles souffrent moins de la sécheresse que Celles qui croissent sur le nid même ; maïs ils y sont Comme chez elles, puisque leur habitation s'étend Mlniment plus au dedans de la terre qu'au dehors. TA METIERS ge RU F ee Re re ART PR, us RECHERCEES SUR LES Quatre ou cinq sortes de fourmis possèdent des pucerons dans leur demeure; mais à la vérité moins constamment et en plus petit nombre que les four” mis jaunes , parce qu’elles ont la ressource de ceux des arbres où elles trouvent une parue de leur sub- sistance ; il en est même qui savent arriver jusqu’à la branche chargée de ces insectes, par un conduit de terre qu’elles ont construit, non-seulement de leur nid jusqu’au pied de l’arbre, mais jusqu’au rameau qui les porte. Elles sont encore là comme chez elles, et lorsqu'elles veulent ramener leurs pucerons au logis , elles peuvent le faire à Pinsçu des autres fourmis, et sans aucun danger : la rouges la brune , celle des gazons et une auire espèce e%” cessivement pelte, ont toujours en automne , €f hivèr et au printems des pucerons. Cette dermère: qu'on pourroit nommer fourmi microscopique, Ca elle n’a pas une demi-ligne de longueur , trouvé encore des pucerons proporüonnés à sa pelitesse is sont blancs, et un peu plus gros qu’elle. Léÿ pucerons sont donc les animaux doméstiques def fourmis; ellesles rassemblent auprès d’elles, comm nous rassemblons ceux dont nous avons besoin s00° lé toit où nous habitous. Les animaux qui nou* MŒURS DES FOURMIS. 197 Sont asservis connoïssent la voix de l'homme; les Pucerons et les galle-insecies entendent , à ce qu'il Paroît, le langage des fourmis , et leur fournissent des alimens, sans contrainte. D’autres insectes vivent encore au milieu d'elles, Quoiqu'ils ne paroissent leur être d’aucune uülite : ce sont les mulle-pieds , les perce-oreilles , les clo- portes ét: certaines larves de scarabées.. Les four- mis s’accoutument fort bien à les voir; elles les tolèrent dans leur nid et ne leur font aucun mal, ce qui me semble d'autant plus singulier qu'elles Passent,; en général, pour être d’un naturel peu trartable. | Mais ce qui est constant, ce que j'ai toujours observé chez les fourmis jaunes, et ce qu'il im- portoit de.savoir, c’est qu’elles ont des pucerons dans leur nid, et qu'elles ne les mangent point ; qu'elles ne les réunissent , au contraire, qu’afin de Jouir plus commodément de la liqueur qu'ils leur prodiguent. Si ces fourmis déploient en cela une industrie digne. de l’homme, il en. est d’autres dont les pro- Céclés ne sont pas moins admirables. Celles-ci pa- Toissent prendre possession des pucerons qui vivént Pas PTT MON cé _— 168 RECHERCITES SUR LES sur les branches des arbres et sur les tiges des plantes herbacées : les fourmis , toujours jalouses de conserver leurs pucerons , et surtout ceux qui les avoisinent , ne souffrent pas que des étrangères viennent leur disputer la nourriture qu’elles en attendent ; elles les chassent à coups de dents; 02 les voit s’aglter, s'inquiéter autour d'eux, et par” courir la branche avec colère. Quelqnefois elles prennent leurs pucerons à leur bouche pour les sénsttdiré aux attaques des autres fourmis ; le plus souvent elles font la garde autour d'eux; mais quand elles le peuvent , elles cherchent à les gar ranür de leurs rivales, par un moyen plus ingé- mieux, et dont j'ai vu plusieurs exemples. Je découvris un jour un tithymale $ qu suppor” toit au mulleu de sa tige m8 pete sphère à la- quelle il servoit d’axe ; c’étoit une case que des fourmis avoient bâtie avec de la ierre. Elles en sortolient par une ouverture fort étroite , prauquée dans le bas, descendoient le long de la branche et passoient dans une fourmilière voisine. Je démolis une parte de ce pavillon , construit presqu’en Pair; afin d'en étudier l’intérieur ; c’étoit une petite salle dont les parois, en forme de voûte , étoient lisses 4 ren .— P . Ds ET. nest À D 9 pp co ee née ti A tie Eté OT ce in > ERP mes pe , MŒURS DES FOURMIS, 199 : °t unies ; les fourmis avoient profité de la forme de Sétte plante pour soutenir leur édifice : la tige Passoit donc au centre de l'appartement, et. se8 feuilles en composoient toute la charpente ; cette létraite renfermoit une nombreuse famille de pu- °érons ; auprés desquels les fourmis brunes ve- Noient paisiblement faire leur récolte à Vabri de la pluie ; du soleil et des fourmis étr angères ; til insecte ne pouvoit les inquiéter, et les pucerons t’éloient point exposés aux atiaques de leurs nom- breux ennemis. J admirai ce trait d'industrie, et je ne tardai Pas à le retrouver, avec un caractère plus intéressant encore ; chez des fourmis d’une éspèce differente. : | Des fourmis rouges avoient construit autour du pied d’un chardon un tuyau de terre de deux Pouces et demi de longueur , sur un et demi de largeur. La fourmilière étoit au bas, et commun: Œuoit sans intervalle avec le cylindre 5 je pris la branche avec son entourage et tout ce qu'il ren- fermoit : la portion de la üge comprise dans le lüyau étoit garnie de pucerons; je vis bientôt sor- De Ur, par louverture que J'avois faite à sa base , les fourmis ; fort étonnées de voir le jour en cet en- 200 RECHERCHES SUR LES droit, et je m’aperçus qu’elles y vivoient avet leurs larves : elles les transportérenti en hâte dans la parue la plus élevée du cylindre, qui n’avoit ‘pas ete alterée. C'est dans ce réduit qu’elles sé tenoient à portée de leurs pucerons rassemblés, €t: qu’elles nourrissoient leurs pets. Ailleurs, plusieurs tiges de uthymale chargées de pucerons s’élevoient au centre même d’uné fourmilière appartenant aux fournus brunes. Celles ci, profitant de la disposition particulière des feuilles de cette plante, avoient construit autouf de chaque branche autant de pêütes cases alon” gées, et c’est là qu’elles venoient chercher leur nourriture : ayant détruit une de ces loges, les fourmis emportèrent aussitôt dans le nid leurs pré cieux animaux ; peu de jours après elle fut réparé sous mes yeux par Ces insectes, et les troupeauf _ furent ramenés dans leur parc. Ces cases ne sont pas toujours à quelques pouctf de terre; j'en ai vu une à 5 pieds au-dessus du sol, €! celle-ci mérite encore d’être décrite : elle consisto!t en un tuyau noirâtre , assez court, qui environno!! une petite branche de peuplier à sa sorue du tron£: Les fourmis y arrivoient depuis l’intérieur de l'arbre; MŒURS DES FOURMIS. 201 qui étoit excavé ; et, sans se montrer, elles pou- Voient parvenir vers leurs pucerons par une ou- verture qu’elles avoient pratiquée à la naissance de cette branche : ce tuyau étoit formé de bois pourri, ‘du terreau même de cet arbre, et je vis plusieurs fois les fourmis en apporter des brins à leur bouche, Pour réparer les brèches que je faisois à leur pa- villon. Ces traits ne sont pas fort communs, et ne sont point du nombre de ceux qu'on pourroit | attribuer à une routine habituelle. Îl est encore des fourmis qui trouvént leur nour- riture auprès des pucerons du plantain vulgaire : ils “sont fixés crdmsireshent au-dessous de sa fleur 3 mais lorsqu'elle vient à passer , et que sa tige se dessèche , ce qui lui arrive à la fin d'août, les puz cerons se retirent sous les feuilles radicales de la Plante : les fourmis les y suivent et enferment alors avec eux, en murant avec de la terre hu- mide tous les vides qui se trouvent entre le sol et les bords de ces feuilles : elles creusent ensuite le terrein au-dessous, afin de se donner plus d’es- Pace pour approcher de leurs pucerons, et peuvent aller de là jusqu’à leur habitation par des galeries couvertes. RECHERCHES SUR LES $ V. Ressources des Jourmis pendant l’hiver. JE suis naturellement amené à parler ici de la manière dont les fourmis subsistent en hiver. Depuis qu’on est revenu de lopimion, qu’elles amassoient des provisions de. grains, et qu’elles rongeoient le blé pour l'empêcher de germer, on a cherché LR à L 1 . n dé - : a s'expliquer leur existence par l’engourdissemen dans lequel on les suppose à cette époque. Elles q PP { sont engourcées, en effet, dans les grands froids; mais lorsque la saison n’est pas trop rigoureuse ; la profondeur de leur nid les met à labri de la gelée : elles ne s’engourdissent, qu'au 2.° degré de Réaumur , au-dessous du terme de la congé- lauon : j'en ai vu marcher sur la neige, et suivre leurs habitudes à cette température. Elles se- roient donc exposées aux horreurs de la famine, si elles n’avoient pas de ressources pour le cas où elles ne s’engourdiroient point; et ces res sources ne SOnt autres que les pucerons, qui, par un admirable concours de circonstances qu’on n€ sauroit attribuer au hasard , tombent en léthargie exactement au même degré de froid que les four- MŒURS DES FOURMIS. : 203 Mis, et se réveillent en même tems qu'elles ; ainsi lolles les retrouvent toujours lorsqu'elles en ont besoin. | | Les fourmis qui ne savent pas réunir ces insectes üules dans leur habitation même , connoissent du Moins leur retraite ; elles les suivent aux pieds des arbres et sur les racines des arbustes qu'ils fréquen- toient auparavant; se glissent , au premier dégel, le long des haies, en suivant les sentiers qui les conduisent près de leurs nourriciers , et rapportent à la république un peu de miellée : car il en faut tès-peu pour les nourrir en hiver. Dès qu’elles cessent d’être engourdies, on les Voit se demander et se donner à manger; ainsi les alimens contenus dans leur estomac se partagent éntre toutes ; ces sucs ne s’évaporent presque pas dans cette saison, à cause de l'épaisseur de leurs Anneaux écailleux : j'ai vu des fourmis conserver Pendant un tems considérable leur provision inté- veure , lorsqu’elles ne pouvoient en faire part à leurs compagnes. rer Quand le froid augmente graduellement , et c’est Ordinairement ainsi que l’éprouvent les fourmis, qui fn sont préservées par une épaisse muraille de Re PA”: pass 204 _ RECHERCHES SUR LES terre , elles se réunissent et s’entassent les unes sur les autres par milliers , et paroissent toutes accro” chées ensemble. Cherchent-elles à se procurer uñ peu de chaleur en se tenant ainsi rassemblées ? Je le présume ; mais nos thermomètres ne. sont pes assez délicats pour nous apprendre si elles y par” viennent. $ VI. Des œufs des pucerons. Les pucerons, vivipares pendant l’été, sont ovipares en automne : ce fait, fort remarquable, trouve ici une singulière confirmation. Un jour du mois de novembre , Curieux de savoir st les four” mis jaunes commencoient à s’enfoncer dans leurs souterrains , je démolissois avec ménagement leur domicile , case par case. Je n’étois pas encore bieñ avant dans mon excavation , lorsque je découvrf une loge contenant un amas de petits œufs, plupart couleur d’ébène : ils étoient environnés de plusieurs fourmis , qui paroissoient en prendre soir et qui cherchérent aussitôt à les emporter. Je m’emparai d’abord de cette loge, de ses habitan$ et du petit trésor qu’elle contenoit : les fournus D a oO R arrêe _ sm. - ee 2 MŒURS DES FOURMIS. 205 N'abandonnèrent point ces œufs pour s'évader plus facilement ; “un instinct plus vif les pressoit : elles Se hätèrent de les cacher sous la petite case que je tenois dans ma main > €t lorsque j’arrivai chez moi je les en ürai pour les observer plus attentivement. Ces œufs > regardés avec la loupe , paroïssoient à peu près de la forme de ceux des fourmis ; mais leur couleur en différoit entièrement ; la plupart étoient noirs, d’autres étoient d’un jaune sombre : ee, > 1 . 6 £ ii PE TR Jen trouvai dans plusieurs fourmilières > et j'en °buns de nuances trés-variées ; il y en avoit non- seulement de noirs et de jaunes, mais de bruns ; de rouges tendres, de rouges vifs et brillants, de blancs; d'autres d’une couleur moins tranchée ; Comme jaune - paille > grisâtre, etc. je remarquai qu'ils wétoient pas de la même teinte à leurs deux extrémités. Je les avois placés, pour les mieux observer À dans un couvercle de boîte recouvert d’une glace ; is étoient réunis en tas comme ceux des fournis elles-mêmes: leurs gardiennes paroissoient y mettre | ün grand prix : après les avoir visités ; elles en em- Portèrent une partie dans la terre, mais je füsté- |: Moin des soins qu’elles donnèrent aux autres ; elles * 206 RECHERCHES SUR LES s'en approchèrent en écartant un peu leurs pinces» ürent passer leur langue entre deux;, l’alongèrent la promenèrent alternativement sur chacun de ces œufs, et je crus voir qu’elles y déposoient une subs- tance liquide ; elles paroissoient les traiter exacte- ment comme ceux de leur espèce : elles les pal- poient avec leurs antennes, les réunissoient et les portoient fréquemment à leur bouche ; elles ne les quittoient pas un instant ; elles les prenoient , les retournoient , et après les avoir visités avec som elles les emportèrent, avec une extrême délicatesse, dans la pêtite case de terre que j’avois placée auprès d’elles. Ce n'étoit cependant point des œufs dé fourmis ; on sait que ceux que pondent leurs fe- melles sont d’une blancheur parfaite et deviennent iransparens en vieillissant , mais n’acquièrent jamais une couleur essentiellement différente. ‘ J'ai été _long-tems mcertain sur lorigine de ceux dont je viens de parler , et le hasard m'a fait découvii qu'ils contenoient de petits pucerons; mais ce n4 pas été de ces mêmes œufs que je les ai vu sortir? ce fut d’autres œufs un peu plus gros, trouvés chez des fourmis jaunes, d’une espèce particulière. En ouvrant leur fourmilière , -je mis à découvert plu” MŒURS DES FOURMIs. 207 Sieurs loges contenant us grand nombre d'œufs bruns ; les fourmisen étoientextrémement jalouses ; ; elles en emportèrent au plus vite une partie dansle ! fond de leur nid, et me les disputérent avec un zèle Qui ne Jaissoit pas de doute sur l'attachement qu'ils leur inspiroient. Voulant concilier leurs intérêts €t les miens, je pris les fourmis et leur trésor, et je les plaçai d’une manière convenable pour l’obser- Vation. Ces œufs n étoient Jamais abandonnés ; elles €n avoient le même soin que des premiers. Dés le lendemain, je vis un de ces œufs entr'ouvert ; il en Sortit un puceron tout formé » ayant une longue trompe ; je le reconnus Pour un puceron du chêne ; lous les autres éclorent peu de ; Jours après, et Ja plupart en ma présence. Ils se mirent aussitôt à Pomper le suc de quelques branches de cet arbre que je leur donnai , et les fourmis trouvèrent déjà tiprès d'eux la récompense des soins qu’elles leur AVoient prodigués. La fourmilière dans laquelle ces œufs avoient éte Pris étoit située au pied d’un chêne ; ce qui ex- Plique fort bien leur existence en ce lieu : je les découvris au printems ; les pucerons qui en sorti- Tent étoient bien gros pour des insectes naissans y . en 208 RECHERCHES SUR LES mais ils n’avoient pas encore tout leur accroissement M. Bonnet, à qui lon doit des découvertes 5 importantes sur les pucerons et leur générati0n parle de leurs œufs, qu'il a vu souvent sur Jes branches des arbres; il croit que linsecte , dejà n partie développé , sort du corps de sa mère danf ceite coque qui lui sert à se mettre à l'abri des 1 gueurs de l'hiver, et qu'il n est point là, comme Îes autres germes sont dans l'œuf, entouré de pro sions au moyen desquelles il se développe et sal mente ; ce m'est 1Ci qu'un asile dont les pucerof qui naissent dans une autre saison n’ont pas besoin; c’est pourquoi les uns naissent nus , les autres en fermés dans un fourreau. Les mères ne sont don£ point vraiment ovipares, puisque le petit est pres” qu'aussi développé quil peut l’être dans Pasile qué la nature lui donne en venant au monde. M: Bonnet a vainement essayé de conservef cette ni d'œufs dans sa chambre jusqu’au pr” tems; il pensoit qu'il eût été mieux pour cela qu xls fussent entretenus dans une certaine humidité , © qui devoit leur arriver dans l’état de nature. I paroît que les fourmis savent remplir auprés Éa toutes les conditions nécessaires à leur entrer tien ; MŒURS DES FOURMIS. 209 üen ; elles les lèchent constamment , les enduisent dun gluten qui les colle ensemble , et ces œufs se conservent jusque dans la saison où le puceron doit en sortir. Elles mettent donc en œuvre , pour le succès de leur couvée , si je puis me servir de cette expression , les précautions mêmes que M. Bonnet avoit imaginées pour conserver ces œufs et les faire éclore au priniems : il me semble qu'il est permis de croire que cet homme célébre eût admiré avec nous ce trait d'industrie, si l’his- toire naturelle n’eût pas perdu en lui son plus digne contemplateur. “rte DORD qu Di 5 She mme rt © À L À Lee pnreé mers ” pe 210 RECHERCHES SUR LES le D DD 0 0 0 0 0 7 7, © RSR RSS CHAPITRE VIl. PREMIER APERÇU DE L'HISTOIRE DES FOURMIS AMAZONES. N ous n'avons vu jusqu'ici que des fourmis laborieuses , des sociétés composées de trois sortes d'individus, des iravaux également répartis entre toutes les ouvrières, des guerres passagères sans but déterminé > Ou n'ayant pour objet que la de- fense commune. Les fourmis amazones vont nous offrir des mœurs bien différentes; des républiques d’une constitution et d’une organisation parüculière, un caractère très-disünct , et des guerres instituees régulièrement; en un mot, une histoire à part et dont aucun auteur n’avoit encore fait mention. Le 17 juin 1804, en me promenant aux envi rons de Genève , entre quatre et cinq heures de LI L.: ® « = < ù Es Paprès-midi , je vis à mes pieds une légion d’asse? grosses fourmis rousses ou roussätres (1) qui war PSE nd (:) Voyez-en la description dans les notes. ar BA Sa M ne D A À onu eng ge pue" à MŒURS DES FOURMIS. 241 Versoient le chemin. Elles marchoient en corps avec rapidité ; leur troupe occupoit un espace de huit à dix pieds de longueur sur trois ou quatre Pouces de large ; en peu de minutes elles eurent entièrement évacué le chemin : elles pénétrérent au travers d’une haie fort épaisse, et se rendirent dans une prairie où je les suivis ; elles serpentolent sur le gazon sans s’égarer, et leur colonne restoit toujours continue , malgré Les obstacles qu’elles avoient à surmonter. Bientôt elles arrivèrent près d’un nid de fourmis noïr-cendrées dont le dôme s’élevoit dans l'herbe, à vingt pas de la haie. Quelques fourmis de cette espèce se trouvoient à la porte de leur habitation. Dés qu’elles découvrirent l’armée qui s’'approchoit, elles s’'élancèrent sur celles qui se trouvoient à la tête de la cohorte ; l’alarme se répandit au même instant dans sr du nid, et leurs ‘compagnes sortirent en foule de tous les souterrains. La four- mis roussâtres, dont le gros de l’armée w’étoit qu’à deux pas, se hâtoient d’arriver au pied de la four- Wilière ; toute la troupe s’y précipita à la fois, et Culbuta les noir-cendrées, qui, après un combat lrès-court, mais trés-vif, se retirèrent au fond de 212 RECHERCHES SUR LES leur habitation ; les fourmis roussätres gravirent les flancs du montücule, s’attroupérent sur le sommets et s'introduisirent en grand nombre dans les pre mières avenues; d’autres groupes de ces insecteÿ travailloient avec leurs dents à se pratiquer unË ouverture dans la parte latérale de la fourmilière :. cette entreprise leur réussit , et le reste de Parmée pénétra par la brèche dans la cité assiégée. Elle n°ÿ fit pas un long séjour : trois ou quatre minutes après, les fourmis roussâtres ressortirent à la hâte par les mêmes issues, tenant chacune à leur bouch£ une larve ou une nymphe de la fourmilière envahie: Elles reprirent exaciement la route par laquelle elles étoient venues , et se mirent sans ordre à la suite les unes des autres : leur troupe se distinguoit aisément dans le gazon , par l’aspect qu’offroit cett® multitude de coques et de nymphes blanches ; portées par autant de fourmis rouges. Celles-ci érirent une seconde fois la haie et le chem#® dans le même endroit où elles avoient passé d'# bord , et se dirigèrent ensuite dans des blés € pleine maturité > où j'eus le regret de ne pouvoir Les suivre. Je retournai vers la fourmilière qui avoit soulfer! MŒURS DES FOURMIS. 219 cet assaut, et jy trouvai un peut nombre d’ou- Vrières noir - cendrées , perchées sur des brins d'herbe , tenant à leur bouche quelques larves quelles avoient sauvées du pillage; elles ne tar- dèrent pas à les rapporter dans leur habitauon. Ce premier trait de l’histoire des fourmis roussätres , dont j'ignorois alors le véritable nom, mengagea à leur donner celui de fourmis ama- zones , ou légionnaires, fort analogue à leur Caractère martial : je me suis permis de leur Conserver ces dénominations; amsi, quand je Parlerai de fourmis roussätres , amazones , ou légionnaires ,» On saura qu'l s’agit de la même espèce. Je retournai le lendemain, à la même heure, sur la route où j'avois vu passer l'armée des fourmis roussätres, dans lespoir de retrouver quelques traces du phénomène dont javois été témoin, et je déconvris bientôt la retraile d’une de ces hordes belliqueuses. Je vis à la droite du chemin une grande four- milière couverte de fourmis de cette espèce ; elles se disposèrent en colonne, parürent toutes en- Semble et tombèrent sur une fourmilière noir- 214 | RECHERCHES SUR LES cendrée , où elles s’introduisirent presque sans opposition : une partie d’entrelles ressortirent de là, tenant entre leurs pinces des larves qu’elles avoient dérobées; les autres, moins fortunées, ne rapportèrent aucun fruit de leur expédition ; elles se divisérent en deux troupes : celles qui étoient chargées reprirent le chemin de leur demeure; celles qui n’avoient rien trouvé se réunirent et mar- chérent en corps sur une seconde fourmilière noir- cendrée , dans laquelle elles firent un ample butin. L'armée entière , formant deux divisions, se diri- geoit du côté d’où je lavois vue partir. J’arrivai avant les fourmis roussâtres auprès de leur habitation; mais quelle fut ma surprise en voyant à sa surface un grand nombre de fourmis noir-cendrées ? Je soulevai la couche extérieure de l'édifice : il en sortit encore davantage, et je com” mençois à croire que c’étoit aussi une de ces four” milières pillées par les amazones , lorsque je vis arriver à la porte du nid leur légion chargée des trophées de la victoire. Son retour ne causa aucun€ : < : . À alarme aux noir-cendrées ; les fourmis roussätres desceridirent avec leur proie dans les souterrains » “et les noir-cendrées ne parurent point s'y opposer MŒURS DES FOURMIS. 215 j'en vis même quelques - unes s'approcher sans Crainte de ces fourmis guerrières , les toucher de leurs antennes, leur donner à manger, comme celles d’une même espèce le font entre elles ; Prendrequelques-unes de ces larves et les emporter dans le nid. Les fourmis amazones n’en ressor- ürent plus de toute la journée ; les noir-cendrées restèrent encore quelque tems au - re mais elles se retirérent avant la nuit. Jamais énigme ne piqua plus vivement ma cu- rlosité que cette singulière découverte. Je trouvai bientôt, près de chez moi, plusieurs fourmilières du même genre, et je m’étonnai d’avoir été le prémier à reconnoître leur existence : je sentis tout l'avantage de les avoir à ma portée , et je me dé- cidai à leur consacrer tout mon tems. J’étois impatient de connoître les relations de ces deux espèces de fourmis : pour y parvenir, J'ouvris une de leurs fourmilières ; 5 trouvai un très-grand nombre de fourmis roussâtres au milieu des noir-cendrées, et je commencai déjà à acquérir quelques notions sur leurs rapports mutuels. Les noir-cendrées s’occupérent tout de suite à rétablir les avenues de la fourmilière mixte ; elles 516. RECHERCHES SUR LES creusérent des galeries et emportèrent dans les souterrains les larves et les nymphes que j’avois mises à découvert. Les amazones, au contraire, passèrent indifléremment sur ces larves sans les relever, ne se mélèérent point aux travaux des noir-cendrées, errérent quelque items à la surface du nid, et se retirérent enfin, pour la plupart, dans le fond de leur citadelle. Mais à cmq heures de l’après-midi la scène change tout à coup : je les vois sorür de leur retraite ; elles s’agitent, s’avancent au dehors de la fourmilière ; aucune ne s’en écarte qu'en ligne courbe, de ma- nière qu’elles reviennent bientôt au bord de leur nid; leur nombre augmente de momens en mo- mens ; elles parcourent de plus grands cercles : un geste se répète consiamment entr'elles ; toutes ces fourmis vont de lune à Pauire, en touchant de leurs antennes et de leur front le corselet de leurs compagnes ; celles-ci, à leur tour, s’approchent de celles qu’elles voient venir, et leur communiquent le même signal , c’est celui du départ ; l’effet n’e° est pas équivoque : on voit aussitôt celles qui l'ont réçu se meitre en marche et se jomdre à la troupe- La colonne s'organise , elle avance en ligne droïte ; MŒURS DES FOURMIS. 217 se dirige dans le gazon; toute l’armée s'éloigne et traverse la prairie ; on ne voit plus aucune fourmi aämazone sur la fourmiliére. La tête de la légion semble quelquefois attendre que larrière-garde l'ait rejointe ; elle se répand à droite et à gauche sans avancer; l’armée se ras- semble de nouveau en un seul corps, et repart avec rapidité. On n’y remarque aucun chef ; toutes les fourmis se trouvent tour à tour les premières ; elles semblent chercher à se devancer; cependant, quelques-unes d’entr’elles vont dans un sens opposé; elles redescendent de la tête à la queue, puis re- viennent sur leurs pas et suivent le mouvement général; 1l y en a toujours un peut nombre qui retournent en arrière, et c’est probablement par ce moyen qu'elles se dirigent. Arrivées à plus de trente pieds de leur habita- tion, elle s'arrêtent, se dispersent et tâtent le ter- rain avec leurs antennes, comme les chiens flairent les traces du gibier ; elles découvrent bientôt une fourmiière souterraine : les noir-cendrées sont re- tirées au fond de leur demeure ; les fourmis légion- Naires ne trouvant aucune opposition, pénètrent dans une galerie ouverte : toute l’armée entre suc- 218 RECHERCHES SUR LES cessivement dans le nid, s'empare des nymphes; et ressort par plusieurs issues : je la vois aussitôt réprendre la route de la fourmilière mixte. Ce n’est plus une armée disposée en colonne, c’est une horde indisciplinée : ces fourmis courent à la file avec rapidité ; les dernières qui sortent de la foumilière assiégée sont poursuivies par quelques- uns de ses habitans , qui cherchent à leur dérober leur proie ; mais il est rare qu'ils y parviennent. Je retourne vers la fourmilière mixte pour être encore témoin de l'accueil fait à ces spoliatrices par les noïr- cendrées avee lesquelles elles ha- bitent, ei je vois une quantité considérable de nymphes amoncelées devant la porte ; chaque ama- zone y dépose son fardeau en arrivant, et reprend la route de la fourmilière envahie. Les noir-cen- drées , quittant leurs travaux en maçonnerie, vien- nent relever ces nymphes les unes après les autres; et les descendent dans leurs souterrains ; je les vois même souvent décharger les fourmis roussâtres après les avoir touchées amicalement avec leurs antennes, et celles-ci leur céder sans opposition les nymphes qu’elles ont dérobées. à ° D « Suivons encore la troupe pillarde : elle retourne GE A A 5 oO gene — —æ MŒURS DES FOURMIS. 219 à Passaut de la fourmilière qu’elle a déjà dévastée ; Mais ses habitans ont eu le tems de se rassurer et de placer de fortes gardes à chaque porte. Les lé- Sionnaires , en trop petit nombre d’abord , fuient lorsqu'elles voient les noir-cendrées en défense; elles retournent vers leur troupe , s’avancent et. 'eculent à plusieurs reprises, jusqu’à ce qu’elles se sentent en force ; alors elles se jettent en masse sur une des galeries, chassent , mettent en déroute les noir-cendrées ; toute l’armée s’'introduit dans la cité souterraine et enlève une grande quantité de larves qu’elle emporte à la hâte; mais on ne voit jamais les amazones emmener de prisonnières ; ce n’est point aux fourmis qu’elles en veulent, c’est à leurs élèves. À leur retour dans la fourmilière mixte, les ama- Zones recoivent encore le meilleur accueil : leurs oir - cendrées ont serré la première récolte : Chaque fourmi pose de rechef sa nymphe à l’entrée de lhabitation, ou la remet immédiatement à quelques noir-cendrées, et celles-ci s’empressent de les emporter dans l’intérieur du nid. Croiroit-on que ces intrépides gnerrières retour- _ Nèrent une troisième fois au pillage ! Maïs elles 220. RECHERCHES SUR LES eurent à entreprendre un siége dans les formes: car les fourmis auxquelles elles avoient enlevé à deux reprises leurs larves et leurs nymphes, s’étoient hâtées de se retrancher , de barricader leurs portes» et de renforcer la garde intérieure ; comme SL elles eussent prévu une troisième attaque de la part des mêmes ennemies : elles avoient rassemblé tous les morceaux de bois et de terre qui s’étoient trouvés à leur portée, et les avoient accumulés à l'entrée de leurs souterrains , dans lesquels elles étoient en force. Mes légionnaires n’osent d’abord en approcher ; elles rôdent à l’entour ou retournent en arrière , jusqu’à ce qu’elles soient suffisamment escoriées : le signal se communique dans la troupe; elles avancent en masse avec une impétuosité extraordinaire , et lorsqu'elles sont parvenues sur la fourmilière ennemie, elles écarient avec leurs dents et leurs pates les obstacles qui se présentent ; 5€ précipitent dans l’ouverture , malgré la résistance des noir-cendrées , et pénètrent par centaines dans la fourmilière. Elles en ressortent, emportant fière ment leur buun, et arrivent en corps à leur hab1- tation ; mais cette fois , au heu de remettre à leurs a _ ° y É + . . associées le fruit de leurs rapines, elles l’introduisent ee DS RSR er edf M à TE MŒURS DES FOURMIS. 221 tllesmêmes dans les souterrains, et n’en ressortent Plus de tout le : jour. $ Le 23, à trois heures et demie , Île soleil étoit rès-ardent ; quelques fourmis amazones sortirent de leur retraite, se promenérent aux environs, et Tentrérent aussitôt ; un moment aprés , d’autres en Petit nombre vinrent encore respirer à l'entrée d’une galerie ; elles se tenoient le plus souvent à la porte imtérieure de la fourmilière , et parois- soient attendre le moment favorable pour com- mencer leur expédition : à cmq heures moins un Quart elles sortirent en foule du nid et s’agitèrent _ £n tous sens; une partie d’entr’elles s’avancoient déjà dans la prairie , laissant les autres sur Ja four- Milière ; mais quelques-unes revenant en arrière Par l'effet de cette tactique que nous avons déjà remarquée , arrivèrent sur le nid, donnèrent le signal du départ en s’approchant tour à tour de toutes les fourmis qui s’y trouvoient encore; et aussitôt celles-ci se mirent en route et rejoignirent le corps d'armée. La troupe belliqueuse prit une direction dif- férente de celle qu’elle avoit suivie la veille £ Mas elle s'arrêta bientôt ; les amazones se répan- 222 RECHERCHES SUR LES dirent de tous côtés, et parurent chercher une four- milière ; n’en ayant pas trouvé, elles continuérent leur route , et ce ne fut qu’à plus de cinquante p® de leur habitation qu’elles en découvrirent une ; cachée sous le gazon. Les noir-cendrées , effrayées par l'arrivée imprévue et par le nombre des ama” zones , prirent la fuite, et celles-ci, après avoir fait un ample buun de larves et de nymphes, re” tournérent dans la fourmilière natale; mais elles en ressortirent bientôt et reparürent d’un côté opposé, en troupe plus nombreuse que la première fois : elles firent encore une longue route , pas” sèrent sans s'arrêter sur plusieurs fourmilières d’es péce différente des noir-cendrées ; trouvèrent enfin une de ces dernières , y pénétrèrent en force , ets comme à l'ordinaire, revinrent chargées de nymphe et de larves. Tous les jours, pendant l'été, je fus témoin de.ces invasions dont j'aurai encore souvent l’occasion de parler. D ee MŒURS DES FOURMIS. 2923 Re CHAPITRE VIIï. RECHERCHES SUR L'ORIGINE DES FOURMILIÈRES MIXTES. Roc peu d’avoir découvert ces sociétés Composées de différentes espèces qui sembloïent Vivre paisiblement ensemble ; ; il falloit pénetrer le mystère de leur association ; apprendre dans quel but cellés étoient-rénries > et surtout décider à la- quelle des deux castes appartenoït la fourmilière. Le moyen le plus sûr pour s’en instruire étoit de Visiter l’intérieur de leur habitation commune et de s’assurer si les unes et les autres avoient des Mäles et des femelles, ou si l’une des deux en étoit Privée; mais il falloit auparavant comparer ces fourmis alliées et rivales , les amazones et les Paisibles noir-cendrées , les noir-cendrées des four. Milières mixtes, et celles des foyrmilières en- VYahies : c’est ce dont nous allons nous occuper. La comparaison, je dirai même la confrontation des fourmis noir-cendrées de la fourmilière mixte avec celles des fourmilières noir-cendrées simples , tépéiée chaque jour, et souvent le microscope à 224 RECTHERCHES SUR LES la main, ne me laissoit aucun doute sur leur identité. | Venons aux fourmis amazones , appelées rous- sâtres par M. Latreille , et dont la description se rapporte sur tous les points à celles que j'ai obser- vées. Cet auteur ayant fait, non-seulement un genre à part, mais une classe distincte des fourmis rous- sâtres, sur la simple inspection de leur forme, avoit; sans connoître les mœurs de ces insectes, donné la meilleure preuve de la distance qui les séparé des fourmis noir-cendrées. On pourra comparer ; à IA fin de cet ouvrage, la descripüon de l’une et de Vautre, dont je ne donnerai ici qu’une notice suffi sante pour qu'on ne soit pas obligé d'y recourir. La fourmi roussätre est d’un tiers plus grande que la noir-cendrée ; sa tête est carrée ; son abdomen; court et globuleux, finit en pointe obtuse; elle porte la tête tournée contre terre ; elle est haut£ sur jambes et marche par secousses. La noir-cen” drée à la tête triangulaire ; elle la porte horizon” talement ; son abdomen est ovoïde, alongé; 5 pates sont moins longues : elle marche avec égalité- La fourmi roussätre est d’une couleur uniforme depuis les antennes jusqu’à l'extrémité de lPabd0- men MŒURS DES FOURMIS. 295 men , d'un rouge plus ou moins jaunâtre , plus ou Moins brun, suivant l'âge ; tout son Corps est comme enduit d’un vernis luisant. | La noir-cendrée est assez bien désignée par cette dénomination , car les anneaux de son corps sont un peu changeans du noir au gris; le reste du corps est d’un noir mat: létranglement est le plus souvent de la même couleur; mais il présente quelquefois une légère teinte de fauve : les paies sont un peu plus päles Les mandibules de la fourmi roussâtre sont très- minces, arquées, sans dentelures, et nullement Concaves ; celles de la noir-cendree sont grandes £: larges , épaisses , cretsces set: cils : : allées en : forme de gouge , et dentelées à leur bord. Les yeux de la première sont très-petits, noirs - et ronds; tandis que ceux de la dernière sént assez grands , ovales et alongés. DE écaille est grande , arrondie dans lune; grande et triangulaire dans l’autre ; enfin la fourmi rous- Sâtre est pourvue d’un aiguillon , la noir-cendrée ven possède point. | On voit par ce parallèle combien ces deux es- Pèces différent l’une de lautre. Passons à la Be 15 226 RECHERCHES SUR LES. cherche importante des mâles et des femelles, pour savoir lesquelles, des amazones ou des noir-cen- drées, sont les maîtresses du logis ; car 1l est évident que celles qui naïssent dans la fourmilière doivent êtré considérées comme premières occupantes. L'intérieur des fourmilières mixtes que je mis graduellement à découvert, me fit bientôt con- noître la composition singulière de ces républiques: Les ouvrières noir-cendrées étoient les plus non breuses dans la partie supérieure du bâtiment ; elles gardoient une multitude de nymphes qui: observées avec attention, paroïssoient être de deux espèces différentes : les unes ressembloient entièrement à celles des fourmis noir-cendrées. N'étoit-ce point celles que les amazones avoient apportées ? Les autres offroient le moule parfait des fourmis guerrières; elles étoient plus grandes que les précédentes ; elles ayoient les mandibules arquées, minces , étroites ; de peuts yeux noirs: et tout ce qui pouvoit caractériser cette espèce On vOyoIt aussi sous la garde des fourmis cendrées une grande quantité de larves appartenant évident” ment à des espèces différentes, et faciles à distimguer par la courbure et épaisseur de leur Corps. : ; MŒURS DES FOURMIS. 227 Plus bas, je commençai à voir les fourmis légion- haïres réunies en groupes nombreux, et mélangées avec les noir-cendrées ; mais ce qui m’intéressoit le plus, et ce qui satisfit pleinement ma curiosité, ce fut de trouver au milieu d’elles de petits mâles tout noirs avec des ailes brillantes, et qui ne res- sembloient à aucun de ceux que j'avois vu jusqu’a- lors ; enfin de grandes femelles d’un jaune-orangé, dont les rapports avec les fourmis roussâtres ne me permirent pas de douter qu’elles ne leur ap- parunssent : la plupart de ces femelles avoient des ailes ; leur corps, leurs yeux et leurs dents étoient _ parfaitement semblables à ceux des ouvrières bel- \ liqueuses ; : mais ils étoient sur une plus grande échelle. Les mâles , comme je l'ai déjà dit, étoient beaucoup plus petits que ceux que J'avois trouvés dans les fourmilières noir-cendrées simples, et n’avoient ni les antennes, ni les pates jaunes comme ces derniers. Voyez Fig. 2, 5 et 4, PI. II. En continuant à examiner Pintérieur de ce nid, qui étoit trés-profond et très-large, je remarquai que les seules noïr-cendrées s’occupoient de ces femelles et de ces mâles d’une: espèce différente de la leur, et que ceux-ci se laissoient conduire J 228 RECHERCHES SUR LES par les ouvrières noir-cendrées, comme si elles eussent été leurs nourrices naturelles : les ama“: zones n’en prenoient aucun soin; elles se reti- roient ou se cachoiïent dès qu refles le pouvoient: J e n’aperçus d'alléurs audine trace-de destruction , et rien qui püt jusufier le soupcon que les fourmis légionnaires eussent un instinct féroce , quoiqu’on eût peut-être été porté à le croire, d’après leurs. inclinations guerrières. Il me paroît démontré, par lexposé du con-- tenu de la fourmilière mixte , gw’elle appartient à la nation amazone ; qu’elle est composée des trois sortes d'individus de cette espèce , et des ouvrières noir-cendrées ; car, avec quelque soin: que j'aie cherché à découvrir des mâles et des fe- melles de cette caste dans les fourmilières mixtes ; . je n’en ai jamais trouvé aucuns ; jy ai vu cependant beaucoup de jeunes ouvrières noir-cendrées , que. je reconnoissois à leur couleur. Mais d’où prove- nôïent-elles ? Ces larves et ces nymphes enlevées aux noir-Cendrées par les amazones, se dévelop peroient-elles donc dans la fourmilière ennemie, et deviendroient-elles lesmenagères, les auxiliaires des insectes belliqueux auxquels elles sont associées ?- MŒURS DES FOURMIS. —- #9ÿ Tout concourt à prouver que c’est là le grand Mystère de leur réunion avec les fourmis ama- Zones : élevées au milieu d’une nation étrangère, non-seulement elles vivent paisiblement avec leurs ravisseurs , mais elles donnent tous leurs soins aux larves de ces fourmis, à leurs nymphes, à leurs femelles > à leurs mâles, à elles-mêmes enfin ; elles les transportent d’une parue de la fourmilière dans une autre, vont pour elles aux provisions , les nourrissent , bâtissent leur habitation > Creusent, dans l’occasion, de nouvelles galeries , et gardent encore l'extérieur du nid, sans se douter qu’elles soient chez les insectes qui les ont enlevées À leur patrie. Tandis que les amazones, tranquilles au fond de leurs souterrains ,» attendent l’heuré du départ, et réservent toutes leurs forces, leur Courage et la tactique qu elles savent mettre en usage | pour aller chercher, dans une fourmilière voisine » des milliers de larves qu’elles confient à leurs mena- géres, et qui deviennent, à leur tour, utiles à la communauté. Les fourmis dont javois ‘dérangé l'habitation me fournirent déjà quelques traits propres à me färe soupconner ces vérités. Quand les amazones { 230 RECHERCIHES SUR LES trompées par le nouvel aspect de leur nid erroient à sa surface sans savoir trouver une retraite, les noir-cendrées , qui s’occupoient incessamment à pratiquer des galeries, et qui connoissoient mieux qu'elles les nouvelles localités de la fourmilière ;, les tiroient d’embarras en les prenant par leurs mandibules , ‘et en les conduisant doucement dans les galeries déjà percées : souvent on voyoit une fournn amazone s'approcher d’une noir-cendrée, faire mouvoir ses antennes sur la tête de celle-ci; qui la prenoit aussitôt entre ses pinces et la trans- portoit à l’entrée d’un souterrain, où elle la dépo: soit; lamazone se dérouloit, sembloit caresser de ses antennes la fourmi noir-cendrée, et rentroiït dans l’intérieur de la fourmilière. Quelqnefois la fourmi cendrée qui portioit Vamazone paroissoit méconnoître sa route ; elle érroit çà et là, sans savoir trouver la porte d’une galerie : après plusieurs tours et détours infruc’ tueux , elle prenoït le parti de poser à terre la four mi guerrière, qui resioit à la même place jusqu’à ce que la noir-cendrée revint la chercher : pendant ce tems, celle-ci alloit jusqu’au bord du trou» 3 CET FFE , qu'elle reconnoissoit alors plus aisément, et apré® MŒURS DES FOURMIS. | 251. lavoir bien examiné , elle retournoit vers lama zone, la prenoit par ses mandibules et la portoit dans l’intérieur du nid. Ailleurs, l'entrée d’une galerie étoit-elle dbstœuc, Par un amas de terre, la fourmi noir-cendrée qui vouloit y introduire une amazone l’amenoit jus= qu’au bord, la déposoit , alloit dégager le passage , et revenoit la prendre pour la conduire au fond du souterrain. . Si des faits parüculiers prouvent l'harmonie qui règne entre ces deux espèces de fourmis, vivant ‘sous le même toit, les généralités confirment plei- nement ces premières données. | L'aspect des fourmilières mixtes annonce déjà | qu’elles sont l’ouvrage des fourmis noir-cendrées, quoiqu’elles soient beaucoup plus étendues que les fourmilières cendrées simples, à cause de leur double population , et surtout du nombre pro- digieux de fourmis auxihaires qu’elles contiennent : | leur forme , le genre d'architecture qu’on y re- marque , la matière dont elles sont composées , la distribution intérieure , tout en est semblable. Jai vu constamment les fourmis noir-cendrées des fourmilières mixtes profiter des pluies pour cons- 2352 RECHERCHES SUR LES | truire de nouveaux étages au-dessus de leur domi- ile; elles en augmentoient souvent l’étendue ; en élevant des salles et des cases au bord de la fourmilière; quelquefois , en 1rois ou quatre jours; elles formoient, pour ainsi dire , tout un faubourg à l’extérieur de la première enceinte, Les légionnaires , bien différentes des noir-cen- drées, ne sortent jamais par la pluie; elles ne viennent pas même alors à l’entrée de leurs souter- rains ; on n’en voit aucune présider aux travaux de leurs maçonnes, comme on pourroit le supposer ; les noir-cendrées n’ont besoin ni de surveillans , mi d'aiguillons pour se mettre au travail ; elles se hâtent de bâür pendant les pluies , et leur ouvrage avance trés-rapidement » parce que leur nombre est infiniment plus considérable que celui des ouvrières d’une fourmilière simple. Leurs travaux achevés, les fourmis noir-cendrées semblent impatientes d’en faire jouir leurs légion- naires ; on les voit bientôt transférer toute la peuplade de Pancien quartier dans le nouveau. Mais si l’on veut voir un spectacle plus curieux «&ñcore , il faut les observer lorsqu'elles veulent quitter leur domicile et s’en former un plus con- ” MŒURS DES FOURMIS. 233 Venable; car c’est à elles qu'il appartient de dé- cider de l'urgence d’une émigration, et de choisir un site propre à Petablissement de la fourmilière : ‘on les voit d’abord se porter les unes les autres dans le lieu qu’elles destinent à cet objet; c’est or- dinairement quelque place facile à miner ;: chaque noir-cendrée déposée en cet endroit par les recru- teuses , s'occupe à y creuser une cavité, ou retourne chercher ses compagnes dans l’ancien nid : elles n’attendent pas que le nouveau soit bien avancé Pour y transporter les fourmis amazones. On voit alors, dans le chemin qui communique entre l’ancienne et la nouvelle cité, une file de noir-cendrees chargées de fourmis légionnaires, dont la couleur contraste avec celle de leurs con- ductrices; les femelles et les mâles sont amenés de la même manière par ces fidèles gouvernantes : arrivés à l’entrée du logement qui leur est préparé, Us sont déposés successivement devant la porte, et là d’autres noir-cendrées viénnent les prendre Par leurs mandibules pour les conduire dans linté- rieur du nid. Quand tous les individus de la four- Milière sont transportés, les larves et les nymphes Le sont à leur tour, et toujours par le soin des infa- 234 RECHERCHES SUR LES tigables noir-cendrées. Ce sont elles qui sortent dès le matin de la fourmilière, et vont au loin cher- cher des vivres pour toute la peuplade ; tantôt elles rapportent de petits animaux morts ; tantôt elles reviennent l’estomac rempli de la liqueur que leur fournissent les pucerons. On en voit constam- _ment aller et venir sur le chemin de la fourmilière; mais On n’aperçoit jamais aucune fourmi légionnaires | aller à la recherche des pucerons; 1l est même trés=. rare qu'il en sorte quelques-unes dans la maunée- Voilà donc les auxiliaires en possession de fournir des vivres à la république ; de construire la de- meuré commune , et d'y conduire des habitans; _ tandis que les amazones , peuple de soldats, n’ont au contraire d'autre occupation et d’autre talent. \ que celui de la guerre. Elles ont des mœurs à part; on ne les voit jamais sortir de leur retraite ; que la température de l'air ne soit au-dessus de 16 degrés du thermomètre de Réaumur (en Ie supposant placé à l'ombre). Le rendez-vous general est ordinairement un peu avant cinq heures de l'après-midi; je les ai vues cependant quelquefois | partir plus tôt, mais jamais avant deux heures, ni plus tard que cinq : elles sont toujours de retour À MŒURS DES FOURMIS. 235 six heures ou six heures et demie, et ne sortent que lorsque le tems est beau. CPS { : Ces insectes n’ont qu'un seul objet dans leurs excursions, celui d’enlever des fourmis, pour ainsi dire encore au maillot, chez un peuple laborieux, et de sen faire des ilotes qui travaillent pour eux, qui élèvent leurs petits et leur fournissent des vivres; c’est pour cela qu'ils ne s'emparent jamais que des larves ou des nymphes d’ouvrières : les mâles et les femelles ne leur seroient bons à rien; d’ailleurs la nature n’auroit sûrement pas permis la destrucüon des fourmilières noir-cendrées, | Qui auroït entraîné celle des fourmilières amazones. Ces fourmis guerrières connoissent toutes les fourmiliéres noir-cendrées de leur voisinage; elles les visitent tour à tour ; elles varient chaque jour de direction, et, comme nous l'avons déjà dit, elles pillent quelquefois le même nid à plusieurs reprises; mais elles ne détruisent point les four- milières auxquelles elles enlèvent une partie de leurs peuts : il périt très-peu de noir- dicen dans ces combats , Œu mont jamais pour but de faire des prisonniers, ou de disputer la possession D de la cité envahie. 256 _ RECHERCHES SUR LES J'ai vu quelquefois leur colonne se diriger dans un sens, revenir presqu'aussitôt sur.le nid, et repartir d’un côté oppose. Il leur arrive aussi, ‘mais plus rarement, de se diviser en deux troupes; ei de marcher de deux côtés différens. Alors la plus petite bande s'aperçoit qu'elle west pas com“ plète ; on Ja voit retourner sur ses pas et rejoindre l'armée : si elles sont également fortes , elles vont piller chacune séparément, et reviennent à la fourmilière chargées de butin; car ce n’est pas ‘tant par leur force réelle que par leur impétuosité, qu’elles réussissent à effrayer les noir-cendrées : jai vu une armée, composée au plus de cent cinquante amazones, pénétrer dans une fourmi- liére cendrée, et rapporter des nymphes dans la fourmilière mixte. | Par quelle raison se décident-elles à prendre une certame route, à tomber sur telle fourmi- lière plutôt que sur telle autre ? Il me seroit impossible de le décider. J'ai vu cependant quel- quefois une fourmi légionnaire sorür du nid avant Pheure du départ : elle sembloit aller à la dé- couverte; je la suivois long-tems dans le gazon; elle visitoit tous les coins un peu arides et qui 0 ‘ MŒURS DES FOURMIYS. 237 Paroissoient annoncer l'existence d’une fourmilière, Mais je la perdois de vue avant son retour. D’autres fois j'en ai vu revenir seules d’une course loin- taine, et rentrer précipitamment dans la four- milière ; aussitôt l’armée se rassembloit hors des SOuterrains , êt se mettoit en marche du côté : 2 \ s d’où l’espion étoit arrivé; cependant je ne saurois : affirmer que leur départ en füt Ja conséquence, Leur signal est très-varié : tantôt c’est avec leurs mandibules, tantôt avec le front qu’elles se heurtent avant de se mettre en marche : c'est quelquefois par le jeu de leurs antennes qu’elles paroïssent exciter cêtie ardeur guerrière parmi leur Compagnes; maIs n'est-ce point aussi au moyen de ces’ différens gestes qu’elles s’indiquent mutuellement la diree- üon qu’elles doivent prendre ? car elle paroît être fixée au moment du départ , et l’armée va ordinai- rement droit au but. Ce qu'il y a de très-remar- quable dans leur drdre; c’est qu'aucune des fourmis qui composent la troupe 1e court constamment dans le même sens ; à mesure qu’elles arrivent à la tête de la colis » elles font un petit circuit en forme de boucle > €t renirent dans le Corps d'armée ; puis, comme nous l'avons dit plus haut, 238 RECHERCHES SUR LES elles reviennent jusqu’à l’arrière-garde pour donner la direction à celles qui se trouvent les dernières: Le front de l’armée est toujours de huit à dix fourmis qui semblent chercher à se devancer, mas dès qu’elles ont dépassé leurs compagnes, elles rentrent dans la foule; ainsi, leur avant-garde “éprouve un renouvellement continuel. Je n’ai jamais vu de femelles amazones dans ces armées; les neutres seules s’exposent, ici comme dans les autres espèces, aux hasards de la guerre: Ces fourmis ne marchent point en tâtonnant ; elles courent à la suite de leurs compagnons d’armes;, sans paroître craindre de s’écariter un peu de la route : quand elles s’égarent, ce qui leur arrive assez rarement, elles sont ramenées à la fourmilière par quelques noir-cendrées , qui les découvrent et paroissent comprendre leur position. J’ai vu un seul exemple où leur armée parut s’être trompée dé route. Elle se mit en marche comme à l’ordinaires mais au lieu de suivre une ligne droite, elle décrivit une courbe, et alla à plus de cinquante pas, en s'arrêtant à plusieurs reprises. Ces insectes, aprés .S’être répandus de tous côtés sans trouver de four- milières cendrées, se rassemblérent et retournèrent MŒURS DES FOURMIS, . 239 dans leur habitation par le même chemin, sans avoir retiré aucun fruit de leur expédition. La décision qu'ils prirent, de revenir sur leurs pas, fourniroit une ample matière aux réflexions : je ne m'étendrai pas à présent sur ce sujet, et je me bornerai seulement à demander comment s’ex- plique ce fait, dans la supposition d’un instinct aveugle? Mais voici un trait encore plus extraor- dinaire. 5 À leur retour, nos amazones furent très-mal recues par les noir-cendrées de la fourmilière mixte ; elles furent assaillies individuellement par les auxiliaires , Qui les üraïllèrent , les entraînèrent hors du nid , et les obligèrent même à se défendre. Mais cette disposition hostile ne dura que peu de momens , après quoi les amazones rentrèrent pai- Siblement dans leur demeure. Les noir-cendrées étoient-elles surprises de les voir arriver sans les coques qu elles apportent à l'ordinaire, et ces objets seroient-ils à leurs yeux des passeports pour les fourmis auxquelles leur sort est lié ? Les légionnaires ne sont point carnassières ; j'ai Souvent jeté au milleu de leur armée quelques insectes vivans , tels que des chenilles et des vers; 240 RECHERCIIES SUR LES _ jamais aucune d’elles n’essayoit de les attaquer. J'ai mis à leur portée des morceaux de viande cuite, et: crue ; elles s’en détournoient avec indifférence , et les noir-cendrées s’en émparoïent à l'instant. Un autre essai que jai souvent répété , étoit de mettre ma main au travers de l’armée lorsqu'elle étoit en marche : .les amazones passoient entre mes doigts fort tranquillement, et sans s’alarmer de ma présence ; aucune d’elles ne cherchoit à me pincer : on ne metiroit pas impunément à la même épreuve toute autre espèce de fourmis. Je ne leur ai vu prendre de nourriture que de la bouche même des fourmis noir-cendrées ; je leur ai vainement présenté du miel et des fruits , cles n’y touchèrent jamais : mais quand elles avoient faim , elles s ap= prochoient des auxiliaires, et celles-ci leur dégor- geoient dans la bouche les sucs qu’elles rappor- ioient de leurs courses journalières auprès des pucerons. | ,- Une expérience que je fis sur les légionnairés me convainquit de la dépendance où elles sont de leurs humbles compagnes , et pour la nourriture » et pour lhabnation. Jenfermai trente fourmis lé- gionnaires, avec des nymphes et des larves de leur espèce ; MŒURS DES FOURMIS. 241 éspèce , et une vingtaine de nymphes noir-cen- | drées , dans une boîte vitrée, dont le fond étoit recouvert d’une épaisse couche de terre + versai un peu de miel dans un coin de leur prison, et Jeus soin de ne point leur associer de fourmis auxiliaires. Elles parurent d’abord faire quelque attention à ces larves ; elles les emportèrent çà et là, mais les reposèrent bientôt : la plupart d’entr’elles moururent de faim en moïns de deux jours. Elles n’avoient pas cherche à se construire une loge dans la terre ; le peu de fourmis qui restoient encore en vie étoient languissantes et sans forces. Jen eus piüé, et je leur donnai une de leurs compagnes noir-cendrées. Celle-ci, toute seule, rétablit Pordre, fit une case dans K terre , y rastembla les lärves, développa plusieurs jeunes fourmis des deux éspèces qui étoient prêtes à sortur‘de Pétat de nyimiphe , et conserva la vié aux amazones qui subsistoient en- core. Ce résuliat n’a pas besoin de'commentaire : je laisse à chacun la liberté d’en tirer des conclusions. 242 RECHERCTIES SUR LES CHAPTIRE EX. NOUVELLES CONSIDÉRATIONS SUR LES FourMIs AM AZONES. Ds falloit encore quelque preuve de lorigine des fourmis auxiliaires dans les fourmilières mixtes la découverte d’une nouvelle espèce de fourmilières composées Jetteroit sans doute un grand jour sur cetie question.” Il n'y avoit pas long-tems que J° en occupois des mixtes-noir-cendrées, lorsque 3€ trouvai les mixtes - mineuses : les amazones en étoient les mêmes; les auxiliaires seules étoient différentes. Les fourmis mineuses, qui bâtissent à la manière des noir-cendrées , Aout j'ai déjà parlé dans Je -chapitre de l’archiiecture,:sont un peu plus grandes qu’elles ; leur aspect n’en-diffère que par la couleuf du corselet et de l’eiranglement, qui. sont d'u rouge vif; les pates et les antennes sont aussi ro” geâtres ; le reste de leur corps ressemble beaucotP à celui des noïr-cendrées , mais la véritable diflé- rence de ces deux espèces réside dans leur cara0” ière. Les mineuses sont vives, Carnassières, € MŒURS DES FOURMIS. 245 très-courageuses ; tandis que les noïr-cendrées sont timides et pacifiques. Aussi ce ne fut pas sans éton- nement que je vis pour la première fois une four- milière composée de fourmis légionnaires et de mineuses ; elle étoit au moins trois fois aussi grande que les fourmilières mineuses simples , et contenoit Un grand nombre d’habitans des deux castes. 11 régnoit entre les individus de cette société la même intelligence que dans celles que javois ob- Servées précédemment. Les fourmis mineuses sor- toient en foule depuis le matin jusqu’au soir, pour aller butiner dans la campagne, et rapportoient des vivres dont elles faisoient part aux maîtresses du logis. Celles-ci étoient tout aussi paresseuses que celles des fourmilières mixtes-cendrées. Les - Mineuses bâtissoient seules.les étages de leur habi- lauon, et transportoient, les fourmis roussâtres , leurs nymphes ; leurs larves, :et le reste de la peu plade , lorsqu'elles vouloient changer d'habitation : tlles étoient, en un mot, aussi bonnes ouvrières ; Que les noir-cendrées, et beaucoup plus empres- À Sées à défendre leur nid. 5 Si l’existence des fourmilières mixtes étoit due à . A! s 4 l'enlèvement des nymphes, les excursions des 244 RECHERCHES SUR LES fourmis légionnaires devoient avoir pour objet les AS « tree 2 ATOTÉE fourmilières mineuses, quand leurs associées éto1eP e « , PES à ANTOMÉÉ mineuses; et noir-cendrées, quand elles vivoié? TT NL MP À 7 RER ee su : i sé RTE ut avec des fournis de cette espèce. n’y avoit, aux énvirons de la fourmilière mixtt ET: dont je viens de parler, aucune habitation de non” cendrées, à plus de cmquañte pas à la ronde ; mais; en échange, les fourmilières nineuses y étoient très” multiphiées : c’étoit déjà une raison de croire que les fourmis de cette espèce qui vivoient au miliet des amazones, tiroient leur origine de ces diffé rentes peuplades. Pour m’en assurer, je me rendis à l'heure où ces cohortes $e mettent en marche» c'est-à-dire entre 4 et 5 héures de l'après-midi ) près de la fourmilière mixte-mineuse. Les ama- ZONES étoient déjà rassemblées sur le nid, et prêtes à partür : ellés se mirent en route et se répandirent comme un torrent le long dun fossé profond. Elles marchoïent plus serrées qu’à lordinaire , ‘et ave£ une rapidité étonnante. Elles arrivèrent bientôt à l'entrée du nid qu’elles se proposoient d'attaquer * c’étoit une fourmilière mmeuse. Dès que les légion” naires .commencerent à sintroduire dans la cité souterraine il en sortit une foule de mineuses ; MŒURS DES FOURMIS. 245 dont les unes les assaïilhrent avec furie , tandis que les autres passèrent au milieu d'elles, emportant à leur bouche leurs larves et leurs nymphes. La sur- face du nid fut quelque tems le théâtre de la mêlée; les légionnaires éioient souvent dépouillées des nymphes qu’elles emportoiént : les mineuses les leur arrachoient , s’élançoient sur elles, les com- battoient corps à corps, ‘et leur disputoient le ter- rain avec un acharnement dont je n’avois pas encore vu d'exemple: | Néanmoins , l’armée amazone , qui avoit pénétré avec tant d’impétuosité dans la fourmilière , se remit en marche en bon ordre , toute chargée des nymphes et des larves qu’elle avoit enlevées ; mais au lieu d'aller à la file, elle se tenoit serrée, et ne formoit qu'une seule legion; précaution d'autant plus nécessaire que les insectes courageux chez lesquels elle avoit fait cette incursion, se mirent à ça poursuite et la harcelèrent jusqu’à dix pas de la fourmilière mixte. Pendant ces combats, la fourmilière pillée offroit En peut le spectacle d’une ville assiégée ; des cen- taines de mineuses s’éloignoient de leur patrie , emportant çà et là les nymphes, les larves et les DS 240 RECHERCHES SUR LES jeunes femelles qu’elles vouloient soustraire au pillage ou à la fureur de leurs ennemies. La plupart grimpoient sur les plantes environnantes, avec leurs larves entire leurs dents; d’autres les réunissotent les RC ce AE CS ST sous des buissons épais ; mais quand le danger fut ph: Te entièrement passé, elles les ramenèrent dans leur cité, dont elles barricadèrent les portes, et près de laquelle elles demeurérent en grand nombre, pouf en garder l'entrée. Cependant tout étoit calme sur la fourmihière mixte ; les amazones étoient rentrées paisiblement duns leur demeure, et avoient éte reçues des fourmis auxiliaires comme les maîtresses du logis. Je les vois repartir aussitôt en colonne serrée; elles se dirigent sur une fourmilière mineuse des plus considérables , et sont en état de se mesurer avec les gardiennes de cette habitation ; elles se jettent en foule dans une des galeries qu’elles trouvent mal gardée ; mais leur nombre ne leur permettant pas d'entrer toutes à la fois, les mineuses, qui étoient au dessus de la fourmiliére, se précipitent sur les étrangères ; et tandis quelles combattent :en deses” Pérées, une foule iinombrable de leurs conci- _ioyennes, perdant peut-être l'espoir de défendre MŒURS DES FOURMIS. leurs foyers et les peuts dont la garde leur est confiée, sortent du nid, emportant avec elles les nymphes, les larves et les plus jeunes fourmis : on les voit fuir de toutes parts, et leur multitude couvre toute la surface du sol à plusieurs toises de la fourmihère. À chaque instant , la mêlée devient plus chaude: ici les amazones tâchent de saisir les nymphes que les mineuses veulent dérober à leurs déprédations ; là ce sont les assiégées qui dépouillent les vainqueurs du fruit de leur rapine : tout est en confusion ; lé- gionnaires et mineuses s’attaquent avec impétuosité, et souvent, dans leur fureur, se trompent d’ objet et tombent sur leurs compagnes, qu’elles relàächent aussitôt. Tout cela se passe à l’arrière-garde des légionnaires; cependant une grande parte de leur armée, chargée de buun, sort des souterrains qu’elle a dévastés, et retourne en bataillon carré dans la ville patalés toujours assaillie par les mineuses qui la suivent encore fort loin de leur habitation. Ce n’est que par leur adresse, la rapidité de leurs mouve- mens et l'usage de leur aïguillon que les amazones parviennent à se dégager de leur poursuite. Ja souyent remarqué, pendant ces combats, des fe- Rd De pee SRE 2 ne r Es 4, - Ÿ \ sr a SEE ET & ke 4 p ns dog clé 248 RECHERCHES SUR LES melles mineuses s'enfuir emportant des nympbhes à leur bouche , comme de simples ouvrières; mais elles ne se mélent point de la défense du md. 4 Ce pillage et ces combats ne duroient pas long- tems; en moins d’un quart d'heure les amazones reprenoient la route de leur domicile, et, malgré le courage et l’acharnement des deux partis , il 0°ÿ périssoit qu’un très-petit nombre de fourmis. Cette scène, brillante dans sa petitesse, se renou- veile toutes les fois que les amazones trouvent la température convenable pour leur départ; les nymphes qu’elles ont enlevées se développent, et, ne eonnoissant pas leur véritable famille | donnent (comme les noir-cendrées des fourmilières mixtes) tous leurs soins aux larves et aux nymphes de leur patrie adopuve. Voilà donc deux sortes de fourmis auxiliaires trés-disunetes ; dont la figure et le caractère ne se ressemblent point: c’étoit une occasion bien favo- _rable pour éclaircir la question relative à la compo siuon de la fourmilière. Si nous ne trouvons dans les fourmilières mixtes-cendrées et mixtes-mineuses que des femelles et des mâles d’une même espèce, Ê < 4 \ il faudra en conclure qu'ils n’appartennent nt 4 MŒURS DES FOURMIS: 249 Pune ni à Fautre des fourmis auxihaires, mais uni- quement aux amazones. Or, ceux que je vis portés en plusieurs occasions par les ouvrières mineuses, de ce nid-là dans leurs déménagemens , étoient abso- lument semblables aux petits mâles et aux grandes femelles des fourmilières mixtes-cendrées, et jen cherchai vainement d’autres dans leur. habitation ; j'assistai même à leur sorte de la fourmihere, et je puis aflrmer que, malgré les recherches les plus assidues , et Pattenuon la plus scrupuleuse , je mwen ai jamais aperçu aucuns qu ne fussent sem- blables à tous égards à ceux que jai déerits. Leur départ et les circonstances qui l’accom- pagnent n ’étoient point indifférens ; aussi les obser- vai-je avec le plus grand soin. Je les vis venir plu- sieurs jours de suite à la surface du nid; ils étoient | entourés de fourmis mineuses qui les escortoient et les soignoient, comme les ouvrières le font à l'égard de leurs propres mâles dans les fourmilières ordinaires : ils sortirent et s’échappèrent dans les airs. “ Le 31 juillet, à 10 heures ! du matin, je vis sortir d’une fourmilère mixte-noir-cendrée plusieurs petits mâles noirs : un grand nombre d'ouvrières 250 RECHERCHES SUR LES notr-cendrées les accompagnoient ; le nombre des mâles augmentoit constamment , plusieurs fourmis amazones sortirent aussi , et se promenèrent au milieu d'eux, quoique ce fût pour elles une heure indue ; elles s’approchoienti des mâles et les léchoient comme les noir-cendrées : celles-ci étoient les plus nombreuses. Vinrent ensuite les grandes femelles dont j'ai donné la description; elles grimpèrent sur l’herbe, et y reçurent, à leur tour, des noir- cendrées et des amazones, le même accueil que les mâles : à onze heures, ceux-ci commencèrent à s’animer ; ils grimpoient le long des plantes, cou- roient les uns contre les autres, battoient des ailes, se culbutoient, et finissoient par prendre le vol ; les femelles suivirent leur exemple et quittèrent la fourmilière mixte : je vis parür plus de cmquante femelles et quatre fois autant de mâles; je les attendis aux portes de la cité qu’ils venoient d’a- bandonner , pour savoir s'ils y reviendroient ; mais } Û , Û 7e n en revis aucun. L'aspect de cette fourmilière étoit à la fois saus- faisant pour lesprit, et agréable à l'œil ; le con- traste de ces femelles d’un beau jaune , avec ces petits mâles tout noirs; de ces insecies aïlés avec MŒURS DES FOURMYS. ; 251 ces neutres privés d'ailes ; celui de ces ouvrières amazones vivant en paix avec ces nombreuses noir- _ cendrées, formoiït un tableau qui n’étoit pas dé- pourvu d'intérêt, malgré la petitesse des objets dont il étoit compose. | eh-5e J’ai observé dans les fourmilières mixtes quel- ques mdividus fort remarquables , et dont on voit l’image exacte dans la Fig. 1., PL IF. Ce sont des fourmis roussätrés , égales en grandeur aux fe- melles de la même espèce; elles en différent seule: ment par la forme de leur corselet, qui n’est point élargi et destiné à porter des ailes : 1l ressemble à | celui des ouvrières. Ces individus , qui sont cepen- dant, par leur taille, dans la classe des femelles, vont jamais d'ailes, et je les aurois placés au nombre * des ouvrières si je les avois vus se mêler à leurs excursions : Cest encore là un exemple de ces transitions que nous avons fait remarquer entre les femelles et les ouvrières de quelques insectes du même genre. On voit chez les abeilles plusieurs modifications des reines : il existe, chez les bour- dons que nous avons observés, des ouvrières fé- condes de dillérentes grosseurs, et irès-rappro- chées des femelles, à tous égards. Ce nouveau fait D US F = re ” = é A . PTS L. EN CE ne ai TT OPERA 7 Li PA es men. hante me, 2 a 25a RECHERCHES SUR LES vient à l'appui des premiers, pour nous convaincre que les femelles et les ouvrières sont originairement du même ordre , et ne doivent leur forme et leur caractère actuel qu'au développement plus ou moins complet de leurs organes. Je ne sais si les individus dont je viens de parler sont capables de pondre, et quelle est la destination pour laquelle ils ont été É + à D . 4: créés ; quoi quil en soit, ils sont assez rares, et Ÿ n’ont aucun rapport avec les fourrhis noir-cendrées et mineuses des fourmilières mixtes, chez lesquelles. on les trouve également. Revenons aux femelles ailées. Peu de tems aprés. avoir quitté leur patrie, elles perdent leurs ailes comme les fourmis des autres espèces, et je les ai vues courir sur le terrain et chercher un abri. J’aurois désiré qu'il me füt possible de les suivre, car leur histoire, et surtout celle de leur nouvelle famille , piquoit vivement ma curiosité. L'existence de ces peuplades dans leur origme est fort difficile à con- cevoir. Comment pourroient-elles, à cette époque, s'associer des fourmis auxiliaires ? Elles ne sont pas encore assez en force pour entreprendre des incur- | sions et se donner des aides : peuvent-elles donc quelquefois s’en passer ? MŒURS DES FOURMIS. 253 Je dois convenir de mon ignorance à cet égard; cependant j'apportérai ici quelques preuves, que les fourmis amazones sont moins inhabiles aux arts domestiques que paresseuses et accoutumées à Poisivete. M. Latreille, plus heureux que mot, à trouvé une de ces fourmilières naissantes ; et voici ce qu'il dit, après avoir donné la description dé la fourmi roussâtre , que nous appelons légionnaire , ou amazone. « Cette espèce est fort rare; je ne l'ai observée » en société qu’une seule fois, encore n’y avoit-il » qu’un très-petit nombre | d'individus. Elle court » irès-vite et fait son nid, je crois, dans la terre. » Cet observateur exact auroit vu sans doute les fourmis auxiliaires, et auroit été frappé de leur association, si elle avoit eu lieu dans ce nid-là. Je regarde donc cominme un fait presque certain, que les fourmis roussâtres peuvent , avant d’être accou- tumées à:se faire servir par les noir-cendrées et les mineuses, employer des facultés qu’ellesne mettent point en usage lorsqu’elles sont associées à ces fourmis laborieuses. Une observation fort singulière que jai faite une fois, mais qui ne sest jamais Ne Re EE ï É = ALES nn. À ee 2m — - —< ie bn, on Re vue 0 Rd aan me MT, =. nd mer mnt LRU 254 RECHERCHES SUR LES renouvelée , semble prouver qu’elles peuvent chan- ger de rôle avec leurs auxiliaires. . Une fourmilière mixte s’étoit établie depuis peu sur la terrasse de la maison que j’habitois. J’obser- vois soigneusement les excursions des amazones;, et je remarquai, un jour, qu’elles se dirigeoient sur une fourmihière déserte : les fourmis qui l’occu- poient précédemment , pillées sans doute trop sou- vent par leurs redoutables voisines, avoient pris le | parü de décamper avec armes et bagages. Les amazones, qui étoient peut-être mal logées , prof- tèrent de cette circonstance : lorsqu’elles eurent ! visité la fourmiliére vide, elles revinrent sur leurs as. prirent à leur bouche les noir-cendrées de la > P fourmilière mixte, et les transportérent dans l’autre nid. Cette opérauon dura quelques heures : l'éemi- gration s’effectua entièrement de cette manière. Je vis donc Pinverse de ce que j’avois observé jusqu’a- lors ; mais je nai jamais eu l’occasion de le revoir. Les amazones portoient les cendrées comme celles ci les portent à l’ordinaire. Quand ces dernières furent transferées dans le nouveau logement, elles y restèrent, et chaque espèce reprit ses foncuons bhalaiuelles. MŒURS DES FOURMIS. 255 E On voit par cet exemple quil n’est pas impossible que les amazones n’en sachent plus qu’elles ne Paroissent en savoir ; et si nous les avons vues se laisser périr de faim plutôt que de se nourrir elles- | mêmes, c’etoit peut-être l'effet de l’habuude où elles sont, de recevoir leur nourriture des noir- cendrées, et de ne jamais’aller la chercher dans la campagne. Celles qui vivent en petit nombre au- près de leur mère , n'étant point encore accoutu- _mées à la vie oisive, ne se bornent probablement pas aux travaux de la guerre, et connoissent les occu- pätions domestiques ; ainsi pendant quelque tems , la fourmilière ne sera composée que des fourmis amazones. Mais lorsque leur nombre leur inspirera plus de confiance, elles iront au pillage , et se pro- cureront des nymphes noïir-cendrées ou mneuses, qui deviendront , par leurs soins; des aides et des compagnes utiles. Cene sont là que des conjec- tures, peut-être fort éloignées de la vérité ; mais je n’en ai pas trouvé de plus vraisemblables pour expliquer la formation des nouvelles fourmilières amazones. Quant à la conservation des fourmilières mixtes, je crois qwelle s'opère comme celle de toutes les 256 RECHERCHES SUR LES autres fourmilières ; en réservant quelques femelles amazonés fécondées , pour entretenir Leur popu” lation. J'ai vu très-souvent, et dans toutes les saisons, des femelles sans ailes dans des fourmi- lières de ce genre: J’ouvris , dès le milieu d'avril s des fourmilières mixtes ; jy trouvai des œufs aglo- mérés en grand nombre et soignés par des noir- cendrées ; je vis même alors les femelles amazones environnées des mêmes gardiennes ; elles se ter noient dans la parte la plus élevée du bâtiment, et leurs œufs étoient réunis auprès d'elles. Ce ne fut qu'au mois de juin que je commencai à voir les coques des nymphes mâles , car leurs larves sont. du nombre de celles qui filent : celles des femelles | étoient plus tardives ;: les nymphes qu’elles renfer- moient furent tirées de leur berceau par les ou- vrières, comme le sont, en général, celles des four- | mis noir-céndrées et mineuses , quelque tems avant leur dernière transformation ; et ce fut seulement au mois de juillet qu'ils passèrent à celle qui les met enfin en état de voler : les nymphes des ou- vrières amazones étoient alors très - nombreuses dans tous leurs nids; mais je ny trouvai point encore de nymphes noir-cendrées et mineuses: s MŒURS DES RE. : 267 Celles que les légionnaires ont enlevéés lannée précédente se sont développées avant lPauiomne, puisque-les dernières invasions se font au mois de septembre. Ces fourmis guerrières mont que. déux mois et demi pour réunir dans leur demeure les nymphes dont elles ‘ont besoin. La-température de Pair s'élève soursdes , au mois de mai et au commence- ment de juin, assez haut pour leur permettre de partir; cependant elles ne;se mettent point.en cam- pagné avant l’époque ‘où leurs mâles sont prêts à se métamorphoser ; elles sortent quelquefois indi- viduellement ; mais dans ce-cas. elles sont touj SA arrêtées par les noir-cendrées, qui les. nent Ts l'intérieur de la fourmilière. Je ne sais à quel motif attribuer cette conduite des auxiliaires , mais je lai remarquée fort souyent,.et 1 est certain que les légionnaires ne, vont point.au pillage avant ce ‘terme. :Sr'elles enlevoient plutôt les larves des moir:cendrées, elles en feroient une ample récolie ; mais elle seroit composée .en grande partie -de celles des mâles et des femelles, et il ne leur est point permis de s’en,emparer. La nature a prévenu les inconyéniens graves qui pouvoient résulier de AE , en ons tte tee cata tnt mean an mu LT mer se r: = Re sem = - : à so aps earth ie. cénétn. - meér M to dé dés ane pme FO Pam ee ns... | Re + Re nmen ann pen ne nn, mt 258 RECHERCHES SUR LES Verreur des amazones , en faisant naître les mâles et les femelles des fourmilières destinées au pillage; plutôt que eeux:des fourmis belliqueuses, et 67 ne permettant à ces dernières de commettre leurs rapines qu'après la métamorphose des insectes ailés. Les noir-cendrées et les mineuses sont donc les nègres des fourmis amazones; c’est chez elles quê celles-ci vant chercher: des esclaves : elles les dér robent dans un âge où leur instinct n’est pas encor développé, et ces fourmis, élevées au milieu d’elles, leur font partager le fruit de leur industrie. Mais, avec quelle prudence, avec quelle sagesse certe imstitution , quelquefois barbare chez les hommes ; a-t-elle été établie chez les insectes que nous venons de faire connoître ? On n’y voit ni servitude , pi -oppression ; ces fourmis ne paroïssent pas se douter qu’elles soient dans un nid’ étranger : urées de vingt fourmilières différentes , elles vivent sous le même toit comme si elles étoient sœurs, et leur “affection ne distingue les amazones que pour leûr prodiguer plus de soins. La nature, profonde’en s€° combinaisons; sait que de vieilles fourmis ne saur “rolent vivre en paix avec des fourmis étrangères ; MŒURS DES FOURMIS. 25q mais elle n’ignore pas que de jeunes fourmis peu- vent vivre avec celles d’une autre espèce, lors- qu’elles sont accoutumées de bonne heure à Les voir et à recevoir leurs soins ; elle sait aussi qu’elles minspirent pas d’aversion à celles qui les ont vu naître. C’est d’après ces données qu’elle a insutuë les fourmilières mixtes, et:c’est pour cela que les amazones, dans leurs expéditions, n’enlévent. ja- mais de fourmis adultes, mais seulement des larves et des nymphes : c’est par la même raison qu'elles ne cherchent point à tuer leurs ennemies, mais seulement à leur ravir leurs peuts. Il résulte de tous ces faits une vérité importante, relativement au moral de ces insectes ; c’est que leur instinct peut recevoir quelques modifications. Les fourmis, prises dans leur jeunesse , peuvent s’apprivoiser et vivre avec des espèces ennemies : c’est done dans les premiers jours de leur vie que se forment les impressions qu’elles doivent toujours consérver. Les mêmes objets qui äuroient naturel- lement excité leur haine ne leur inspirent plus alars qu'un sentiment d'amour. EE ns 260 RECHERCHES SUR LES CHAPITRE À. f : : ÉTABLISSEMENT D’UNE FOURMILIÈRE MIXTE DANS UN APPAREIL VITRE. J ’\vors souvent établi avec succès des fourmi- lières arüficielles; je leur devois plusieurs obser- vations qui m’avoient paru intéressantes sur les fourmis fauves , les jaunes et quelques autres. Je résolus d'essayer de placer dans des appareils du même genre une peuplade de fourmis amazones avec leurs auxiliaires ; les données que j’avois déjà acquises sur les fourmilières mixtes facilitèrent mes opérauons. On va lire les détails de cette expé- rience , dans laquelle les mœurs de ces deux es- pèces de fourmis se développèrent dans tous leurs rapports. 3 Je fs construire un appareil auquel , pour abré- ger, je donnerai le nom de ruche, comme je l'ai déjà fait. Cétoit un double châssis vertical, de 20 pouces de longueur sur 10 de hauteur, vitre des deux côtés ; l'intervalle entre les deux châssis étoit de 10 lignes seulement; je le trouval encore trop large, et je le divisai en deux parties, au MŒURS DES FOURMIS. 261 moyen dune feuille de fer-blanc criblée de trous dans toute son étendue, et placée parallèlement aux deux vitres , dont elle étoit à la distance de 5 lignes; sur le devant de la ruche, une coulisse verticale qui s’élevoit et s’abaissoit à volonté , faisoit l'office de porte. Cet appareil ne devoit point être monté sur des pieds, comme ceux que jai décris précédemment ; on fit en sorte qu'il reposät immédiatement sur le terrain, au moyen de deux liteaux très-forts, noyés dans le bas de la ruche , et qui faisoient saillie de part et d'autre; deux volets en bois prévenoient l’entrée du jour, et plusieurs trous pratiqués dans la partie diféicire de lappareïl devoient servir à donner du miel aux fourmis, Où à verser de l’eau dans l’intérieur, quand il le faudroit. C’est dans cette ruche , dont on peut voir la figure, PI. 1. , que je projetai d'établir une fourmilière mixte : je voulois encore que les fourmis s’y fixassent d'ellesmêmes , afin qu'elles s’apercussent le moins qu'il seroit possible de la singularité de leur demeure. Je remplis la moitié inférieure de cet appareil avec de la terre fine et légèrement humectée, et jy versai du miel en plusieurs endroits. \ 62 RECHERCHES SUR LES Ces préparatifs étant terminés, je choisis une des fourmilières mixtes des plus peuplées, et dans laquelle il se trouvoit beaucoup de mäles et de jeunes femelles amazones ; je m’emparai d'une grande partie du nid, et je le mis dans unsac dé grosse toile , que je transportai dans mon cabinet: _ Jétablis, entre mes prisonmières et le logement qu’elles devoient occuper , une libre communica- uon, au moyen d’un petit canal de bois vitre at dessus, que j'adaptai à l'entrée du sac par une de ses extrémités, et que j'introduisis par l’autre dans la porte de la ruche ; cela fait, je laissa les four- mis à elles-mêmes. Dès le lendemain , je vis quel- ques noir-cendrées aller du sac dans la ruche par le canal vitré; le soir, 1l en passoit encore da vantage; le second jour, elles commencèrent à se porter les unes les autres dans appareil : leur nombre augmentoit d'heure en heure; le canal n° suffit bientôt plus à la foule de ces insectes ; allant et venant dans un sens et dans l’autre ; il étoït obsirué par les recruteuses : et celles-ci portoient; pour la plupart, des fourmis légionnaires du sac / dans la ruche. Au moyen de ce conduit vitré, Je n’étois point MŒURS DES FOURMIS. 263 obligé d'ouvrir les volets pour savoir ce qui s'y passoit; disposition dont l'avantage étoit de ne pas alarmer les fourmis ; de sorte que je pus m’as- surer qu’elles s’établissoient. dans la fourmilière arüfcielle ; qu’elles y préparoïent les logemens, et qu’elles emportoient tous les matériaux inutiles , comme de petits cailloux et des morceaux de terre trop secs pour être mis en œuvre. Je compris, d’a- près cela, qu l convenort d’arroser la terre de lin- térieur , et JY versai de l’eau par les trous prati- qués au-dessus de l'appareil, ce qu remplit parfai- tement mon but, comme on le verra bientôt. Le quatrième jour, toutes les fourmis parois- soient connoître le chemin : elles avoient cessé de se porter. Mais, comme on en voyoit encore beau- coup aller dans le sac, je craignis qu’elles ne pris- sent la fantaisie de s’y fixer, et je résolus de les obliger à retourner dans la ruche : dans ce but, je séparai le sac du canal vitré ; je versai doucement toute la terre qu’il contenoit sur le parquet , auprès de la fourmilière aruficielle ; je fis tout autour une | muraille de briques, et je divisai entre mes doigts toutes les mottes de terre , afin que les fourmis ne pussent pas espérer de s’y cacher. J'inclinai en- 264 RECHERCHES SUR LES suite sur le parquet le: peut canal dont un bout étoit enchässé dans la porte de la ruche, de ma- nière que les fourmis pouvoient en sortir et trouver leurs compagnes errantes dans l'enceinte. Les noïr cendrées, en ellet, descendirent par le conduit, et ne tardèrént pas à rapporter dans leur nouvelle demeure les fourmis égarées ; on les voyoit cher- cher dans tous les coins, visiter les moindres moties de terre , fouiller avec persévéranee les débris de leur nid, et retirer de là leurs compagnes de l'une et l’autre espèce , qu’elles prenoient à leur boucle, et qu’elles introduisoient aussitôt dans la ruche. L'opération fimie , j'alla chercher le reste du nid, que j’avois laissé dans les champs, et je le dispersai dans le cabinet : quelques-unes des noir - cendrées de la ruche. ayant aperçu les nou- velles arrivées qui rôdoient sur le parquet, les rap- portérent au gite, et jen vis avec étonnement beaucoup d’autres ressorür avec elles de l'appareil, comme ‘si elles eussent appris qu'il y avoit encore au dehors bien des fourmis à ramener ; elles se murent aussitot à l'ouvrage : c’étoit une scène que je ne me lassois point d'admirer, que celle qu’of- froient ces laborieuses ouvrières, arrivant sans MŒURS DES FOURMIS. - 265 cesse avec leurs compagnes des deux sortes, sus- pendues à leurs mandibules , ou partant à la file pour aller chercher celles qui restoient encore sans asile; d’autres perçoient des galeries dans le mon- ceau de terre que j'avois rapporté , et parvenoient à dégager un grand nombre d’ouvrières , de larves et de nymphes qui s’y trouvoient emprisonnees ; elles travailloient avec une activité infatigable : j’e- tois touché de leur zèle ; elles me rappeloient ces chiens fameux qui semblent associés à la charité de leurs maîtres pour reurer les voyageurs enfouis sous les neiges des Alpes. Les fourmis légionnaires ne prenoient aucune part active à cette scène intéressante ; les noir- cendrées avoient d'elles un soin parüculier ; le plus souvent elles les conduisoient dans l’intérieur de la ruche, mais quelquefois elles se contentoient de les déposer à lentrée du canal pour aller aussitôt en chexthos d’autres : la fourmi roussâtre restoit un instant recoquiilée sans mouvement , puis elle se dérouloit et regardoit de tous côtes , Sans savoir où elle étoit et dans quel sens elle devoit se diri- 4 ger; je la vOyoIs alors s'approcher de toutes les noir-cendrées, et implorer leur secours à l’aide de 266 RECHERCHES SUR LES ses antennes , jusqu’à çe qu'une des moins affairées la saisit et la portât dans sa demeure. Au bout de huit jours ma fourmilière fut entié- rement peuplée, et j’espérai avoir acquis un moyen sûr d'observer tout ce qui se passoit dans l’intérieur de ces singulières républiques : je me hâtai donc de le mettre à Pépreuve. Je transportai ma ruche sur le gazon , en laissant aux imsectes qui l’habitoïient pleme liberté d'aller et de venir : j'avoue que ce ne fut pas sans une r e D « sorte d’appréhension : car je pouvois perdre en un : PP 3 | instant le fruit de tous mes soins ; maïs ce qui me rassurOit , C’étoit l’espoir que les noir-cendrées, attachées à leur ouvrage, ne voudroient pas l’a- bandonner si prompiement. Le premier jour, les fourmis cendrées profitèrent de leur liberte pour visiter les environs de leur demeure ; elles,y revinrent trés-bien : quelques amazones etant aussi sorties individuellement ; leurs auxiliaires les ramenèrent au logis. Le jour suivant, les noir-cendrées gardèrent leur porte avec assiduite ; elles amoncelérent beaucoup de peuts cailloux pour la rétrécir et s'opposer à l'entrée de certaines fourmis attirées par odeur du miel que MŒURS DES FOURMIS. 267 je leur donnoiïs : elles allèrent aussi à la recherche des pucerons. Dans Vaprès-midi, l'air étant très-chaud, et le soleil donnant sur la fourmilière aruficielle , je ne tar dai pas à voir les amazones se préparer pour leur expédition. L'armée entière descendit le long du canal ; le signal fut donné ; toute la troupe parüt et as porta Sur un nid de noir-cendrées, situé à quelques pas de la ruche. Les amazones en res- sortirent avec le succès qu’elles obtiennent toujours dans ces incursions : chacune d’elles revint déposer son butin à la porte de la fourmilière arüficielle , où les noir-cendrées lintroduisirent aussitôt. Les fourmis guerrières retournèrent à l'instant piller le reste des larves, et comme il y avoit peu de dis- tance jusqu'au nid qu’elles avoient dévasté , 1l se- tablit une chaîne non-interrompue damazones, dont les unes alloient chercher des nymphes, tandis que d’autres en rapportoient. Enfin elles rentrèrent dans leur habitation , mais elles ressortirent an bout d’un quart d'heure FT ÉE firent une dernière tenta- üve sur cette fourmilière dont elles ne rapportèrent cette fois qW” un très-petit nombre de larves, et sé retrèrent tranquillement dans la ruche. 268 RECHERCHES SUR LES Ce fut avec une véritable satisfaction que jé vis toutes mes amazones revenir dans la fourmilière arüuficielle , et confier leur butin aux noir-cendrées : c'étoit un heureux présage pour la suite de mon expérience , et je me flattai dés lors de pouvoir observer tous leurs rapporis. Je n’avois pas encore ouvert les volets de la fourmilére , afin de ne pas effrayer les fourmis par l'introduction du jour, avant qu’elles y fussent bien établies ; j'étois cependant fort impatient d’en voir l intérieur. El étoit tems de visiter Pouvrage de ces insectes et d'observer les suites immédiates de l’en- «1 x | H 1 4 É FE: DAT à lèvement des nymphes. Quand je levai le volet , je RE trs fus agréablement surpris, en découvrant d’un coup- d'œil toute la fourmilière : les fourmis avoient miné tout le massif de terre; le verre d’un côte et la feuille de fer-blanc de l’autre, servoient de parois à tous les vides qu’elles avoient pratiqués ; on voyoit à merveille tous leurs conduits, leurs salles ; jusqu'aux moindres loges ; on pouvoit étu- dier la distribution des appartemens ; ils étoient creusés par étages assez irréguliers : les uns étoient plus vastes que les autres, ceux-ci plus élevés, ceux- " % Fe 2e L là plus alongés ou plus rétrécis ; on voyoit que les MŒURS DES FOURMIS. 269 fourmis avoient miné et non maconné la terre ; toute celle qu’elles avorent ürée de Pintérieur étoit amoncelée au-dessus du dernier plafond ; mais l’ou- 4 5 e oi e re L2 e. . sn # A à vrage étoit sl massif qu'il ne risquoit pas d’être enfoncé par le poids de la matière qu'il supportoit. Ici les nymphes et les larves étoient entassées dans de grandes cases ; là se tenoit la horde ama- zone ; ailleurs, le gros des noir-cendrées parois- soit réuni. J’eus à peine le tems de faire ces pre- mières observations ; lintroducüon subite de la lumière alarma les fourmis. Les amazones sortirent de leurs souterrains et coururent sur le verre: mais elles se réunirent bientôt dans la parüe la plus élevée de leurs cases, et se groupèrent contre les voûtes. Les noir-cendrées s’emparèrent à Pinstant des larves et des nymphes; elles les emportèrent dans les parties les plus obscures > passèrent par les trous du fer-blanc, et se rendirent du côté opposé à celui que j'observois, et dont le volet n’étoit pas ouvert. J'appris par degré à ménager le jour, de manière qu'il meffrayât pas ces insectes, ou du moins assez peu pour que le calme se rétablit promptement ; je pus alors suivre leurs opérations tout à mon ajse : c’étort là qu'il en falloït venir. 270 RECHERCIIES SUR LES Les fourmis amazones, toujours casernées en groupes contre le plafond de leurs souterrains, n€ sen écartoient que pour venir auprès des noïr- cendrées, dont les secours leur étoient d’une né- cessité absolue : on n’en voyoit aucune s'approcher des larves et des nymphes ; aucune toucher aux provisions que je mettois à leur portée : n1 la viande, ni le miel ne paroissoient les tenter. Je pus aussi voir en détail tous les soins que leur prodiguoient les noir-cendrées : celles-ci alloient constamment au- près d’elles pour les nourrir ; elles les brossoieni , les porioient d’un quartier dans un autre, les con- duisoient là où la température étoit le plus chaude; les réunissoient à leurs compagnes, etc. Je vis au$si les auxiliaires rassemblées auprès d’une femelle roussâtre sans ailes, dont elles prenoient soim : les autres femelles et les mâles furent accompagnés au dehors de la fourmilière par un nombreux cortége de noir-cendrées et par quelques amazones ; 1ls prirent le vol bientôt après, et on ne les vit point revenir. Chaque jour les fourmis legionnaires faisoient des Incursions dans les fourmilières voisines, et aug- mentoient infiniment le nombre de leurs nymphes ; MŒURS DES FOURMIS. 271 mais dès qu’elles étoient une fois dans laruche, elles ne s’en occeupoient plus; c’étoit l’affaire des auxi- liaires : celles-ci les portoient dans les différens quartiers, selon les heures et la direcuon du soleil; une partie des nymphes éioïent dans des coques; les autres en ayoiïent été tirées; les noir-cendrées -“enoïient souvent déchirer leur enveloppe en ma présence : les coques des nymphes amazones gioient d’une soie plus brune que celles des cen- drées; elles étoient aussi d’un tiers plus longues ; mais leur nombre n’égaloit pas celui des nymphes de l’autre caste. On voyoit les larves des deux es- pèces réunies dans différens couloirs; car elles ‘ayoient sans doute des besoins relatifs à leur âge ; mais les seules noir-cendrées les soignoient, les ‘nourrissoient, etc. Je vis cependant une fois une amazone occupée à enlever la dernière pellicule d’une nymphe noir-cendrée prête à marcher. La fourmi amazône s’y prenoit avec la même délica- :tesse que le font les autres fourmis ; et l’ouvriére , “qui étoit l’objet de ses soins ne paroissoit point effrayée d’être aussi près de cette fourmi guerrière : celle-ci ne lui fit aucun mal, et l’abandonna dès qu'elle eut dépouillée. C’est une nouvelle preuve : RE. De 5 msi li pb Sc nr — con 77 sde ie. is Ua Sue 272 RECHERCHES SUR LES que cetle espèce n'est pas absolument inhabile au travail. Ma ruche se peuploit chaque jour ; il sy déve- loppoit un grand nombre de noïr-cendrées, que je reconnoissois à leur couleur grisâtre. Je voyois aussi de jeunes fourmis amazones , dont la teinte étoit plus pâle que celle des vieilles : les unes ét les autres recevoient tous les soins des seules noir- cendrées. Le calme et Punion régnoient constamr- ment dans cette peuplade mélangée. Mes fourmis me paroissoient parfaitément heureuses dans leur demeure ; cependant elles songeoïent à la quitter. Les noir-cendrées, lassées peut-être de voir si sou- vent ouvrir et fermer les volets, commencèrent à -émigrer, etse pratiquèrent une petite cavité dans Île gazon, à quelques pas de P endroit où la ruche étoit posée ; je les déroutai, et je suspendis leur mi- grauon en la plaçant ailleurs; mais quelques jours ‘après, elles trouvèrent un nouveau gite , eirecom- mencèrent àrecruter : alors je pris le paru de fermer la porte , et de rapporter la fourimilière arüfcielle dans mon cabinet. Là je pus l’observer “pendant quelque tems, et je vis de plus en plus la eonfir- mation de tout ce que javois appris jusqu'alors. Quand MŒURS DES FOURMIS. 279 Quand le tems étoit beau, je la rapportois sur le gazon, entre 5 et 5 heures, et je voyois toujours mes légionnaires visiter les fourmilières VOisines : enfin nwespérant plus d'en obtenir de nouveaux renseignemens , je résolus de la faire servir à une expérience que je méditois depuis long-tems, et que je renvoyois toujours, parce que javois fini par mattacher à mes prisonnières. Mon intention étoit de mettre aux prises deux armées de légion- naires : dans ce but, j’attendis de voir partir celles d'une autre fourmilière nuxte située dans le jardin, et je portai la fourmuilière arufñcielle en face de leur colonne. Après un léger combat qui eut lieu à la porte de la ruche, celles de l’intérieur sortirent en force, et la colonne ennemie parut vouloir éviter la bataille : elle prit d'abord une autre direcüon, puis revint sur ses pas et retourna dans sa demeure. Plusieurs fourmis de la ruche se mirent à sa Poursuite ; quel- ques-unes allèrent jusque sur la fourmilière enne- mie, mais elles y furent retenues : il en réchappa seulement deux ou trois que Je vis revenir à la hâte. Alors l’armée amazone sortit toute entüère de la ruche, etse dirigea du côté de la fourmilière mixte : 18 274 RECHERCHES SUR LES je m’attendois à une affaire générale ; mais lorsque la colonne fut à quelques pas de l'entrée, elle retourna en arrière, à l'exception dun peloton composé d'environ trois cents fourmis légionnaires , qui contimuèrent leur route et parvinrent à la four- milière. Celles qui étoient à la surface paroissoient dans une extrême agitation, comme si elles eussent prévu lattaque dont elles étoient menacées. Quand la peute troupe arriva, elles se battirent corps à corps ; mais les étrangères se jetèrent dans une galerie avec tant d’impétuosité que les autres ne 7 + 25 pere purent les en empêcher. Cette courageuse incur- sion ne leur réussit pas ; elles y périrent toutes, LUTTE 1 (| | RTS Pare non sans avoir fait un grand ravage , car lorsque je vis les amazones de la fourmilière naturelle recom- mencer leurs expéditions, je trouvai leur armée réduite à la moitié de ce qu’elle étoit auparavant. La ruche n’avoit pas souffert une aussi forte dimi- nution ; je la replaçai sur le gazon, et je laissai aux noir-cendrées la liberté d’émigrer , ce qu’elles firent dans le même ordre que nous avons observé’ ailleurs, MŒURS DES FOURMIS. 275 ERHAPLTRES XXE ÎTISTOIRE DES FOURMIS SANGUINES. + fourmis sanguines vont nous offrir un nou- veau genre de fourmilières mixtes ; elles confirme- ront les faits qu'on vient de lire, par leur analogie avec les fourmis légionnaires, et nous éclaireront encore sur ce sujet, par le contraste même de leur conduite avec celle de ces fourmis qui passent des combats à l’oisivete. Elles doivent le nom qwelles portent à la cou- leur de leur tête et de leur corselet ; leur ventre est noïr-cendré et légèrement bronzé ; leurs pates sont d’un rouge de sang : ces fourmis sont plus grandes que les légionnaires | auxquelles elles ns ressemblent que par leurs mœurs. Elles auroient , pour la forme générale du corps, beaucoup plus de rapports avec les fourmis fauves qu'avec aucune autre espèce. | Si je dus au hasard la rencontre des hordes ama- zones , ce fui l’observation qui me fit découvrir les mœurs des fourmis sanguines. one chi os me ae RECHERCHES SUR LES Un jour, en examimant lintérieur de leur nid pour en connoître la structure , je découvris des noir-cendrées au milieu d'elles ; leur nombre étoit moins considérable que chez les fourmis légion- naires ; mais il paroissoit régner enir’elles et les fourmis sanguines la même intimité que j'avois re- marquée entr'elles et les amazones des fourmilières mixtes. I me fut aisé de vérifier cette observation ; car les fourmilières de ce genre sont beaucoup moins rares que celles des légionnaires ; elles sont aussi plus faciles à reconnoître ,| parce que les sanguines se tiennent plus souvent sur leur nid que les autres fourmis maconnes. On trouve ordinairement les _fourmilières de cette espèce le long des haies ex- “posées au midi. La terre en est mélangée avec des morceaux de feuilles, des brins d'herbes , de la mousse et de petites pierres, ce qui forme une espèce de morüer difficile à rompre. Cette compo- -sition de la fourmilière ,; et sa forme variée, m’au- roient déjà prouvé que ce m’étoit pas uniquement l'ouvrage des noïr-cendrées, quand je n’aurois pas vu les sanguines s’occuper comme elles, sorur aussi par la pluie, et-profiter de cette circonstance MŒOURS DES FOURMIS. 277 pour donner plus détendue et d’élévation à leur demeure. Ces fourmis se mêlent donc aux travaux des noir-cendrées; elles vont aussi quelquefois à Ja recherche dès pucerons, mais c’est la principale fonction des auxiliaires. Celles-ci sortent plus maun, et sont encore chargées d'ouvrir les portes du logis; car, dans cette espèce , le soin de fermer l'entrée dés souterrains le soir est très-marqué : elles les recouvrent de tout ce qu’elles peuvent trouver de propre à cet objet. Une des occupations ordinaires des sanguines est d'aller à la chasse de certames petites fourmis dont elles font leur pâture ; elles hésorient jamais seules ; on les voi aller par petites troupes , s’em- busquer près d’une fourmilière, attendre à lentrée qu'il en sorte quelqu'individa , et s’'élancer aussitôt pour s’en saisir. Les insectes qu’elles rencontrent _sur leur chémin deviennent aüssi leur proie quand elles peuvent les arrêter. On ne trouve pomt chez les sanguines, non plus que dans les autres fourmilières mixtes , de mäles et de: femelles de fourmis auxiliures. Les femelles sanguines sont remarquables par la vi- l Î | | L | 118 A 11 Lg ic Ste de na mm au 278 RECHERCHES SUR LES vacité de leurs couleurs ; elles ont la tête et le corselet d’un rouge éclatant, presque écarlate ; lPabdomen brun, et les pates d’un rouge fonce : les mâles sont noirs , avec les pates jaunes ; ils ressemblent beaucoup à ceux de la fourmi noir- cendrée, si ce n’est qu'ils ont le corps plus alonge ; on les voit parür en même tems que les femelles que je viens de décrire ; ils sont alors accompagnés d'un double cortége , comme ceux des fourmis légionnaires. Tant de rapporis entre ces fourmis me faisoient soupçonner que les sanguines s’approvisionnoient de noïr-cendrées de la même manière que les rous- sâtres ; je les éprai de jour en jour, et je fus enfin témoin de plusieurs expéditions qui différoient à beaucoup d’égards de celles dont j'ai parlé dans le chapitre précédent. En voier un exemple qui pourra donner une juste idée de leur tactique. Le 15 juillet, à dix heures du matin, la four- milière sanguine envoie en avant une poighée de ses guerriers. Cette petite troupe marche à la hâte jusqu’à l'entrée d’un nid des fourmis cendrées, situé à vingt pas de la fourmilière mixte : elle se dis- perse tout autour du nid. Les habitans aperçoivent MŒURS DES FOURMIS, 279 ces étrangères, sortent en foule pour les attaquer, et en emmènent plusieurs en captivité; mais les sanguines ne s’avancent plus, elles paroïissent at- tendre du secours : de momens en momens je vois . i . e e arriver de petites bandes de ces insectes qui partent de la fourmilière sanguine et viennent renforcer la première brigade. Elles s’avancent alors un peu davantage , et semblent risquer plus volontiers d’en venir aux prises; mais plus elles s’'approchent des assiégées, plus elles paroïssent empressées à en- voyer à leur nid des espèces de courriers. Ces fourmis arrivant en hâte, jettent l’alarme dans la fourmilière mixte , et aussitôt un nouvel essaim past et marche à l’armée. Les sanguines ne se pressent point encore de chercher le combat; elles na- larment les noir-cendrées que par leur seule pré- sence ; celles-ci occupent un espace de deux pieds carrés au-devant de leur fourmilière ; la plus grande partie de la nauon est sortie pour attendre l’ennemi. Tout autour du camp on commence à voir de fréquentes escarmouches, et ce sont toujours les _ assiégées qui attaquent les assiégeantes. Le nombre des noir-cendrées assez considérable, annonce une vigoureuse résistance ; mais elles se défient de leurs RECHERCIIES SUR LES forces, songent d'avance au salut des petits qui leur sont confiés, et nous montrent en cela un des plus singuliers traits de prudence dont lPhistoire des insectes nous fournisse l’exemple. Long-tems avant que le succès puisse être dou- teux, elles apportent leurs nymphes au-dehors de leurs souterrains , et les amoncellent à l’enirée du md, du côté opposé à celui d’où viennent les fourmis sanguines, afin de pouvoir les eaporter plus aisément si le sort des armes leur est con- waire- Leurs jeunes femelles prennent la fuite du même côté ; le danger s'approche ; les sanguines se trouvant en force se jettent au milieu des noir- cendrées, les attaquent sur tous les points, et par- “viennent Jusque sur le dôme de leur cité. Les noir- cendrées, après une vive résistance , renoncent à la defendre, s'emparent des nymphes qu’elles avoient rassemblées hors de la fourmihère, et les emportent au Join (4). Les sanguines les poursuivent et | (1) N'est-1l pas surprenant que les noir-cendrées, aitaquées par les sanguines , $e conduisent différemnient que lorsqu'elles ont affaire aux fourmis roussâtres ? L'impétuosité de ces dernières ne leur laisse pas le tems de se défendre. La tactique des assiégeans étant différente, MŒURS DES FOURMIS. 201 cherchent à leur ravir leur trésor. Toutes les noires sont en fuite; cependant on en voit quelques-unes se jeter avec un véritable dévouement au milieu des ennemis, et pénétrer dans les souterrains dont elles soustraient encore au pillage quelques larves qu’elles emportent à la hâte. Les fourmis sanguines pénètrent dans l’intérieur, s'emparent de toutes les avenues, et paroissent s'établir dans le nid dévasté. De petites troupes arrivent alors de la fourmilière mixte , et l’on com- mence à enlever ce qui reste de larves et de nym- phes. Il sétablit une chaîne continue d’une de- meure à l’autre, et la journée se passe de cette ma- nière. La nuit arrive avant qu’on ait transporté tout le butin : un bon nombre de sanguines reste dans la cité prise d’assaut, et le lendemain, à Paube du jour , elles recommencent à transférer leur proie. Quand elles ont enlevé toutes les nymphes, elles se portent les unes les autres dans la fourmilière mixte, jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’un petit nombre. Mais j'apercois quelques. couples aller dans un mecs celle des assiégés devoit Pêtre aussi; mais concoit - on ; comment la nature leur a appris à proportionner les précautions au danger ? EE on a - 2892 RECHERCHES SUR LES sens contraire; leur nombre augmente. Une nou- Yelle résolution a sans doute été prise chez ces in- sectes vraiment belliqueux ; un recrutement nom- breux s'établit sur la fourmilière mixte, en faveur de la ville pillee, et celle-ci devient la cité san- guine. Tout y est transporté avec promptiude nymphes, larves, mâles et femelles, auxiliaires el amazOnes, tout ce que renfermoit la fourmi- lière mixte est déposé dans l'habitation conquise , et les fourmis sanguines renoncent pour jamais à leur ancienne patrie. Elles s’établissent en lieu et place des noir-cendrées, et de là entreprennent de nouvelles invasions. Entre plusieurs traits semblables dont Jai été témoin, je n’en citerai qu'un. J’avois établi une fourmilière mixte sanguine dans un appareil vitré, du même genre que celui que j'ai décrit plus haut. Je la plaçai un jour à peu de distance d’une four- milière cendrée , qui devint bientôt l’objet d’un siége en forme. Après que les sanguines en eurent chassé les habitans, et qu’elles eurent rapporté dans la ruche une partie des nymphes, elles se décidèrent subitement à changer de domicile, emportèrent en quelques heures tout ce que renfermoit Pappareil [ MŒURS DES FOURMIS. vitré, et se logèrent avec leurs auxiliaires dans la fourmilière ennemie. Cependant elles ne changent pas d'habitation chaque fois qu’elles envahissent une fourmilière noir-cendrée ; mais il est rare qu’elles ne quittent pas dans l’année celle qu’elles occupent. Un des caractères des guerres qu’elles font aux noir-cendrées , c’est l’effroi qu’elles leur inspirent; car ces dernières ne reviennent point dans la cité. prise d'assaut, lorsque les sanguines retournent dans leur habitation : peut-être savent-elles qu’elles n’y seroient pas en sûreté, et que celles-ci vien- droient sans cesse les attaquer. Cette nouvelle es- pèce d’amazones ne change pas souvent de direc- tion dans ses entreprises guerrières ; elle suit une même route, ce qui fait qu'au moindre signal toutes les fourmis savent de quel côté elles doivent se porter. Elles vont quelquefois à la distance de cent cmquante pas chercher une cité noir-cendree ) et leurs guerres se font toujours , comme je l’ai in- diqué, par petites troupes , qui se succèdent et se secourent les unes les autres au moyen de courriers très-visiblement envoyés pour cet objet à la four- milière mixte. Lesinvasions des fourmis sanguines, si pernicieuses 204 RECHERCHES SUR LES pour leurs ennemies , sont heureusement pour elles beaucoup moins fréquentes que celles des fourmis légionnaires. Elles n’attaquent que cinq ou six four- milières cendrées dans un été, et le tems qui leur est accordé pour remplir leur objet est aussi beau- coup plus limité : 1l faut qu’elles réunissent dans un mois toutes les nymphes dont elles ont besoin. Les sanguines, très-actives par elles-mêmes, se con- tentent d’un nombre d’esclaves ou de domestiques très-inferieur à celui qu’emploient les fourmis rous- sâtres. Toutes les nymphes apportées par les san- ES guines se développent dans le courant du mois d'août, et c’est alors qu'on trouve chez elles une | ex > nr MP plus grande quantité d’auxiliaires. Les sanguines ne pourroient pas s’en passer. Tou- jours occupées de chasse , et quelquefois appelées à sorur toutes ensemble pour se secourir dans les dangers, elles seroient obligées de laisser leurs peus isolés dans la fourmihière ; d’ailleurs les noir- cendréts sont plus propres à soigner les larves que ne le sont les sanguines , et ce sont elles seules qu s’en occupent. Lorsque les sanguines changent de . domicile, elles ont toujours grand som d’emporier avec elles leurs auxiliaires. l'affection qu’elles ont MŒURS DES FOURMIS. 285 pour ces dernières se manifeste surtout quand leur habitation est menacée par l’effet d’une guérre avec d’autres fournus. J’ai vu les sanguines, assiégées par des fourmis fauves, emporter à la hâte les noir- cendrées dans les souterrains; celles-ci en ressor- toient, mais elles paroiïssoient remplir les intentions de leurs protecirices en fermant et barricadant avec soin toutes les avenues, à l’aide des matériaux qu’elles trouvoient à leur portée. Je rappellerai encore ici un trait de prudence dont j'ai dit quelques mots dans le chapitre des guerres ; c’est que les fourmis sanguines se ménagent toujours une retraite en cas de malheur , et que tandis qu'une parue d’entrelles défendent la peu- plade, les autres emportent les noir-Cendrées, et celles-ci construisent une nouvelle habitation fort loin de la mèlee. : Nous avons vu deux espèces d'auxiliaires chez les fourmis roussâtres : les noir - cendrées et les mineuses. Ces dérmières sont aussi à la bienséance des fournus sanguines ; leurs incursions chez les mineuses se font de la même manière et avec les mêmes circonstances que celles qui sont dirigées sur les fourmilières noir-cendrées. Due — a à 20 nl > ae mn 286 RECHERCHES SUR LES Mais ce qui est très-remarquable, c’est qu'il existe des fourmilières composées de trois espèces différentes : de sangumes, de noir-cendrées, et de mineuses. J’ai vu une armée de sanguines qui s’étoit divisée en deux parties, dont l’une attaquoit une fourmilière mineuse , et Pautre une noir-cen- drée. Ce second trait sert À expliquer le premier. Je terminerai ces observations par un fait qui démontre encore l'influence de l'habitude sur les affections des fourmis. J’avois établi dans une boîte des nymphes sanguines et roussâtres , sous la garde de quelques ouvrières noir-cendrées ; ces nymphes devinrent des fourmis adultes, et je vis ces ama- zones des deux genres vivre en fort bonne intelli- _gence sous le même toit. C’etoit une confirmation bien marquée des faits qui ont été le sujet de ces derniers chapitres. L'histoire des fourmis amazones et de leurs auxi- liaires, nous prouve encore, que si léducauon peut effacer la haine qui existe entre des espèces différentes , et par conséquent ennemies, elle ne sauroit changer leur instinct et leur caractère , puisque les amazones et leurs esclaves, élevées a A e avec les mêmes soins et par les mêmes nourrices , MŒURS DES FOURMIS. 287 vivent dans la fourmilière mixte sous des lois entiè- rement opposées. Mes lecteurs sont peut-être tentés de croire que je me suis laissé entraîner par l'amour du merveilleux, et qu’afin de donner plus d'intérêt à ma narrauon, je me sus permis d’embellir les faits que jai observés. Mais plus les mer- veilles de la nature ont d’attrait pour moi, moins je suis enclin a les altérer par le mélange des rêveries de l'imagination. J’ai cherché à écarter de moi toutes les illusions, les préjugés, l'ambition de dire des choses nou- velles, les préventions attachées souvent à des aperçus trop rapides, l'amour des systèmes, etc. et j'ai tâché de me tenir dans une disposition d'esprit, pour ainsi dire neutre, et prête à ad- mettre tous les faits, de quelque nature qu'ils fussent, lorsque l'observation la plus assidue les confirmeroit. S'ils tendent À faire accorder aux fourmis des facultés plus relevées que nous ne l’avions cru jusqu’ici c’est à la nature des choses qu'il faut V’attribuer ; de là vient aussi l’obligation où jai été d'employer tant de termes et de comparaisons 288 RECHERCHES SUR LES qui semblent trop hardies au premier coup-d” œil , mais qui sont fondées sur des rapporis évidens entre l’espèce humaine et l’insecte qui vit en societe. Entre les personnes que j'ai prises à témoin de la découverte des fourmilières mixtes, je puis citer un savant disüngue (le prof. Jurine }, qui a bien voulu constater leur existence, en examinant par lui-même les deux espèces réunies. _ A ce témoignage honorable, je n’en ajouterai qu'un seul, celui de la nature même, qui est là pour répondre à tous les doutes, à toutes les objections : il est facile de Pinterroger. J'ai nus le lecteur sur la voie, en décrivant mes moyens d'observation , et jose assurer les naturalistes qui voudroient se livrer à la même étude , qu'ils seront bien dedommages de leurs peines et du tems qu'ils consacreront ar le plaisir inépuisable de de- 2 couvrir de nouvelles vériies. CaAprrre XII. MŒURS DES FOURMIS. 289 TR a XII. CoNSIDÉRATIONS SUR LES INSECTES QUI VIVENT EN RÉPUBLIQUE. ss nous reste encore beaucoup à ap- prendre sur les mœurs des insectes, on pourroit | déjà, ce me semble, d’après les observations qui ont été recueillies, essayer dè les distribuer dans un ordre relauf au développement de leur instinct, sauf à réparer les erreurs quand les découvertes subséquentes apporteroïent de nouveaux documens. Cetie classification ne répondront pas exactement à la chaîne dans laquelle Bonnet a rangé tous les êtres , en suivant les rapports de leur organisation, et moins encore à ces divisions systématiques éta- blies par des savans disungués ; mais elle Serviroit à nous montrer le véritable plan de la nature , à nous prouver qu’elle n’est pas toujours assujettie à cét ordre matériel qui frappe nos sens; qu’elle a varié à l'infini ses combinaisons , et qu'il est des règles générales fondées sur des caractères MOraux j _ des divisions et des subdivisiéns dans Ja partie intellec- 19 290 RECHERCHES SUR LES tuelle , comme dans la partie physique de la créa- tion: c’est ce que j'espère pouvoir démontrer un jour. Je détacherai seulement de ce plan quelques idées relatives aux mœurs des insectes qui vivent en société : ils font une classe à part, dont on n’a pas encore bien déterminé la nature et les rapports. La prééminence , sil en existe une, entre ces re publiques ne sauroït être décidée qu'après avoir comparé avec soin lesprit, les travaux , le carac- tère et les lois de chacune d’elles. Pour assigner à peu près la place qu’elles occupent dans la classe des insectes, faisons abstraction de jous ces animaux , dont la taille, la force, l'utilité, : la férocité même, en imposent à notre jugement. Supposons pour un instant que l’homme lui-même n'existe pas, et voyons quel rôle joueroient alors -sur ce globe ces différentes peuplades, dont les ineribres sont associés pour leur intérét commun ; au milieu de cette foule d’êtres isolés livrés à un ‘instmet borné, ayant des habitudes plutôt que des mœurs, asservis à des règles étroites, plutôt qu'à des lois, ne connoïssant ni patrie ni famille. Au premier rang se présenteroient d’abord ces sociétés de mouches industrieuses , établies dans ! ‘ MŒURS DES FOURMIS. 291 , les arbres creux et dans les fentes des rochers. Elles se nourrissent du suc des fleurs, et distillent le miel et la cire. Elles ne font usage de leurs armes que pour défendre leur patrie, les trésors qu’elles ont accumulés , et les peuts qu’elles élèvent. Les dehors de leur habitation n’offrent rien de brillant, mais l'intérieur de la cité, construit sur un plan régulier, réunit à d’élégantes proportions la plus savante économie. | ee Cette autre famille , dont la Hvrée est plus bril- lante, vit de carnage ou de rapine. Son empire s'étend sur tous les insectes qu’elle peut percer de son dard, et sur les fruiis que ses dents peuvent déchirer. Sa demeure , semblable à un ballon, est tantôt suspendue dans les airs à une branche d'arbre , tantôt comme une forteresse dont rien n’annonce l’existence au dehors , cachée sous terre et remplie d’un peuple formidable. Viennent enfin ces peuplades qui couvrent la surface de la terre, et dont les républiques sont si nombreuses que le globe ne leur suffiroit pas si la nature n’eût mis dejustes bornes à leur multiphca- tüon. Une foule d'insectes deviennent leur proie; la peuitesse des individus est compensée chez elles par 2092 RECHERCHES SUR LES le nombre, mais la force n’est pas leur principale ressource. Ce ne sont pas non plus les fleurs et les fruits qui leur fournissent leur pâture ordinaire ; elle est l’objet d’une industrie plus recherchée. Les peuplades dont nous parlons, vont la recueillir auprès de certains êtres pacifiques qui vivent en troupes, et leur prodiguent sans contrainte les _sucs qu'ils savent extraire des plantes. Elles ont Vart de s’en faire entendre , de les réunir dans leur habitation, et de les défendre contre leurs ennemis. : Sans doute les insectes qui vivent en république | le cèdent à beaucoup d’autres en grandeur , en force , en vitesse : la nature inférieure a aussi ses monstres. L’araignée, le scarabée , Le siaphilin , le scorpion ;, comme autant de bêtes féroces retirées dans leurs repaires , attendent au passage les mouches ; les vers, les papillons , les chenilles, qu ils attaquent et déchirent sans éprouver de re- sistance. Ailleurs, nous sommes étonnés des pro- portions gigantesques de ces scarabées , de ces lu canes , de ces cerf -volans dont les dispositions peu hostiles contrastent avec les armes dont ils sont pourvus. Plus loin , c’est la diversité des pro- ductions qui attire nos regards: MŒURS DES FOURMIS. 299 Là, cet insecte. vit dans les matières COrrompues ; celui-ci habite dans le corps d’un animal; ceux-là. n'ont qu'une existence éphémère : d’autres passent la leur dans loisiveté, et voltigent par milliers sur les fleurs, sans connoître une habitation , sans re- lations entr’eux. Comparerons-nous à nos insectes organisés en république, ces chenilles processionnaires, dont. tout le talent consiste à savoir filer en commun. une toile dans laquelle elles se métamorphosent , et à laisser en marchant des fils qui servent à conduire leurs compagnes, ou ces essaims de upules réunis dans les airs par le seul attrait des sexes; ces my- riades d’éphémères qui mont qu'un jour, qu'une heure pour sortir des eaux , s’assembler et mourir ? Enfin, mettrons-nous au mêge rang ces nuées de sauterelles , sans lois , sans police , dont les rassem- blemens ne paroïssent avoir pour objet que la de- vastation des contrées qu’elles traversent, et ces sociétés régulières qui savent établir en commun une demeure favorable à l’éducation de leurs petits et à leur sûreté. Si ces insectes nomades peuvent nous offrir quelqu'intérêt , ce n’est pas en les pla- gant à côté d’objets dont la comparaison leur est 204 RECHERCIES SUR LES aussi désavantageuse : sien donc au parallèle de ceux dont les mœurs amnoncènt une sorte de civilisation. Pourrons-nous assez admirer le paru que l’abeille sät tirer de la substance ductile dont elle construit ses rayons; ce double rang de cellules exagones, à fonds pyramidaux, dont la base de chacune sert de paroiïs à trois autres; ces rues parallèles, ces Magasins remplis pour l'hiver , etc.? C’est bien elle qui fait de véritables provisions , Qui les renferme et les garde avec soin (1). La guêpe, par un art parüculier, sait profiter du bois lé plus vieux et le plus sec pour former le carton de son nid ; elle construit aussi des espèces [l . de rayons , mais elle les place horizontalement , et les suspend lés uns au-dessous des autres : moins De (1) On a de tout tems admiré la structure des gäteaux d’abeilles : les angles de leurs cellules ont été mesurés “par d’habiles géomètres ; mais on Énes encore la manière dont ces insectes industrieux sy prennent pour les fabriquer. Mon père , après de longs travaux; est parvenu à découvrir le secret de cette architecture, et ne tardera pas à donner au public un rapport lrès- étendu sur cet objet, MŒURS DES FOURMIS. habile que l'abeille à mesurer les angles de ses cel- lules , elle n’en construit pas un double rang, mais la matière qu’elle emploie est aussi moins précieuse, Elle renferme ses gateaux dans une enveloppe com- mune , qu’elle agrandit à mesure que ses besoins Vexigent; et c’est au moyen d’un suc qu’elle fai sortir de sa bouche qu’elle. unit et colle ensemble les molécules dont ils sont composés. Le nid des bourdons nous offrira différens aspects. Là, c’est sous un toit de mousse ; ici, sous une voûte de cire qu'habite leur horde villageoise : leurs pro- visions ne sont pas considérables ; c’est un buffet toujours ouvert où chacun va puiser quand il lu plaît ; mais ce quil présente de particulier, c’est que les vases qui contiennent leur miel n’ont point été fabriqués exprès ; le tissu que ces insectes ont filé dans leur premier état sert à ce nouvel usage , et la cire grossière qu'ils savent élaborer est em- ployée à rétrécir ou rallonger ces réservoirs, à cons- truire de nouvelles cellules pour leurs petits, et une enveloppe qui préserve le nid de l'humidité. \ x CARS. Rapprochons-nous à présent de ce monücule de chaume qui s'élève au mihieu des bois : c’est sous ce toit incliné qu'une république innombrable trouve 206 RECHERCHES SUR LES un asile contre les injures de l'air : par une police bien réglée, les portes en sont fermées pendant la nuit, et gardées pendani le jour ; plusieurs avenues conduisent au fond de la cité souterrame ; elle ren- ferme des étages nombreux au-dessus et au-dessous du sol, et les eaux ne peuvent y pénétrer. Plus loin, je vois une foule de maconnes occu- pées à élever un bâtiment bien vaste pour des m- sectes aussi peuts; elles n’emploient pas, comme l'abeille, une matière précieuse qu’elles aient com posé elles-mêmes; ce n’est pas non:plus d’un car- ton léger et fin comme celui dont la guêpe cons- truit son nid que la fourmi bäut le sien ; son mortier est déjà tout prépare ; la terre, l’eau de pluie et le soleil font tous les frais de sa maçonnerie ; elle pose les fondemens d’un nouvel étage, élève des murs, construit des plafonds, et distribue son lo gement avec convenance plutèt qu'avec régularité: Ailleurs , je vois sortir de ce tronc d'arbre une file de fourmis; elles ont sculpté dans le bois de vastes logemens, une mulutude de loges, un grand nombre d'étages, des corridors et des co- lonnades où l'air peut jouer librement. O1 je change de contrée, je vois une autre espece MŒURS DES FOURMIS. 297 de fourmi profiter du duvet d’une planie coton- neuse pour loger mollement les peuts qui lui sont confiés. Aucun insecte ne presente autant de va- riétés dans ses constructions : un gémie particulier semble présider aux travaux de chaque espèce, et leur indiquer la nature et l'usage des substances, qu’elles trouvent à leur portée. : Passons de l'architecture aux soins d’une nouvelle génération. Quel contraste vont nous offrir les insectes sociables et ceux qui vivent solitaires | Ceux-ci, pour la plupart, ne connoitront point leur famille : ils pourvoiront à ses besoins ; ils éta- bliront son logement , mais à peine quelques-uns d’entr'eux verront:ils P œuf auquel ils donnent lêtre : celui-là les dépose autour de cette branche ; celui- & les confie à cette feuille fragile; cet autre les abandonne au courant des eaux. Ïl en est qui les placent dans le sable, comme l’autruche , en laissant au soleil le soin de les développer ; ailleurs, les mères isolées préparent elles-mêmes, avant de pondre , la subsistance des larves qui proviendront _ de leurs œufs. Les unes, munies d’une tarrière , les établissent dans le corps d’une mouche vivante, | dans les larves d’autres insecies, ou dans le cuir PARC 7 RON Poe ame comm #5 Des rE 298 RECHERCHES SUR LES même des grands animaux ; = autres, au moyen d'une double scie, les logent dans lécorce, des arbres; celleslà créusent des grottes souterraines où elles réunissent des chenilles auprès de leur progéniture ; qui trouve en sortant de l'œuf les alimens dont elle aura besoin; d’autres font au sem de la terre une case qu’elles tapissent de feuilles de roses ou de coquelicots, et apprêtent pour la nour- riture de leurs petits une pâte composée de miel et de poussière d’étamines : elles pondent; leur rôle est fini, elles meurent. La plupart des insectes solitaires, guidés par un | instinct aveugle, assurent l'existence de la géné- ration suivante ; mais ils ne vivent pas assez pour voir le développement de leurs peuts. On ne sau- roit donc rapporter leur conduite à des moufs d’affecuon. | Ceux qui vivent en société sont dévoués au soin. de leur famille ; 1l règne entr’eux une liaison véritable, dont résultent des rapports qui ne pou- voient exister entre les premiers. Quelle scène in- téressante offre à nos yeux cette ruche d'abeilles , É ce nid debourdons, ces guêpes, et surtout ces four- mis! Je vois le bourdon préparer une cellule pour MŒURS DES FOURMIS. 209 ses petits; il la remplit en parte d’alimens néces- saires à leur consommation, de crainte peut-étre dene pouvoir seul satisfaire à leurs besoins. Ont- ils dépensé leurs provisions, la mère les nourrit elle-même, va, vient, retourne dés fleurs à son nid, et prodigue aux larves qui sont écloses les soins les plus constans ; elle agrandit leur cellule et veille à leur sûreté, jusqu'à ce qu'elles soient devenues de véritables ouvrières, capables de l'aider à soigner celles auxquelles elle va donner lêtre : la société s'établit entre la mère et les filles ; chaque jour le cercle de ces relations s'agrandit, et lPunion se resserre davantage. Chez les abeilles proprement dites, une foule innombrable d’ouvrières naissent d’une seule mère; mais si la maternité et les jouissances de l’amour leur sont refusées, elles n’en sont pas moins capa- bles d'aFection et d'assiduité auprès des petits de leur mère commune ; elles les nourrissent et les défendent avec un zèle et un désintéressement | admurables. Les fourmis portent plus loin encore leur dévoue- ment pour leurs élèves elles les soignent et les alimentent déjà dans Pétat d’œufs , leur donnent la 300 RECHERCHES SUR LES bequee dans celui de larves : quand celles-ci sont devenues nymphes , elles leur procurent une tem- “pérature convenable ; et lorsqu elles sont prêtes à se métamorphoser , ce sont encore ces mères COM- munes qui ouvrent leur coque et soignent le nou- veau né, jusqu’à ce qu'il soit en état de voler ou de ‘vaquer aux fonctions auxquelles 1l est appelé. De ces soins donnés et reçus dans lenfance, resulie une affection réciproque entre tous ces in- sectes; et de là vient l’esprit de société qui règne chez eux: ainsi, le principal caractère qui les dis- tingue de ceux qui vivent en solitude , c ’est le som qu'ils donnent à l’éducation des peus. Mais un prodige de la nature, c'est :d’avoit-su ürer part de la stérilité même, pour assurer la con- servation des espèces ; d'avoir su inspirer une sohde affection aux ouvrières pour les enfans d’une autre . mère ; de le avoir même confié tous les soins qu ’exigeoit leur éducation. La mère , trop féconde pour pouvoir élever seule tous ses peuits, trouve. dans une parte d’entr eux des aides qui se chargent . de tous les travaux ; ils sont doués au plus haut de- : gré d'industrie , d’acüvité, de zèle, de courage : la seule fécondité leur est refusee. MŒURS DES FOURMIS. 301 Quel est le secret de cette organisation incom- plète, relauvement au sexe, et perfectionnée du éôté de l'industrie? Admirable combinaison d’une nature incompréhensible ! Ïl a été démontré que les abeïlles peuvent, au besoin, s’élire une reine éntre les larves les plus jeunes; que l'éducation, la nourriture et la grandeur de la cellule qu'on leur destiné en faitun être doué d’une immense fécondité, : VOUÉ au repos et aux hommages d’un peuple nom- breux? tandis qu élevée comme les autres larves, elle eût participé aux travaux, aux dangers qui sont le partage des ouvrières. Concçoit-on que des moyens si simples puissent produire de si grands effets ! C’est à cette institution qu'est due l'existence de ces rapports intimes et mutuels, de ces soins qu’exige l'éducation des peus , de cet ensemble de travaux , de cet amour pour la patrie , de ce langage; enfin de tout ce que nous avons admiré chez ces peuplades. Partout ailleurs, chaque fe- melle vit séparément ; les seules relations des in sectes solitaires sont dues aux sexes : mais chez ceux qui vivent en société, c’est une famille plus ou moins nombreuse , plus où moins puissante, dont tous les individus, de quelqu’ordre qu'ils soient , s’en- 302 RECHERCHES SUR LES traident, s'entendent, se prêtent un secours mu- tuel, et vivent en commun des sucs qu’apportent les ouvrières. Cette constitution est une des merveilles de la nature ; aussi s est-elle plu à établir plusieurs sortes de républiques sur le même principe. ‘On voit, chez les abeilles ei les fourmis, naître chaque année une multitude d’ouvrières; mais il ne se développe dans ces républiques qu'un peut nombre de femelles : suivons les étonnantes cir- constances dont leurs amours sont accompagnés. _ Le mystère de la fécondauon-de la reine-abeille a de tout tems excité la curiosité des naturalistes ; 1l a été l'objet des plus profondes recherches ; leurs auteurs , jetés d'erreurs en erreurs , de conjectures en conjectures , étoient parvenus à douter que la reine eût un commerce particulier avec les mâles. u étoit réservé à un esprit éminemment doué de toutes les qualités qui constituent le naturaliste phy- losophe , de cette pénétrauon, de cette logique, de cette force de conception Si rares ; d'interroger la mature par l'organe d'autrui , et de déchiffrer enfin ces lignes du grand livre qui nous dévoilent le phé- nomène surprenant dont les abeïlles offrent le seul exemple. MŒURS DES FOURMIS. 303 À cette epoque, on voit comme un nn de mäles remplir les ruches ; il sortent en foule et se dispersent. La jeune reine, seule, sans cortése, quitte sa demeure , va chercher dans les airs la fécondation, et revient dans sa nombreuse famille, apportant non-seulement des titres à la considé- ration de ses sujets, mais la preuve indubitable que le mâle favorisé a perdu la vie en la donnant. Cette decouverte brillante est accompagnée de mille circonstances curieuses. Parlerons-nous du combat des reines, de leur emprisonnement , de l'exclusion donnée à celles qui sont surnuméraires ? Laissons plutôt au lecteur le plaisir d’apprendre ces étonnantes vérités dans l'original, et voyons ce qui se passe dans les mêmes circonstances chez les fourmis. Loi, les mâles etles femelles se disunguent du peuple stérile par la faculte de voler : quand le jour de leur départ est arrivé, ils sortent du nid tous en- semble , accompagnés d’une cour nombreuse d’ou- _yrières, qui ne sauroient les suivre bien loin : ils prennent le vol, s'unissent au milieu des essaims qu’ils forment dans les airs , et ne retournent point dans leur patrie. Les mâles périssent bientôt, car 304 RECIIERCHES SUR LES ils ne savent pas subvenir à leurs besoins ; mais les femelles sont destinées à propager les républiques de leur espèce ; il faut qu’elles aillent en établir \Q les fondemens seules et sans secours. On croiroit que les ailes. dont elles sont douées sont destinées à favoriser leurs travaux ; Mais L'INTELLIGENCE SUPRÊME en a ordonné autrement : aussitôt qu'elles seront fécondees , elles renonceront à cette préro- galive qui ne convient plus à leur nouveau rôle ; ; elles s'arracheront d’elles-mêmes et avec effort ces menibres qui nous paroissoient une faveur du ciel. Dans quel but la nature a-t-elle exigé d'elles ce sacrifice ? Vouloit-elle, par ce moyen, les rendre plus sédentaires , ou n’étort-ce point plutôt afin qu’elles ne pussent pas retourner dans la fourmi- lière natale ? Ceue dernière conjecture me paroît la plus plausible : ; que seroit-il arrivé sl leur avoit été donné de pouvoir se réunir à leur ancienne fa- mille ? Que les fourmilières n’auroient point été dispersées ; qu’elles men auroient formé qu’une seule, qui éût bientôt épuisé les ressources de son voisinage. Cet inconvénient auroit pu exister Chez les abeilles, qui ne rejettent pas leurs ailes ; mais Ja Sagesse qui règle univers y a paré, n inspirant aux reines MŒURS DES FOURMIS. 905 reines une aversion et une crainte insurmontables les unes pour les autres; de sorte que Îa plus an- cienne quitte sa demeure et emmène avec elle une parue de ses sujets pour fonder une nouvelle colonie. Les bourdons et les guèpes sont aussi dans l’im- possibilité de se réunir pour former une seule peu- plade : la nature, sans leur ôter Pusage de leurs ailes, a trouvé le secret de prévenir cet abus; c’e- toit de dissoudre chaque année leurs républiques. Quelle admirable variété dans ses productions et dans ses lois ! Quelles ressources ! Avec quel soim elle évite de se répéter ! Il semble que toutes les combinaisons possibles existent à la fois. La, ce sont des républiques permanentes : celles-ci se re- nouvellent tous les ans. L'une de ces nauons en- voie chaque printems plusieurs colonies au dehors, ét ses essaims nombreux vont peupler les bois et les rochers. Cette autre ne se divise point ; elle de- meure en son entier, et laisse parür quelques indi- vidus qui vont séparément fonder de nouvelles so- ciétés. ne suffisoit pas de les multiplier , il falloit encore pourvoir à leur durée; et voici les moyens employés pour perpétuer leur population d’âge en age " 306 RECHERCIIES SUR LES Chez les abeilles, une seule femelle doit régner sur un peuple innombrable; sa taille , et surtout Sa prodigieuse fécondité, lui assurent les hommages de ses sujets : elle suffit à la population de sa ruche, etne peut-s sonffrir de partage d'autorité. Cependant, à l’époque où elle donne naissance aux mâles , les abeilles, qui savent peut-être qu’elle porte aussi les germes des femelles, préparent des cellules royales dans lesquelles elle pond , et les vers éclos de ses, œufs deviendront des reines. La mère ne voit point . Sans aversion Ces individus, qui peuvent lui disputer la prééminence - elle cherche à détruire les objets de sa colère ; mais les ouvrières lui défendent l'approche du berceau de leurs chefs à venir. La reine , agitée par la crainte de les voir sorür de leur cellule, part et emmène une nombreuse co- lonie : mais elle laisse à sa patrie plusieurs femelles destinées à lui succéder, qui, après s'être disputé l'empire, ou avoir entrainé une partie du peuple à déserter avec elles, abandonnent à une de leurs, rivales la souveraineté, où du moins le droit de pondre ol dans la ruche qui les a vu naître. Une constitution bien différente est établie chez les fourmis : là, plusieurs mères se partagent les MŒURS DES FOURMIS, 307 fonéuons importantes de la propagation : elles ne connoissent point cette hame, cette jalousie dont on voit l’exemple chez les abeilles , et recoivent en commun les hommages des auires castes. À l’époque où les jeunes femelles s’éloignent pour aller fonder de nouveaux étais, le peuple de chaque cité, doué d’une prudence admirable , en retient quel- ques-unes pour suppléer à celles qui doivent natu- rellement termimer leur carrière, et c’est ainsi que se soutient et s’augmente la population de la répu- blique. Ces termes de remes, de sujets, de cons- ütution, de républiques, ne doivent cependant pas être pris à la lettre. L'unité ou la pluralité de femelles ne presente qu’une vaine image de nos différentes formes de gouvernemens : dans le fond, chacun de ces ordres suit les lois de son instinct, sans connoître de subordination ; mais il est indu- bitable qu'ils ont les uns sur les autres une cer- taine influence indépendante d’aucune autorité proprement dite. Les termites, habitans des contrées méridionales, s’unissent aussi dans les airs , retombent sur le ter- rain, ej perdent, dit-on, leurs ailes ; mais qui nous 308 RECHERCIIES SUR LES apprendra les secrets de leur étonnante SOCIéLE ; , pourquoi la nature a fait naître chez eux quatre sortes d'individus ; une seule mère qui, lors- qu’elle est féconde , prend un volume centuple de celui qu’elle avoit auparavant; des mâles ailés, des neutres aptères ,. destinés aux soins du menage, et à la construcuon de leur gigantesque édifice ; et d’autres appelés uniquement aux arts de la guerre ? Les Réaumur, les de Geer, les Bonnet trouvent, sans aller si loin, des objets dignes de piquer leur curiosité. ‘Toutes nos richesses en ce genre ne sont pas encoré exploitées. Les guerres des abeilles, déjà chantées par un grand Poëte (1), fourmiront à leur historien un sujet riche et brillant. Jus- que-là, nous ne saurions comparer celles des fourmis à celles d’aucune espèce d’animaux. S'il est vrai que la guerre soit une des conse- quences de l’ordre social , que penserons-nous à la vue de ces armées qui sortent des portes de deux cités rivales, et vont se rencontrer sur une énu- (1) Géorgiques de Virgile, 4.° chant. Ces combats, dont nous avons été témoins, ont élé décrits avec une vérité étonnante par le poëte. MŒURS DES FOURMIS. * 5og nence; qui se livrent en ce lieu une bataille où le courage et Vacharnement sont égaux de part et d'autre ? Que dirons-nous de ces corps de troupes qui n’attendent que le signal du danger pour rente au secours des avant-posies ; de ces champions qui Inttent denx à deux; de ces chaînes d’athlètes qui balancent leurs forces et saisissent un instant favo- rable pour rompre l’équilibre x de ces prisonniers entraînés dans le camp ennenn, etc.? N'est-ce pas là l'image frappante de nos grandes querelles ? Mais par quel étonnant contraste avec nos mœurs, les armes, le courage, la tactique militaire sont-ils, dans ces républiques, lPapanage du sexe féminin (1), tandis que la foiblesse, Poisiveté et l’exil sont le partage des mâles? Ceux des abeilles, plus mal- traités encore, sont mis à mort aussitôt qu'ils ont ES | ë | rempli leur unique fonction. Chez les guêpes et « 7: . mn A r , les bourdons , ils sont aussi privées d’armes , et sans e C2 4 L . à — 9 . e industrie; mais ils ne sont point Vobjet de la fu- reur des ouvrières : les rigueurs de l’hiver, dont ils (1) On se rappelle que les ouvrières ne sont pas des neutres, mais des femelles dont le moral, si l’on peut se servir de cette expression, s’est développé aux dépens du physique. 2 2 hé A 25 oc ME : te En ci in L 5 Sn de en ME" ne Pipe 310 RECHERCIES SUR LES ne savent pas, comme les femelles, se mettre à Vabri, les font perir, pour la plupart. Par quel art les ouvrières, chargées de la défense de la république , parviennent-elles à s'entendre , à se reconnoître , à s’entr'aider, à se secourir? La subtilité de leurs sens, ou plutôt laffection sans borne qui règne entr’elles, leur apprend à disunguer dans la mêlée leurs concitoyennes de leurs enne- mies : un langage significatif et très-rapide les in- ones ou du succés forme du péril de leurs compag de leur entreprise. Ce langage est la clef de lunion que vous remarquez dans cette Srbrèteo famille : ce n’est point par des sons ou par des signes visibles, c’est par l’attouchement qu'il se manifeste ; ce sont surtout les antennes, ces organes qui distinguent les insectes de tous les autres animaux, qui servent, chez les espèces réunies en société , au noble usage de communiquer d’un individu à un autre les im- pressions , les besoins et la situation de chacun d'eux. Le langage antennal est imparfait sans doute, re le compare à nos besoins, mais bien suffisant pour ceux des fourmis, Les abeilles aussi font usage des signes, quoique _les sons ne leur soient peut-être pas étrangers. La MŒURS DES FOURMIS. 311 reine veut-elle emmener une porüon de la métropole pour fonder une nouvelle cité , elle court de rang en rang , frappe, excite au départ chaque ouvrière qu’elle rencontre : bientôt le mouvement se com- munique dans toute la ruche , et l’essaim s’échappe dans les airs. Quelqu'animal étranger, quelqu'msecte ennemi veut-il sintroduire chez elles, à l'instant l’alarme est répandue , et mille vies sont prêtes à se sacrifier. Mais que leur reine prisonniére fasse entendre sa voix aiguë , aussitôt une stupeur générale s’empare de toutes les abeilles ; toutes inclinent leur tête et sont comme paralysees. 3 “Les guèpes savent aussi se faire entendre de leurs compagnes : que l'une d’elles découvre un magasin de sucre ou de nel, ou quelqu’autre objet dont elle puisse faire sa pâture ; elle retourne à son nid, et ramène bientôt cent autres guèpes à sa suite ; mais nous ignorons encore si C'est par des signes visibles ou palpables qu’elles informent muiuelle- ment de leur-trouvaille. I] étoit dans l’ordre des choses que tous les êtres qui vivroïient en société eussent un langage; mais les fourmis qui semblent, à plusieurs égards, mériter ss bte a D tm RÉ 3 CR mec 2 Due LL ré Ro 4 à À POP COM. ‘LUS 912 RÉCHERCHES SUR LES la prééminence: sur les autres insectes, étendent cette faculté jusqu'aux pucerons, dont elles obuen- nent leur nourriture ; Part, plus surprenant encore ; de les réduire en domesticité, n’a point d’analogue dans les antres républiques dont nous avons parle : cetie prérogative semble atteindre le domaine de l'homme. Mais l’auteur de toutes choses a limite le pouvoir de ces petites républiques , en ne leur permettant pas de faire usage d’autres armes que de celles dont elles sont pourvues naturellement ; les facultés mventives leur ont été refusées, quoique nous ayons vu quelques traits qui sembloient an- noncer chez elles une espèce de combinaison. Leurs besoins et leurs moyens ont été calculés d'avance ; aussi leur insunct n'est-il pas suscepuble de per- feciionnement. Parmi ceux des grands traits de la création qu’il nous est permis d’entrevoir, nous aperceyons l’homme placé dans le plan général, de manière \ à ce que, soumms à l’impulsion de son génie, et glorieux peut-être de ses facultés brillantes ; il ne se doute pas des chaînes plus déliées dont il est environné. Reconnoïissons en même items que si cet être, livré en quelque sorte à lwi- MŒURS DES FOURMIS. 4 même, s’est rencontré quelquefois dans ses insui- tutions et dans ses arts avec les lois et les procédés que la nature a dictés aux animaux, c’est une preuve éclatante de ses rapports avec l'intelligence ordonnatrice ; mais les œuvres de celle-ci portent Vempreinte d’une sagesse infinie , et les conceptions de l’homme, le sceau de l’imperfection. A laspect de ces peuplades qui subsistent À nos pieds, et où règne tant d'ordre et d'harmonie, je crois voir L’Aureur de la nature tracer de sa main toute- puissante les lois d’une république exempte d'abus : ou ébaucher le modèle de ces sociétés compo- sees, où la servitude s’allie à l’intérêt comniun. Il a voulu que certaines fourmis associassent à leurs travaux d’autres ouvrières d’une espèce labo- rieuse, qui éleveroient leurs petits et pourvoiroient à leur. subsistanée ; tandis qu'adonnées aux entre- prises guerrières , et passant des combats à l’oisi- veté, elles jouiroient de l’industrie , de l’affection et des soins de ces fournus étrangères. Cetie insu- tution, profondément combinée , remplit toutes les conditions desirables. Les esclaves des ama- zones, pris dans leur enfance , ne s’apercevant pas du changement de patrie qu'ils ‘ont subi, s’atta- 314 RECHERCHES SUR LES chent à leurs ravisseurs , se livrent à leur activité naturelle, ei ne connoissent ni travaux forcés, ni violence : ils ont même , comme nous l’avons vu, une assez grande autorité dans la cité qui les a adoptés. Ce grand trait, où brille une bonté infinie, en nous rappelant les abus auxquels une institution semblable est sujette chez plusieurs nauons poli- cées , nous fait admirer la douceur des lois par les- quelles la providence régit ces peuplades, dont elle s’est reserve l'entière direction, et nous montre qu'en livrant Phomme à lui-même, elle l’a placé sous une grande et redoutable responsabilité. Si l'étude de lhistoire naturelle n’avoit servi qu'à prouver cette verite , elle auroit atteint le but le plus noble dont les sciences puissent s’enorgueillir , celui de tendre à améliorer espèce humaine par les exemples qu’elle nous propose. _ MŒ@URS DES FTOURMIS, 315 NoTes relatives aux espèces. 1. mœurs des fourmis sont si variées qu’il est im- portant de connoîlre à quelle espèce se rapporte chaque trait d'industrie, chaque particularité de leur histoire. C’est dans le but de les distinguer que je me permets d'extraire ou de transcrire plusieurs descriptions de M. Lalreille, tirées, les unes de son ÆEssaz sur l’His- toire des fourmis de la France, les autres de son ‘ Histoire naturelle des fourmis. Je me glorifie de pouvoir orner mon ouvrage des dons de mon célèbre ami et compatriote M. le prof. Jurine, si connu des naturalistes par ses écrits sur les insectes (1) et par ses belles collections. Ne me fiant point à moi-même pour la classification des fourmis , je lai prié de vouloir se charger d’en décrire plusieurs espèces qui ne l’avoient point encore été, ou dont il convenoit de faire connoître plus par- ticulièrement les caractères. J’ajouterai aussi à ces descriptions quelques remarques que l'expérience m'a suggérées. (1) Méthode nouvelle de classer les insectes, par le prof. Jurine, n /. a » : a \ “- % + . 1 vol. in-4, fig. col. Cet ouvrage se vend à Genève et à Paris, chez I, J. Paschoud, Imp.-Lib. MŒURS DES FOURMIS. 317 DescRriPTion des fourmis dont il à été question dans cet ouvrage (1). F. HerouLe, où PErce-pors. O. Noire. Corselet, base de l’abdomen, cuisses, d’un rouge de sang. Longueur, 5 à 6 lig. F. Noire. Côtés du corselet, écaille, base de labdomen, d’un rouge bai. Ailes anté- rieures totalement enfumées. M. Très-noir. Ailes antérieures enfumées. Écaille épaisse, échancrée. Tarses et ge- noux ferrugineux. Larrertze. Essai sur PHist. des fourmis de la France. \ O. Alongée ; très-noire, luisante. Mandibules et jambes d’un brun-noirâtre. Abdomen velu. Long. 3 à 5 lignes. F. Très-noire, luisante, Mandibules et jambes d’un brun-noirâtre. Écaille pe en cœur. Abdomen court, F. ErnioPrENxeE. ové, poileux. Ailes blanches, un point marginal aux antérieures. M. Très-noir. caille tronquée, échancrée. Abdomen pubescent, Ailes blanches, un point marginal aux antérieures. Larrrizrre. Essai etc. Obs. Ces deux espèces habitent Les arbres creux ; elles y pratiquent des sillons Le et font usage de la vermoulure du bois. (1) Les termes de Mâle, Femelle et Lseee sont désignés ici par leurs lettres initiales. 318 RECHERCHES SUR LES F,. FuriciNeuss. O. Courte, très-noire, luisante. Antennes, à prendre du coude , genoux et tarses d’un brun testacé. Tête grosse, échan- crée postérieurement. Écaille petite. Ab- domen globuleux. Long. 1 ligne 3, F. Très-noire, courte. Mandibules, antennes et pates roussäâtres. Ailes et écaille comme dans le mâle. : M. Couleurs semblables à celles de l’ouvrière, Écaille entière, presqu’ovée. Ailes anté- rieures obscures à leur base. Larrzsrzze. Ibid. Obs. Elle construit dans les arbres des labyrintes admirables. F, BRUNE. O. Ferrugineuse, foncée. Yeux, sommet de la tête et abdomen noirâtres. Écaille carrée, presque bidentée. 1 ligne 2. F, Brune, noirâtre. Mandibules, antennes et pates ferrugineuses. Écaille bidentée. Abdomen large. Ailes longues : quelques nervures obscures sur la base des anté- rieures. LATREILLE. M. De la grandeur de l’ouvrière, d’une cou- leur noirâtre, passant au brun. Les ailes très-diaphanes, leurs nervures à peine visibles , et leur point foiblement jau- ls " &tous égards, à nos Jourmis lesionnaires. Poici celle qu’en a donné M. Jurine s sur les individus que je lui ai communiqués. O. Rougeâtre ; dernier segment de l'abdomen plus pâle; yeux noirs. PI, IL. fig. 2. F. Plus grande que l'ouvrière ; d’une couleur rougeätre plus foncée ;_ corselet très- arrondi postérieurement et saillant ; écaille grande , épaisse et arrondie ; ventre ovale, raccourci; ailes légèrement enfumées. Fig. 1. I. De la grandeur de louvrière ; noir ; ventre ovale, alongé ; parties sexuelles testacées ; cuisses noires, blanchâtres à la base et à l'extrémité ; jambeset tarses pâles ; écaille assez épaisse et échancrée ; ailes très- transparentes. Fig. 3, Femelle aptère. Rouge sanguin ; partie anté- rieure du corselet d’un rouge brun ; écusson saillant et arrondi ; écaille épaisse, ovée et entière , ressemblant beaucoup à la femelle de Ja rufescens (roussâtre ) et aussi grande qu’elle. Fig. 4. ' 528 \ RECHERCHES SUR LES FOURMIS: F, SANGUINE. F, D'un rougesanguin; yeux et abdomen noirs; le dessus de la tête teint légerement en noir ; écaille ovée, moins échancrée que [3 12 ouvrière; ailes très - enfumées vers la | base. PI. I. fig. be AT. Noir; pates rougeätres , ailes enfumées vers la base ; écaille échancrée. Fig. 7. ©. Comme la femelle, mais la tête d’un rouge plus prononcé et le corselet plus resserré. Fig. 6. JURINE. BI. Latreille ne décrit que l’ouvrière sous la formule suivante. D'un rouge sanguin; yeux et abdomen noirs, très-pelils ; yeux lisses; écaille ovée, un peu échancrée. DES NOÔTESs Fautes à corriger. Page x, ligne 18. Au lieu de à celui qui en fait Zisez à celle qui en fait T2 16 et ailleurs. Linnée Linné 38 ceintrée cintrée 12 88 3 de la note. linéaire linnéene 90 il ont ils ont 145 cite site 207 éclorent furent éclos 292 scarabé carabe De) il sortent ils sortent DE == ll Fourmis Roussälres. re. * SEC ON Î | EX Fournns Mmeuses. RE ÿ